Dernière mise à jour : le 26 juillet 2013

Résumé

Couverture

Table des matières






Remerciements

    Je remercie monsieur Philippe MARTIN pour sa patience, pour toute l’aide et tout le soutien qu’il m’a apporté dans la réalisation technique et méthodologique de ce mémoire.

    Je remercie monsieur Philippe RACINET et toute son équipe de m’avoir accueilli sur son chantier de fouilles au château de Boves, l’été dernier.

    Je remercie monsieur Emmanuel BRAY de m’avoir fourni un programme pour fabriquer des fractales déterministes.

Dédicace

    Je dédie ce mémoire à mes arrières-arrières-grands-oncles Georges et Héloïse NOIRET, qui ont vécu de nombreuses années à Boves.






Avant-propos

    Boves est une petite ville dans le département de Somme (80, Picardie), à huit kilomètres au sud-est d’Amiens. C’est un chef-lieu de canton qui fait l’objet depuis huit ans d’une recherche scientifique très développée. La fouille est réalisée au lieu-dit « Quartier de Notre-Dame ». C’est une fouille programmée depuis 1996. Elle a connu trois campagnes pluriannuelles : 1997-1999, 2000-2002 et 2003-2005. La recherche menée essaye de répondre à une problématique qui s’organise en cinq thèmes : « 1. faire des recherches sur le château privilégiant les origines (IXe-XIIe siècles), 2. étudier des formes et des expressions du pouvoir châtelain du XIe au XIIIe siècle, 3. étudier le rapport entre l’une des plus importantes lignées aristocratiques de Picardie, la famille de Boves et un monachisme particulièrement actif dans cette même région, celui de Cluny, 4. effectuer l’étude structurelle de deux prieurés ruraux replacés dans leur environnement castral, et 5. étudier le rôle des centres de commandement sur la fixation de l’habitat, l’organisation du peuplement et la mise en valeur du terroir » (RACINET, 1997, p. 296-299).

    A la fermeture du chantier, le 25 septembre 2004, presque la moitié de la motte a été fouillée dans un cadre pluridisciplinaire. Les premières conclusions de ces huit dernières années sont remarquables, et ont déjà fait l’objet de plusieurs publications. Le stage se décompose en deux parties : une partie théorique et une partie pratique. La théorie est acquise grâce à une série de conférences jalonnant le stage. La pratique se réalise autour de deux axes, la fouille à proprement dite, ainsi que les différentes visites effectuées dans la région picarde. Cette année, nous sommes allés à Noyon, visiter la cathédrale, à Saint-Quentin, visiter la basilique, à Coucy-le-Château, visiter les ruines du château, les seigneurs de Boves étant également seigneur de Coucy au XIe siècle, et enfin à Château-Thierry.

    Il est important de préciser les conditions de travail sur le chantier. C’est d’abord et avant tout un lieu où le travail d’équipe prime sur le travail individuel. L’équipe d’encadrement est composée de multiples spécialistes travaillant soit directement sur le terrain, soit au laboratoire de l’Université de Picardie Jules Verne. L’équipe des fouilleurs est une véritable communauté, venant des quatre coins de la France, et qui, sans se connaître tous, doivent vivre ensemble au centre des gardes-pêche du Paraclet, à quelques kilomètres du château. Le logement était plus que convenable, et il n’était pas sans rapport direct avec l’histoire du château puisqu’il y avait près de cet endroit un monastère fondé en 1218 par Enguerran II de BOVES. Ce cadre de repos agréable a sans doute évité quelques confrontations physiques qui auraient pu émerger au bout de plusieurs semaines de vie commune, car il faut bien préciser que vivre en groupe, dans nos sociétés ultra-individuelles, n’est pas un exercice facile. Toutefois, globalement, l’ambiance était bonne. Cela s’est, sans doute, vue par l’avancée des fouilles sur le chantier.

    Mes propres motivations étaient extrêmement vagues. Je n’ai pas vraiment réfléchi. J’ai juste saisi, peut-être l’unique occasion, qu’il m’aurait été donnée de faire des fouilles archéologiques dans ma vie. En 2003, j’avais suivi quelques cours et travaux dirigés d’archéologie à l’Université d’Artois. Le sort a voulu que le chantier de fouilles de l’Université soit fermé un temps. Je n’avais donc jamais pu mettre à l’épreuve théories et pratiques. Dans la logique d’une formation complète, j’ai estimé que l’opportunité de faire des fouilles sur un chantier essentiellement médiéval, était à saisir. Cette expérience m’a plu, et peut-être, je la renouvellerais un jour.

    La méthode de la fouille est capitale en archéologie. Elle fournit d’autres données complétant ou infirmant les données fournies par les sources historiques que l’on a déjà exploitées. Cependant, les fouilles archéologiques ont également un intérêt en géographie, puisqu’elles établissent la permanence de l’occupation d’un lieu. Aujourd’hui, la géographie offre une réflexion originale sur les formes spatiales, qui m’intéresse vivement. J’ai été initié à celles-ci au cours de ma licence de géographie (2003-2004). Ce rapport de stage a pour ambition de synthétiser mes connaissances théoriques et pratiques en histoire et en géographie par l’intermédiaire de mes connaissances pratiques acquises au cours de mon stage d’archéologie à Boves. Ma réflexion va s’appuyer sur les connaissances acquises sur ce site, et sur la problématique suivante : comment peut-on construire un objet scientifique pluridisciplinaire « motte » commun en archéologie, géographie et histoire ?











« Toute la vérité ne réside pas dans un seul rêve
mais dans plusieurs »
(Les mille et une nuits)











Introduction

i.1. Qu’est-ce qu’une science ?

i.1.1. Les définitions fondamentales

    Avant tout, il faut définir ce qu’est une science. Une science est un discours qui se décompose en trois champs : le champ phénoménal, le champ théorique et le champ ontologique. Le champ phénoménal est composé de faits1 et de phénomènes2. Le champ théorique est une mise en relation de faits entre eux, c’est-à-dire la recherche des causes qui les ont produits. Une théorie a pour but d’identifier les causes et les effets entre les faits objectivés. Celle-ci est liée à un courant de pensée appartenant à l’époque qui l’a produite, ce qui signifie qu’une théorie est « mortelle ». On estime qu’elle a une espérance de vie limitée à une cinquantaine d’années. Pour Jean-Paul DEMOULE et alii (2002), il existe trois grands types de théories : la théorie particulière3, la théorie intermédiaire4, et la théorie générale5. Pour lui, une démarche scientifique est une expérience répétable, suivant le précepte de Claude BERNARD. La démarche est liée à la notion de preuves, c’est-à-dire une démonstration. La démarche est validée si elle respecte un certain nombre d’étapes. La première est la définition des objectifs. La seconde est de collecter des données. La troisième consiste à décrire les données recueillies, la quatrième à traiter les données, la cinquième à interpréter le traitement, et la sixième étape à valider l’interprétation. Le champ ontologique est une réflexion sur le statut de la réalité. Il possède deux entités : l’être et les objets construits. L’être existe de tout temps et en tout lieu. L’objet construit n’existe que par la théorie qui l’a élaboré.

La démarche scientifique selon Jean-Paul Demoule
Schéma 1. La démarche scientifique selon Jean-Paul DEMOULE

    Une science n’est donc pas une accumulation de faits. Elle cherche à élaborer un système de faits. Pour Gaston BACHELARD, toute science a un projet disciplinaire bien défini qui la caractérise et la différencie des autres. En effet, les différentes sciences se partagent les objets d’étude qui sont les fondements de la manière de penser la science, c’est-à-dire un moyen matériel de développer une hypothèse de recherche. Sa définition doit entrer dans le projet scientifique de la science envisagée. Dans nos civilisations occidentales, la définition d’objet d’étude repose sur les quatre causes d’ARISTOTE : la cause matérielle, l’objet existe, la cause efficiente, l’objet est issu d’une dynamique, la cause finale, l’objet a un but à atteindre et la cause formelle, cet objet est perçu. Le but de toute science est de construire un objet scientifique, c’est-à-dire un concept, une matière d’étude universelle servant de généralisation. Ces concepts sont également sources d’échange entre les différentes disciplines. Pour René THOM, le but de la science est de « réduire l’arbitraire de la description » liée à la perception. Le processus de généralisation est nécessairement une abstraction. Il peut être envisagé par trois approches, décrites par Bernard LEPETIT (in REVEL, 1996, p. 71-94). La première approche est d’utiliser un concept existant pour passer d’un objet singulier à une généralité. La seconde technique, si le concept est imparfait ou inexistant, est d’effectuer un échantillonnage statistique, et le généraliser à toute une population mère. C’est un raisonnement inductif, très largement répandu dans les différentes sciences. La troisième possibilité est d’utiliser la ressemblance entre plusieurs faits, et les généraliser. C’est un raisonnement analogique, peu utilisé à l’heure actuelle parce qu’il a été discrédité par la modernité de Galiléo GALILEE et de René DESCARTES.

i.1.2. La modernité (XVIIe-XXIe siècles)

    La science dite moderne est fondée sur le rejet de la cause formelle et de la cause finale. Les fondateurs en sont Galiléo GALILEE et René DESCARTES. Galiléo GALILEE a associé la chute libre d’un corps à la variable temps. Cette équation est une mise en avant de la cause efficiente d’ARISTOTE. Elle dissocie pour la première fois dans l’histoire des sciences, temps et espace. La cause efficiente est également liée aux forces présentes dans l’univers. Les causes finales et formelles n’existent plus. Quant à la cause matérielle, elle est maintenue parce que la nier, serait nier l’existence des objets d’étude, c’est-à-dire le fondement des sciences. René DESCARTES formalise les idées de Galiléo GALILEE dans son Discours de la méthode (1637). Il met en avant, comme son prédécesseur, les causes efficientes. Autrement dit, il s’agit de rechercher l’origine de l’existence d’un objet : sa raison d’être. Il articule tout travail de recherche autour de quatre préceptes, devenus classiques aujourd’hui :

        « le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connaisse évidemment pour telle, c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention […]

        « le second de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les résoudre

        « « le troisième de conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu’à la connaissance des plus composés […]

        « « et le dernier de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre. » (DESCARTES, éd. 1999, p.27)

    Le premier précepte révèle le premier principe de la modernité proposée par René DESCARTES : l’évidence6. Il nie également les causes finales et formelles puisqu’il veut « éviter soigneusement la précipitation et la prévention ». Cependant, il faut relativiser la négation de la cause formelle. En effet, la forme existe toujours, mais elle est réduite à la cause d’une perception phénoménologique. Parfois, elle peut être idéalisée avec un formalisme mathématique. Cela va des formes euclidiennes banales : le cercle, le carré, le triangle à des formes particulières comme les formes fractales, parmi lesquelles on trouve des courbes fractales comme les « monstres mathématiques »7 créés par VAN KOCK, PEANO, WIESTRASS, etc. (MANDELBROT, 1975). Le second précepte est le réductionnisme. Il s’agit de partir de l’idée que la complexité du monde n’est apparente, et de le découper en petits problèmes, de manière à aboutir à une chaîne qui mettra en lumière les évidences du premier précepte. Le troisième précepte est la mise en avant de la causalité efficiente. Celle-ci est fondée sur la continuité de la chaîne produite par le processus, elle ne peut donc pas être lacunaire, et sur la linéarité, puisqu’une petite cause génére un petit effet et une grande cause produira un grand effet. C’est le fameux rationalisme d’ARISTOTE. Il suffit donc de remonter la chaîne des évidences pour expliquer la complexité du monde. Le quatrième précepte correspond au principe d’exhaustivité. Il est basé sur le fait que l’information scientifique est nécessairement infinie, et qu’il faut la recenser le plus précisément possible. La conséquence de ce principe est qu’il y a toujours quelque chose à découvrir. L’approche cartésienne met en avant les raisonnements mathématiques suivants : le raisonnement déductif, le raisonnement inductif et le raisonnement par l’absurde. Le raisonnement déductif part du champ phénoménal pour dégager un champ théorique. Les faits construisent leur propre théorie. Le raisonnement inductif part du champ théorique pour expliquer le champ phénoménal. Le fait observé entre dans un concept existant. Le raisonnement par l’absurde essaye de prouver qu’une hypothèse est fausse parce qu’elle ne peut pas entrer dans un champ théorique existant, ni même en établir un. Ce shéma scientifique s’est bâti de concert avec ce qu’il est commun d’appeler la société moderne. La science y tient une place éminente.

    La modernité a aussi développé son propre modèle social (figure 1.a. p. 10), qui est globalement toujours en place aujourd’hui. Il consiste à partager la vie des individus en deux : une vie appartenant au domaine privé, une autre appartenant au domaine public. La vie publique est un système social hiérarchique dont on peut considérer qu’il est dominé par les tenants du pouvoir scientifique tout autant que par les tenants du pouvoir politique, les élus. La vie privée est un autre monde où se meuvent d’autres dimensions de la vie sociale. C’est de ce côté qu’une partie des causes aristotéliennes et des entités matérielles ou immatérielles comme la forme se retrouvent de facto. Dans le domaine public, au sommet de la pyramide se trouve la raison, il s’agit bien sûr d’une dimension en rapport étroit avec les causes efficientes. Ensuite, viennent ceux qui sont capables de décoder ces causes : d’abord les scientifiques, ensuite les politiciens qui appliquent les progrès dégagés par les scientifiques ; enfin, le reste de la société où l’homme est nettement supérieur à la femme. Dans une vision moderne, les causes finales et formelles relèvent donc de questions métaphysiques entrant dans le champ de la philosophie et de la littérature. Elles recouvrent des faits qui ne sont pas scientifiquement objectivables. Ce paradigme de la modernité offre une autre solution au problème philosophique de la liberté de l’homme, puisque, désormais, il possède un espace de libertés : son domaine privé, et un espace de contraintes : le domaine public. Grâce à cela, on met en avant le progrès scientifique, ainsi l’espace de contraintes devient utilitaire au libre-arbitre humain. Dans cette position, on comprend l’intérêt scientifique et philosophique de l’histoire. Elle permet d’être au cœur de la liberté humaine en formulant son propos de la manière suivante : hier, on en était là, aujourd’hui, on en est là, et demain, on en sera sûrement là. Cette liberté est fondée sur l’idée que l’homme est, par nature, bon, ce qui reste en soi à démontrer. Toutefois, la raison placée au sommet de la pyramide a posé problème. L’utilisation du terme renvoie à une vérité absolue, qui en soi, n’existe pas. Ce schéma moderne rencontre des difficultés. Pour les résoudre, l’astuce trouvée a été, dans le schéma postmoderne (Figure 1.b. p. 10), de remplacer la raison par l’idée qu’il n’existait pas une vérité, ce qui pose d’autres problèmes. En effet, cela met sur un même pied d’égalité un astrophysicien avec un astrologue, par exemple… Ce début d’évolution du paradigme de la modernité semble indiquer que la modernité entre en crise en cette fin XXe et ce début du XXIe siècle.

Le paradigme de la modernité
Figure 1.a. Le paradigme de la modernité

Le paradigme de la post-modernité
Figure 1.b. Le paradigme de la post-modernité

    La systémique propose une recherche opérationnelle. Elle se fait par étapes successives. La première consiste à définir le système et son environnement avec ses entrées et ses sorties. La seconde étape doit montrer ou expliquer l’organisation du système. Cette étape est double : il s’agit de rechercher un état, c’est-à-dire une structure, et un processus, c’est-à-dire un ensemble de fonctions. Pour les établir, il faut chercher la frontière (ou la limite) entre le système et son environnement, puis définir les éléments qui composent le système, ensuite étudier les connexions entre les différents éléments, c’est-à-dire les réseaux, et enfin, trouver ce qui peut servir de réservoir au système. Une fois ce squelette mis en place, il faut chercher les flux, le (ou les) centres de décisions, les boucles de rétroaction et les délais de réponse. L’établissement de la structure et du processus conduit à définir des lois qui commandent le système, et à comprendre les relations internes et externes du système. À l’intérieur, l’état, c’est-à-dire la structure, correspond à un organigramme qui établit ce que l’on appelle les modules (ou sous-systèmes) en même temps que leur niveau (ou hiérarchie). L’état défini, il faut trouver le mécanisme de fonctionnement : le processus qui gère les différents éléments du système ainsi que les différentes relations entre les niveaux. Ce processus est un programme qui maintient la structure du système. Cependant, il faut remarquer qu’à l’extérieur du système, un certain degré de fermeture existe toujours. Il permet de maintenir l’identité propre du système considéré.

    La structure et les fonctions du système comprises, on peut passer à la troisième étape qui consiste à rechercher la dynamique du système étudié. Il en existe essentiellement deux. Un état stationnaire correspond à un système qui s’adapte dans toutes les situations difficiles qui se présentent à lui. Lorsqu’on l’observe, il donne l’illusion d’être immobile, d’être en équilibre. Celui-ci est obtenu par une régulation qui s’appelle l’homéostasie. Elle repose sur la capacité d’un système à produire ce que l’on appelle de la variété, c’est-à-dire le nombre de configurations, ou d’états, que ce système peut revêtir. Toutefois, trop de variétés peut conduire à une crise de la structure et des fonctions du système, et engendrer la deuxième dynamique possible : celle de l’émergence. Elle se produit lorsque le système n’est plus régulé. Deux cas sont possibles : soit le système brusquement redéfinit sa structure et ses fonctions, soit il est englobé dans un autre système, devenant ainsi un sous-système. Quoi qu’il en soit, l’émergence conduit à l’apparition d’un nouveau système qui n’a plus rien à voir avec l’ancien.

    Les étapes précédentes conduisent à observer le système, ce qui a permis de le décrire. La quatrième étape consiste à vérifier, par l’intermédiaire d’une méthode pertinente, que la théorie obtenue par la description correspond à la situation pratique. Cette étape est le cœur de la recherche dite opérationnelle. Elle consiste à lier les différents éléments (les faits) entre eux, puis à faire intervenir dans ces différentes liaisons, le hasard, et enfin à expliquer la concurrence entre les éléments. Pour correctement étudier un système, il faut faire au minimum trois études : une étude combinatoire, une étude sur les variables aléatoires et une étude sur la concurrence. L’étude combinatoire travaille sur les invariants15 du système par l’intermédiaire de deux techniques qui permettent d’associer les différents invariants : soit il s’agit d’un algorithme16, soit il s’agit d’un programme linéaire17. Le choix aléatoire travaille sur les variables18 du système. Cette analyse est menée par l’intermédiaire des probabilités, des analyses factorielles… Enfin, l’étude de la concurrence nécessite une connaissance de la théorie des jeux (GIRAUD, 2000 ; GUERRIEN, 1995) et de son application. Elle étudie le comportement des individus rationnels en interaction, et les conséquences de leurs choix, c’est-à-dire les contraintes19 exercées sur le système.

    La cinquième étape consiste à présenter les résultats sous la forme d’une représentation graphique et à modéliser le système. La représentation graphique est soit un diagramme, soit une carte ou soit un réseau. La modélisation est le processus d’action qui conduit à la construction d’un modèle20 (DURAND, 2002). Cette modélisation est difficile à réaliser. La plupart des modèles formulés sont faux. Il faut sans arrêt les retravailler pour atteindre quelque chose qui tend vers une juste image de la réalité. Cependant, il faut insister sur le fait que le modèle n’est qu’un résultat. Seul le processus de modélisation a un intérêt scientifique et méthodologique. Cette modélisation a pour but de pouvoir faire des simulations qui vont permettre d’établir une éventuelle prospective. Selon Daniel DURAND (2002), il en existe quatre types : le modèle cognitif21, le modèle décisionnel22, le modèle normatif23 et le modèle prévisionnel24. Cependant la nature d’un modèle est classable en quatre niveaux de compréhension : la maquette25, le schéma26, le modèle cybernétique27 et le modèle numérique28. Le modèle, quelle que soit la discipline qui l’a produit, s’inscrit dans un langage qui permet de le comprendre. Selon Daniel DURAND (2002), ce langage se joue à trois niveaux : un langage graphique, qui fait appel à des notions de sémiologie, un langage mathématique, qui permet d’établir les lois d’ensemble du système, et un langage discursif, qui possède deux faiblesses : il est de nature linéaire alors que la plupart des systèmes ont des règles non linéaires, et il manque de rigueur ; il utilise un lexique flou, mais demeure indispensable pour trouver de nouvelles connaissances.

    La systémique étudie la complexité du monde pour elle-même, mais comment différencier ce qui complexe de ce qui ne l’est pas ? Si on prend les principes de René DESCARTES, la complexité n’existe pas : elle n’est apparente. Grâce à des chaînes linéaires et continues de causes et d’effets, on peut comprendre la complexité du monde par des expressions simplifiées de celui-ci. Depuis une trentaine d’années, on admet que le complexe ait une réalité propre, irréductible. Le père de la complexité est KOLMOGOROV. Il a formulé ce que l’on appelle la théorie algorithmique de l’information (ou théorie de la complexité). Pour lui, le monde serait un ensemble de programmes mis en place en fonction de la taille de l’objet étudié. Plus un objet est « long », moins il est probable. Un système complexe ne peut se résumer en un algorithme court, tant la richesse des informations est importante. Ce genre de système présente une organisation qui n’est ni strictement définie, ni aléatoire, et produit des effets non linéaires dont l’expression est l’émergence de propriétés nouvelles. Toutefois, on distingue la complexité de la complication. « Dans la mesure où la complexité se différencie de la complication et dans la mesure où les phénomènes non complexes donc linéaires, etc. s’avèrent, tant dans la nature que dans la société, rare, tout change. Il apparaît ainsi que ce qu’il faudra maintenant appeler le « vieux paradigme moderne » n’est pas suffisant pour comprendre, pour se représenter et donc pour vivre dans le monde, ce qui est fondamental » (MARTIN, t. 1, 2004, p. 22). Comment étudier cette complexité, si elle existe réellement ? La méthode consiste, comme on l’a vu, à déconstruire les systèmes et à les étudier par l’intermédiaire de la recherche opérationnelle.

    Pour résumer, la complexité regroupe trois situations : le système possède beaucoup de degrés de liberté et a des équations dont l’on ne possède pas la solution ; le résultat, apparemment simple, adopte un comportement compliqué rendant une prospective impossible ; le système a un très grand nombre de variables et un comportement aléatoire. « Il existe en fait deux « styles » de complexité. L’une est la complexité de ce qui est aléatoire et elle est complexité parce que rien ne la résume. Elle n’est pas simple à concevoir contrairement à ce que nous pourrions initialement penser. Par exemple dessiner une distribution aléatoire de points est quelque chose de délicat. Mais inversement voir une structure dans une distribution aléatoire de point est possible. L’autre style est une « complexité » liée à une organisation. C’est la complexité qui rejoint le sens vernaculaire du mot de façon plus directe. Cette complexité correspond à ce qui est organisé, fortement structuré, riche en informations plus ou moins cachées, mais en informations organisées. Il faut essayer d’en rendre compte […] » (MARTIN, t. 1, 2004, p. 27). Ces sciences de la complexité fondent la réflexion d’un ancien conseillé du Président J. DELORS, Marc LUYCKX-GHISI (2001), sur les conséquences que celles-ci auront sur la société. Il qualifie sa pensée de transmoderne.

    La pensée transmoderne (figure 3. p. 18) a été développée par Marc LUYCKX-GHISI (2001). Cette pensée peut être considérée comme une fusion de la pensée occidentale gréco-romaine et de la pensée extrême-orientale. Elle met en avant, entre autre, ce que l’on appelle l’ago-antagonisme. Deux objets contraires s’opposent en même temps qu’ils se complètent, puisque chacun sert de référentiel à l’autre. Le rapport entre les individus obéirait à un abandon partiel de soi : l’individu est libre de faire ce qu’il veut, mais il doit respecter son environnement, sinon celui-ci pourrait un jour se retourner contre lui, ce qui signifie qu’un individu possède des « degrés de libertés » en fonction du système social dans lequel il se meut. Le système sociétal devient donc une entité supérieure à la stricte somme des individus qui le composent. La pensée transmoderne propose également une sorte d’holisme29dans la science. La vérité est une perfection : on tend toujours vers elle, sans jamais l’atteindre. Pour arriver à l’approcher, il faut nécessairement avoir une démarche transdisciplinaire et construire un objet scientifique faisant appel à plusieurs disciplines. Ce nouveau cadre hypothétique de la modernité passe, en outre, par des processus non linéaires, des bifurcations, des horizons de prévisibilité, etc., autant de rapports spécifiques au temps. Cette recherche essaye, à partir d’un objet qui peut être commun à, au moins, trois disciplines, d’éprouver cette nouveauté, en essayant de définir un nouveau cadre anthropo-scientifique. Ce mémoire en articulera essentiellement trois : l’archéologie, l’histoire et la géographie, le but étant d’aboutir au concept de la « motte » capable d’être transposé en archéologie, en histoire et en géographie. On vérifiera que les faits construits par ces trois disciplines vadident ou, au moins, n’infirment pas cette pensée transmoderne.

La pensée transmoderne
Figure 3. La pensée transmoderne

i.1.3. La transmodernité (XXIe siècle)

    La vision de la recherche formulée par la modernité est contestée par l’approche systémique mise en place depuis une cinquantaine d’années. Elle reprend les travaux d’HERACLITE, qui écrivait « Joignez ce qui est complet et ce qui ne l’est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et ce qui est en désaccord » (cité dans DURAND, 2002, p. 3). Un système est un ensemble cohérent d’éléments interdépendants et non hiérarchisés. La systémique est l’étude d’un rapport entre le système et son environnement, d’une organisation, d’une structure et son fonctionnement, d’une dynamique propre au système. Cette approche possède, comme l’approche cartésienne, quatre préceptes : la pertinence8, la globalité9, la téléologie10 et l’agrégativité11. La systémique articule ces préceptes autour de deux notions fondamentales : l’interrelation et la totalité. Elle propose une méthode à l’opposé des préceptes de René DESCARTES. Il n’y a plus de réductionnisme, plus d’évidence, plus de causalité linéaire et continue et plus de recherche de l’exhaustivité des données. La systémique réintroduit le raisonnement analogique qui avait perdu tout crédit avec l’approche cartésienne, puisqu’il est fondé sur la comparaison de différentes formes. Il est vrai que l’analogie peut prendre un aspect très simple et parfois erronné. Toutefois, avec le développement de la systémique, l’analogie peut s’avérer beaucoup plus complexe. Il y en a trois types : les métaphores12, les isomorphismes13 et les modèles14. À cela, il faut ajouter l’homologie, l’identité des structures comme telle identifiée par des lois de décroissance ou de croissance exponentielle qui est valable tout aussi bien pour la vidange des aquifères (tarissement) que pour le refroidissement d’un corps chaud. Grâce au raisonnement analogique et homologique, on peut entreprendre des recherches interdisciplinaires, nécessaires aujourd’hui pour créer des ponts entre les différentes disciplines académiques, ce qui permettra d’élaborer une méthodologie générale pour traiter les objets d’étude appartenant à plusieurs disciplines. L’interdisciplinarité, c’est la découverte de l’autre. L’étape suivante est la pluridisciplinarité, qui favorise des rapports de confiance mutuels entre plusieurs sciences. À partir de cette ultime étape, la transdisciplinarité pourra s’affirmer et promouvoir un transfert des différentes idées développées dans telles ou telles disciplines à telles ou telles autres. À terme, cette transdisciplinarité ouvrira de nouveaux terrains de recherches hors des disciplines reconnues.

    Ce mémoire est sous-tendu par la typologie systémique définie par Jean-Louis LE MOIGNE. Les systèmes sont présentés par ordre de complexité croissante (Figure 2. p. 13). « Le premier niveau est occupé par l’objet passif, sans nécessité en soi. […] Le deuxième niveau est celui de l’objet actif, qui intervient, qui bénéficie d’un véritable comportement. […] Le troisième niveau est celui de l’objet actif et régulé dont les comportements se manifestent entre certaines limites plus ou moins bien définies. […] A ce niveau apparaissent les relations de bouclages qui assurent la régulation. […] Le quatrième niveau est celui de l’objet qui s’informe. […] L’information fait suite à la boucle et à la rétroaction mais ne se confond pas avec elles ; l’information est une hypothèse artificielle, mais d’une grande richesse explicative. […] Ce quatrième niveau termine la catégorie des systèmes-machines. […] Avec le cinquième niveau émerge la décision. En pratique, il est souvent difficile de distinguer entre information et décision. […] Dans le domaine de l’information, on distingue l’information-représentation et l’information-décision. Seuls les systèmes qui possèdent une capacité de décision autonome appartiennent au cinquième niveau. […] De tels systèmes échappent au déterminisme du seul hasard : ils ont leurs projets propres ; ils appartiennent au domaine du vivant. Le sixième niveau est celui de l’émergence de la mémoire. […] Il semble que la décision devrait plutôt être classée après la mémoire. On aurait ainsi la chaîne : information → mémoire → décision. […] Avec la mémoire, on pénètre dans le monde de la communication, qui constitue un prolongement du domaine de l’information. La théorie du concept reste à faire. […] Le septième niveau est celui de la coordination ou du pilotage que rend nécessaire la différenciation ou la variété du système. […] Tout système complexe est à la fois structuré hiérarchique et en réseau, avec de multiples liaisons verticales et horizontales, d’où la nécessité d’un centre de coordination et de pilotage » (DURAND, 2002, p. 26-29). Ce niveau clôture le domaine de la vie. « Le huitième niveau est celui de l’émergence de l’imagination ou de l’intelligence. […] C’est « une capacité à gérer de l’information symbolique ». Dès lors, le nouveau système peut s’organiser, se complexifier par un processus purement interne d’auto-organisation à travers des mécanismes abstraits apprentissages et d’invention. […] Le neuvième niveau est celui de l’auto-finalisation dans lequel l’homme se fixe sa propre finalité, ses propres objectifs. Ce niveau est celui de l’émergence de la conscience, de l’intentionnalité […] » (DURAND, 2002, p. 29). Il est clair que tous ces types existent a des niveaux différents pour des questions parfois spécifiques à des objets comme une « motte », qui est bien une entité produite par des flux qu’ils soient de matières (pierre, bois, etc.) ou d’argent, de capacité de travail. Cependant, c’est aussi un objet qui porte ou révèle une intentionnalité.

Les neufs niveaux de complexité
Figure 2. Les neufs niveaux de complexité (DURAND, 2002)

i.2. Application aux trois disciplines considérées

i.2.0. Qu’est-ce qu’une science humaine ?

    Qu’est-ce une science humaine ? Une science humaine est une science qui essaye de comprendre les principes généraux du fonctionnement social. Elle se différencie d’une science dite dure qui possède un champ théorique très développé comparativement aux sciences humaines. Les sciences dites dures ont un degré d’abstraction, de généralisation plus important. C’est pour cela que toute science humaine « cale », plus ou moins, son champ théorique sur une ou plusieurs sciences dites dures. Les sciences humaines préfèrent généralement développer leur champ phénoménal, en mettant à l’épreuve les différentes théories venant de ces disciplines. Il est rare que les sciences humaines30 bâtissent leur propre théorie.

i.2.1. L’histoire

    Qu’est-ce que l’histoire ? Pour Marie-Paule CAIRE-JABINET, l’histoire est composée de deux éléments : « la connaissance du passé » (history) et le « le récit qui l’exprime » (story) (CAIRE-JABINET, 2002, p. V). Est-ce une science ? « L’histoire n’est pas une science, elle n’est qu’un procédé de connaissances » (SEIGNOBOS, cité dans PROST, 1996, p. 70). Pourtant, elle a un projet scientifique, formulé par Frédéric HEGEL : expliquer rationnellement le présent par le passé. Pour Paul RICœUR (2000), elle doit mettre de l’ordre dans le temps. Le temps historique est essentiellement un temps humain (MARROU, 1954), qui trouve son approche théorique dans la philosophie. Elle définit les concepts historiques du temps historique. On distingue connaissance historique, événements historiques et réalité historique. La connaissance historique est la connaissance du passé humain et l’interrogation de l’individu sur son passé. Les événements historiques sont des faits extraordinaires dans le sens où un événement implique une rupture dans l’histoire, un changement radical. La réalité historique est composée des faits eux-mêmes étudiés par les historiens. Les philosophes ont toujours lié l’histoire aux notions de conscience et de liberté. Son champ phénoménal est composé de sources dites historiques, caractérisées comme faisant, ou étant, une évolution. L’histoire cherche à établir des événements, des répétitions, des époques, des structures et bâtir un temps historique. C’est autour de ces axes qu’elle établit ses faits. « L’objet de l’histoire n’est pas toujours psychologique, mais embrasse des réalités physiques, psychiques et significatives » (ARON, 1969, p. 272). Qu’est-ce qu’un objet historique ? Pour Fernand BRAUDEL (1958), l’objet historique est quelque chose qui se meut dans la longue durée : il est marqué par une évolution. « La longue durée est l’échelle de temps la plus pertinente parce que, mettant en évidence les régularités, elle est la plus « scientifique » » (LEDUC, 1999, p. 27). Pour Antoine PROST, un objet historique est inscrit dans une période qui lui est propre. « Il n’y a pas […] de question sans document » (PROST, 1996, p. 80). Pour les historiens, il n’y a jamais de lecture définitive d’un document. Chaque époque possède sa propre procédure de traitement des documents31. Son champ théorique comprend essentiellement la théorie des trois temps de Fernand BRAUDEL. Son champ ontologique réfléchit sur le statut de la vérité et de la réalité historique. C’est ce que Paul RICŒUR appelle « l’aporie de la vérité en histoire » (2000, p. 311). Ce problème est étroitement lié à la vision linéaire de l’histoire. La continuité engendre fatalement l’imagination. Paul RICŒUR conclut que « les historiens construisent fréquemment des récits différents et opposés autour des mêmes événements » (2000, p. 311), ce qui illustre bien le fait que l’histoire n’apportera jamais de certitudes. Le second problème ontologique est la valeur moralisante de l’histoire. L’histoire est une science humaine, qui se cale sur le temps physique. Elle est au cœur de la modernité.

    L’histoire est une science moderne. Elle applique la « méthode » (ARON, 1969, p. 123) de recherche proposée par René DESCARTES. Elle est également une « encyclopédie » (ARON, 1969, p. 123), c’est-à-dire une collection de faits à mettre en relation. L’histoire est une « critique des sciences de l’esprit » (ARON, 1969, p. 123), c’est-à-dire qu’elle privilégie la recherche de faits, et non de théories. L’histoire recherche « […] la relation causale […] entre deux événements » (ARON, 1969, p.123). L’histoire applique un raisonnement inductif. Pour Philippe ARIES (1954), elle doit dans une première étape établir les faits, en consultant les sources, puis expliquer les faits établis. L’histoire est donc fondée sur une évidence : les dates, les faits historiques avérés par les documents ; sur un réductionnisme : la division du temps en périodes historiques ; sur une linéarité : la proportionnalité des causes et des effets, et sur une continuité : l’axe temporel ; et enfin, sur une exhaustivité : la recherche d’un maximum de faits pour tendre vers la vérité historique ; respectant ainsi le précepte de Fernand BRAUDEL « toute science va ainsi du compliqué au simple. […] La réduction nécessaire de toute réalité sociale à l’espace qu’elle occupe » (BRAUDEL, 1958, p. 752). Enfin, il y a un rapport très fort entre l’histoire et le progrès, entre le progrès et la modernité donc entre l’histoire et la modernité. En tout cela, elle est profondément moderne.

i.2.2. La géographie

    Qu’est-ce que la géographie ? Le projet de la géographie (MARTIN, 2004, p. 23) est d’étudier les propriétés d’un espace relatif et les processus qui contribuent à différencier les lieux. Dans ces processus, il y a autant ce qui est de l’ordre de la représentation que ce qui de l’ordre culturel, ce qui est de l’ordre du physique, le topos, et ce qui est de l’ordre anthropologique ou sociétal. C’est donc l’étude de la mobilité de (et sur) l’interface terrestre. Selon Paul RICŒUR (2000), la géographie doit mettre de l’ordre dans l’espace. Pour André DAUPHINE (1987), c’est la science des systèmes spatio-temporels. Un objet géographique32 est une forme localisée dans l’espace géographique, c’est-à-dire sur l’interface terrestre. Cette forme possède une localisation précise, une matérialité, un champ et une dynamique. Cette forme a deux origines : soit elle a été créée par l’homme, soit elle est d’origine naturelle. Elle se déploie généralement dans un espace à cinq dimensions : la longueur, la largeur, la hauteur, le temps et l’échelle33. La géographie répond à quatre questions. Où sont les choses ? Comment les structures spatiales se sont-elles générées ? Quels sont les rapports de positions ? Peut-on instrumentaliser les formes spatiales ? L’un des problèmes est que la géographie ne possède pas de théorie de la forme, c’est-à-dire de théories expliquant la formation des discontinuités spatiales. Son champ ontologique concerne aussi la réalité de la perception que les hommes ont de leur espace. La géographie semble aujourd’hui développer à deux champs d’investigation : un champ phénoménologique, qui prône une analyse sociale, et un champ mathématique, qui prône une analyse spatiale. Les deux approches sont complémentaires, en même temps elles s’opposent. Elles sont donc ago-antagonistes. En cela, la géographie tend à être plus en accord avec une pensée qui cherche à dépasser la modernité, avec une pensée transmoderne. C’est peut être ce qui lui conférera demain son utilité sociale.

i.2.3. L’archéologie

    Qu’est-ce que l’archéologie ? Le projet scientifique34 de l’archéologie est d’étudier35, de recenser36, et de rechercher de nouveaux sites recelant des traces humaines (JOCKEY, 1999 ; DEMOULE et alii, 2000). L’archéologie est comme la géographie : elle joue sur deux versants scientifiques : elle est une science humaine, mais aussi une science de la nature. Son champ phénoménal est composé par les objets anciens enfouis, par les sources historiques qui permettent de savoir où fouiller et par les sources géographiques composées essentiellement de cartes I.G.N., de cartes archéologiques et de photographies aériennes. De ce fait, le site archéologique37 est son objet d’étude privilégié ; ce n’est pas le seul, mais c’est le plus important. Son champ théorique est très pauvre. Son champ ontologique concerne les pertes d’informations archéologiques dues à l’érosion, aux fouilles sauvages, mais aussi à la méthode de fouilles employée. Il est donc clair que l’« archéologie » comme science est en construction. Ainsi aujourd’hui, il existe plusieurs méthodes produisant des faits archéologiques (les méthodes de fouilles, les méthodes de prospection, les méthodes de localisation) mais il n’existe rien qui fédère le tout. C’est pour cela que l’on a tendance à la considérer comme une science auxiliaire de plusieurs disciplines : histoire de l’art, histoire, ethnologie, sociologie, géographie… Cela étant, l’archéologie est une méthode qui se décompose en trois branches : faire des typologies, appliquer des techniques et interpréter la stratigraphie. L’analyse archéologique est actuellement fondée sur une démarche « dative ». La datation permet d’écrire une histoire, en passant par des typologies qui sont le produit d’une description et d’un classement. « L’archéologie ne permet pas de résoudre tous les problèmes que pose l’histoire. […] Plus qu’une source auxiliaire, l’archéologie mérite le qualificatif de science « génératrice » d’histoire. […] Tout archéologue est en même temps historien et doit avoir présent à l’esprit que le moindre tesson de céramique qu’il exhume du sol est d’abord un témoignage historique » (PELLETIER, 1985, p. 11). L’archéologie transforme le temps stratigraphique en temps historique. Aujourd’hui, à cette analyse historique, on ajoute volontiers une analyse spatiale, fondée essentiellement sur les différentes échelles d’observation. Un site possède au moins quatre niveaux d’observation : les structures enfouies, le site, le territoire proche du site et la région englobant le territoire du site. C’est donc la description qui constitue le point central de la définition de l’archéologie en tant que méthode, mais c’est aussi une source. L’archéologie a aussi pour but de rechercher les formes qui appartiennent au même contexte. C’est pour cela que l’on peut affirmer que l’archéologie est une discipline qui fait appel à plusieurs objets communs en histoire et en géographie. Une preuve essentielle est la nature des découvertes archéologiques : l’occupation du sol, les structures de l’habitat, les éléments de la vie quotidienne, l’industrie, les échanges, la religion, les coutumes funéraires et l’art, autant d’objets d’étude mis en œuvre par l’archéologie appartenant aux autres deux disciplines considérées. L’archéologie peut par conséquent servir de base à une réflexion commune.

i.3. Préambule

    Ce mémoire esssayera à partir d’un objet intéressant ces sciences (« la motte de Boves »38) de développer une perspective transdisciplinaire. La « motte » est donc cet objet d’étude, ce « champ expérimental » qui nous permettra peut être d’initier une transdisciplinarité forte qui s’inscrit nécessairement dans un autre schéma, pour une part, que celui de la modernité. Ce dépassement nous le nommerons transmodernité. Son cadre théorique sera donc une pensée « transmoderne ». On vérifiera s’il convient réellement à une étude transdisciplinaire. En essayant, tant que possible, de respecter les caractéristiques de chaque science humaine considérée. Le choix de cet objet se justifie par le fait que la motte a une histoire longue et qu’elle a été le support d’une histoire, qu’elle a une position qui influence le champ morphogénique, et inversement, et qu’elle présente des structures archéologiques nombreuses (Figure 4 p. 23). Aussi, dans une première partie, nous nous attacherons à définir ce qu’est une « motte castrale » comme objet de chaque discipline, mais également nous proposerons quelques réflexions préliminaires sur des théories « importées » des sciences dites dures afin d’articuler les trois disciplines, notamment autour du concept d’espace-temps. La seconde partie essayera d’articuler les données archéologiques, géographiques et historiques, et cela, grâce aux théories et concepts décrits dans la première partie. Cette partie insistera sur l’utilité de maîtriser les outils informatiques permettant de réaliser les modèles numériques de terrain (M.N.T.) et les bases de données cartographiques (les Systèmes d’Informations Géographiques, S.I.G.)… La troisième partie essayera de montrer que le raisonnement analogique et homologique mené tout au long de la seconde partie, peut être modélisé par l’intermédiaire du modèle fractal log-périodique développé par Laurent NOTTALE (NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000 ; http://wwwusr.obspm.fr/~nottale/arGNCaix.pdf) dont le support est un espace-temps fractal (NOTTALE, 1998) à partir duquel on définit la relativité d’échelle (NOTTALE, 1998).

L’objet « motte » dans une perspective « transmoderne »
Figure 4. L’objet « motte » dans une perspective « transmoderne »






1. Un objet d’étude commun : la « motte »

1.1. La motte vue par chaque discipline

1.1.1. La motte, un objet historique

    Traditionnellement, on écrit que les luttes du Xe siècle ont engendré à la fin du Xe siècle une forte croissance, peut être exponentielle, d’un nouveau type de fortifications : le château. Il s’agit d’une fortification individuelle construite pour un seigneur (le chef) et sa mesnie (ses guerriers), couplée avec une basse-cour peuplée pour abriter les habitants-paysans. Le « château à motte » paraît être l’instrument de la révolution castrale. Les châteaux à motte seront en pleine activité du XIe au XIIIe siècle, après ce type de construction sera abandonné.

    Au XIXe siècle, quelques archéologues ont différencié les tumuli pré-historiques des mottes castrales médiévales. On différencie une motte d’un tumulus par la présence d’un fossé, c’est-à-dire par un caractère défensif. Les premières études sont celles d’Arcisse de CAUMONT et de Camille ENLART. Ils ont analysé quelques chroniqueurs et la broderie de Bayeux. Ils en ont conclu que les mottes sont « un des plus anciens types de châteaux féodaux. »39. Toutefois, à cette époque, les mottes étaient étudiées très rapidement, au profit des châteaux en pierre, toujours visibles, qui sont la marque d’une histoire continue et connue. Après ces premières analyses, les historiens de la société, entre la fin du XIXe siècle et les années 1970, ignorent les mottes et les châteaux de pierre, le support matériel ne pouvant faire l’objet d’une objectivation scientifique. Depuis les années 1970, les « mottes » et les « fortifications » semblent de nouveau intéresser les historiens, mais surtout les archéologues40. Le château est devenu une source historique, nécessaire à l’étude de la châtellenie, du peuplement, créant des bourgs castraux et des réseaux de communication, du cadre de vie de la société courtoise et du marchandage, car le château fut pendant un temps, une marchandise précieuse. La motte devient un objet d’étude à part entière. Avec Gabriel FOURNIER et Michel de BOUARD, elle est devenue un objet scientifique.

    Les historiens débattent sur la définition du terme. Le mot « motte » vient du latin motta qui signifie l’aspect concret du site fortifié. « L’acte de naissance du château à motte se situe donc dans le courant du Xe siècle, avec un coefficient de certitude satisfaisant » (ROCOLLE, 1994, p. 40). Le terme semble apparaître pendant la seconde moitié du XIe siècle, mais la construction de châteaux sur une hauteur est mentionnée par des périphrases avant 1040. Michel BUR (1999) pense que FLODOARD41 (893/894-966) désigne la motte par le terme munitio. Pour lui, les premiers châteaux sont en bois parce qu’ils coûtent moins cher. À cette idée, il faudrait ajouter que, vraisemblablement, ils le sont car on ignorait combien de temps ils allaient servir. Le terme est rarement cité par les contemporains : en 1040, sur l’acte de fondation de la Trinité de Vendôme ; en 1041, sur l’acte du cartulaire de l’abbaye de Saint-Maixent où il est écrit « castrum qui dicitur mota » (La Mothe-Saint-Héraye) ; et au XIIe siècle, chez les chroniqueurs ORDERIC VITAL et SUGER. Au terme « motte », on préfère castrum, ?castellum, munitio pour désigner des fortifications diverses. Michel BUR (1999) définit le castrum par un espace relativement vaste, le terme signifie « trancher, couper du reste ». Le castellum42, toujours défini par cet auteur, est une résidence privée d’un lignage, c’est un espace de moindre dimension, plus facile à défendre.

    Pour André DEBORD, « il s’agit […] de tertres, qui peuvent être constitués de terre rapportée et, donc, être entièrement artificiels. Mais, en fait, assez souvent, le tertre comporte une partie naturelle, un moyen rocheux retaillé et complété par des apports extérieurs. Il est presque toujours entouré d’un profond fossé et l’ensemble consiste – indépendamment des constructions de bois ou de pierre qu’il porte à son sommet – en un élément défensif puissant, avec une douzaine de mètres de dénivellation entre le fond du fossé et le sommet du tertre » (DEBORD, 2000, p. 63). Pour Michel BUR, « ce tertre artificiel, fait partiellement ou totalement de main d’homme, soit par accumulation de terre, soit par remaniement d’un relief, est toujours entouré d’un fossé. […] La terre arrachée au fossé sert à construire le tertre, qui peut aussi, exceptionnellement, être érigé en deux étapes à partir d’une petite enceinte circulaire comblée » (BUR, 1999, p. 31). Le diamètre à la base est compris entre 30 et 100 mètres, le diamètre au sommet, entre 10 et 60 mètres et la hauteur tourne autour de 20 mètres.

    Pour Dominique BARTHELEMY, c’est un « amas de terre de forme tronconique servant de fortification ; souvent flanquée d’une baile (ou basse-cour) » (BARTHELEMY, 1990, p. 287). Pour André CHATELAIN, il s’agit d’un « monticule naturel ou plus souvent artificiel, destiné à porter une fortification » (CHATELAIN, 1996, p. 108). Pour Jean-Marie PESEZ, le château à motte est un « une butte artificielle, circulaire et tronconique » (DROM, p. 179-198). On pourrait cumuler les auteurs qui ont cherché à définir le terme. Ce qui était important à remarquer, c’est que la définition du terme se trouve généralement dans celle de « château ». Rares sont les auteurs qui ont défini le terme « motte » pour lui-même. Dans les auteurs cités, il n’y a que Dominique BARTHELEMY (1990) qui différencie dans son lexique « château » et « motte ». L’expression dans laquelle se trouve le terme est de deux natures soit l’auteur emploie « château à motte », soit il emploie « château sur motte ». La première expression lie implicitement la construction défensive à son support : la motte de terre, ce qui signifie que la construction de la motte et celle du château sont étroitement liées. Le château et sa motte sont étudiés ensemble, formant un tout : pas de château sans motte, pas de motte sans château, tandis que « château sur motte » matérialise plus un intérêt pour le château construit, achevé, et non pour son support de construction qu’est la motte.

Organigramme 1. Rappel épistémologique sur l'objet d'étude « motte »

1.1.2. L’archéologie et les mottes

    Les historiens laissent aux archéologues l’effort de recensement des mottes qui a été déployé dans le but d’en dresser l’inventaire et d’en programmer l’éventuelle fouille. La problématique d’étude est simple : pourquoi le nombre de sites aristocratiques et fortifiés augmente-t-il fortement à la fin du Xe siècle ? Quelles sont les fonctions de ces mottes si nombreuses ?

    La motte est une résidence fortifiée de l’aristocratie châtelaine. C’est le point de départ de nombreuses châtellenies. La fonction de résidence est liée à une fonction politique. Sont-ce des résidences privées ou publiques ? On possède la mention et l’existence de mottes d’attaque ou de siège. Il existe des petites mottes avec des tours de guet. Les mottes sont donc des objets multifonctions. « Une des grandes acquisitions de l’archéologie médiévale de ces trente dernières années a été d’attirer l’attention sur les mottes : il s’est ainsi développé une recherche qui a permis de renouveler complètement la problématique historique. L’importance des châteaux de terre – et, en particulier, de la motte, qui restera comme le symbole de l’essor de la fortification individuelle et de la révolution castrale – ne doit cependant pas faire oublier que celle-ci s’est accomplie de bien d’autres façons et en s’appuyant sur d’autres formes castrales » (DEBORD, 2000, p. 77). L’auteur rappelle qu’il y a au moins deux structures connues : la motte dans la France du nord et les roqua dans la France du sud ou en montagne.

    Les archéologues préfèrent l’expression « château à motte ». Certains abandonnent même le terme « château » pour celui de « motte » tout court. L’objet « motte » prend son indépendance par rapport au château. Cela se justifie par le fait que, dans la logique chronologique, on a d’abord construit la motte de terre avant de construire le château, mais qu’est-ce qui prouve qu’elle a été élaborée peu avant de la construction de ce château ? Généralement, rien. D’où l’intérêt d’étudier cette structure pour elle-même. À partir de là, les archéologues interviennent, mais malheureusement peu de mottes ont été fouillées en France.

1.1.3. La motte, une forme spatiale ?

    La motte est une forme saillante et prégnante qui se déploie dans l’espace géographique. Elle peut donc faire l’objet d’une étude géographique. Cette forme s’est cristalisée aux alentours du Xe-XIe siècles en Occident, comme un symbole de pouvoir, à un moment où il n’existait plus de pouvoir central suffisamment puissant pour assurer la sécurité et, plus généralement, l’organisation de l’espace occidental médiéval. C’est un processus de différenciation spatiale par fragmentation et cela se traduit dans le processus de la construction des mottes. La motte est avant tout une production anthropique, c’est ce qui la différencie des buttes témoins en géomorphologie, par exemple. Généralement, la motte est tronconique, et sert de support à un bâtiment à caractère défensif. Si la motte de Boves est un objet géographique, elle structure alors un espace à des niveaux différents. D’abord, elle structure la cohérence du complexe castral et prioral. Puis, elle est un verrou dans l’Amiénois primitif43. On constate grâce à l’étude historique qu’elle perd progressivement son statut de verrou, au profit notamment d’Amiens. Le problème est que les premiers résultats de la fouille ont montré un accroissement de la taille de la forteresse, alors que, visiblement, sa fonction défensive était fortement compromise à partir du XIIIe siècle. Comment l’expliquer ? Seul un emboîtement scalaire peut l’expliquer. La motte de Boves a survécu grâce à la dymanique spatiale dont elle a fait parti aux XIIIe-XVIe siècles. C’est ce qu’essayera de montrer ce mémoire. Cette étude passe par un essai de modélisation de la morphogenèse de la motte de Boves, c’est-à-dire des causes de la cristallisation du champ morphologique de la motte, mais aussi par un essai d’explication de l’évolution spatio-temporelle de l’espace interne et externe de la motte du Xe au XXIe siècle, mais avant de poursuivre le raisonnement, il faut envisager les outils qui sont utilisables pour cette étude.

    En conclusion, on peut dire qu’une motte castrale est une forme spatiale qui émerge au Xe siècle p.-C., suite à la désagrégation de l’empire carolingien. Quelles méthodes peut-on utiliser pour étudier cet objet « motte » ? Il existe trois approches : l’approche morpho-historique, l’approche morpho-structurelle et l’approche morpho-spatiale.

1.1.4. De l’approche morpho-historique à l’approche morpho-spatiale

1.1.4.1. L’approche morpho-historique (CHOUQUER, 2000)

    L’histoire ne propose qu’un concept empirique basé sur une approche morpho-historique qui a été critiquée par Gérard CHOUQUER. C’est ce qu’il appelle la « raison morpho-historique »44 (CHOUQUER, 2000, p. 9-16), c’est-à-dire la recherche d’une cause efficiente, établie par un « calcul », une « mesure », un « système » et un « concept », qui explique la morphogenèse. Face à cette « raison », la communauté scientifique a adopté deux positions : soit elle lui fait une « confiance aveugle », soit elle la « rejette viscéralement ». Gérard CHOUQUER a montré que cette méthode est complètement dépassée, ainsi il écrit que « la nouveauté d’il y a 80 ans est devenue académisme. C’est donc bien ailleurs qu’il faut chercher de nouvelles perspectives » (CHOUQUER, 2000, p. 16). Cette méthode est très originale puisqu’il montre qu’elle nie son objet d’étude. Comme les historiens sont des modernes, en voulant analyser par une approche cartésienne ces objets, ils ont été confrontés à deux apories : « soit ils [les morpho-historiens] se contentaient de rapprochements superficiels entre données archéologiques, données morphologiques et données textuelles, afin de pouvoir coudre les faits en un discours historiques […] [et] faire de l’histoire une discipline cadre […] car le fait archéologique ou morphologique étant par nature muet, il serait inférieur au fait textuel. […] Soit ils prenaient de plus en plus conscience de la spécificité des sources archéologiques et morphologiques, qui racontent d’autres histoires ne se satisfaisant, ni des thématiques, ni des chronologies de l’histoire institutionnelle et politique. […] Le chercheur devait renoncer à écrire l’histoire de son coin de campagne antique ou médiévale […] » (CHOUQUER, 2000, p. 10). De cette longue citation, il faut retenir que ce type d’objet comme la motte est nécessairement transdisciplinaire et nécessite d’une étude globale. Jusqu’à présent, on étudiait les formes à travers le prisme de la « révolution copernico-galiléenne des sciences humaines » (DOSSE, 1987, p. 91). Cela a abouti à un « paradigme géohistorique fixiste » (CHOUQUER, 2000, p. 21) mis en place par Fernand BRAUDEL. Cette méthode ne fait que rechercher des formes symboliques appartenant à des époques bien précises. C’est ce que l’on appelle la chrono-typologie, qui est basée sur une réduction cartésienne des formes observées : on découpe les formes qui interpellent tel ou tel historien de tel ou tel époque45. « A chacun sa forme » (CHOUQUER, 2000, p. 14). Or, un morceau de forme n’est pas une forme, et encore moins la forme à étudier. Ainsi, il faut « rechercher d’autres finalités pour nos études que le déterminisme chrono-typologique » (CHOUQUER, 2000, p. 11). Il ajoute qu’« on ne peut plus continuer à se trouver dans la situation où certains disent : cette forme existe, elle est née à telle date et a été produite par tel pouvoir ; tandis que d’autres rétorquent : cette forme n’existe même pas, c’est une vue de l’esprit » (CHOUQUER, 2000, p. 11). « Donc il y a abus d’une certaine histoire, linéaire, causale, typologique, éradicatrice du milieu. Et cet abus dessert singulièrement le propos de l’histoire en gommant la diversité des situations comme la durabilité évolutive des formes dans la diachronie » (CHOUQUER, 2000, p. 78). Cette méthode a été peu utilisée sur le site de Boves, mais il est bon de la rappeler, afin d’expliquer ce que ne sera pas ce mémoire.

1.1.4.2. L’approche morpho-structurelle

    Il y a, à ce sujet, un conflit ancien entre les historiens et les géographes. Les historiens rejettent les formes naturelles, qui ne leur paraissent pas régulières et périodiques. À force de rejeter les formes, Gérard CHOUQUER montre que l’on arrive à décrire un « monde sans formes » (CHOUQUER, 2000, p. 24). En conséquence, on est arrivé au paradigme suivant : les formes euclidiennes sont anthropiques et les formes non euclidiennes sont naturelles, ce qui est inexact aujourd’hui après la découverte de la géométrie fractale46. Des formes qui paraissent euclidiennes sont, en fait, non euclidiennes comme le réseau des rues d’une ville. Alors que faire sinon reprendre à zéro ces questions autour de la forme. Le problème est que les archéologues travaillent sur des formes qu’ils ne traitent pas pour elles-mêmes. En effet, la fouille peut être perçue comme une expérience morphologique : les formes mises à jour sont très différentes des formes attendues. C’est ce que Gérard CHOUQUER appelle « l’obsession de la forme parfaite »47 (CHOUQUER, 2000, p. 25). De plus, comment les dater alors que l’on ne peut dater que le substrat dans lequel elles sont imprimées. Autrement dit, quel est le programme, le processus, qui les a élaborées ? Actuellement, à part Gérard CHOUQUER, aucun archéologue ne s’est posé la question. « L’espace et le territoire sont digérés et transformés en simples faits chronologiques et politiques. L’espace n’est alors que du temps, synchronie et factuel. Mais c’est ainsi que la majorité des travaux des historiens traite l’espace » (CHOUQUER, 2000, p. 18). Il y a donc un « […] rapport vidé de substance entre le temps de l’historien et l’espace du géographe […] » (CHOUQUER, 2000, p. 18). Cette approche morpho-structurelle est celle qui a été essentiellement appliquée sur le site de Boves.

    Le complexe castral et prioral de Boves ne présente aucune caractéristique d’un point de vue structurel. La carte topographique dressée montre une motte et son fossé, protégeant deux basse-cours, dans lesquelles se trouvent le prieuré Saint-Aubert et les ruines d’une église du XIIe siècle. Une petite motte, non loin du prieuré, suscite toujours de vives controverses. Est-ce la motte du siège de 1185 ? Est-ce la motte primitive ? Autant de questions que l’on ne pourra résoudre qu’avec des fouilles et une étude approfondie de cette structure énigmatique. Du château, il ne reste que la tour sud-est en ruine. Le fossé a été en partie rebouché. Les sondages ont montré qu’il y avait deux fossés : un grand fossé sec de 20 à 25 mètres de profondeur et un petit fossé entourant la motte. Ce type de site est appelé éperon barré. Quand la motte a-t-elle été construite ? Quand le fossé a-t-il été construit ? A ces questions, peu de réponses peuvent satisfaire l’ensemble de la communauté scientifique. C’est pour cela que l’étude des structures est très importante. Avec l’analyse stratigraphique, on peut dater d’une manière plus ou moins précise les niveaux d’occupation, et avoir une fourchette chronologique des structures qui composent ces niveaux.

    Les fouilles ont montré qu’au moins cinq châteaux se sont succédé sur la motte de Boves du Xe au XIVe siècle. Cinq structures en cinq cents ans ! La première interprétation consiste à dire que ce point a été stratégique pendant 500 ans d’une manière continue. Toutefois, les données archéologiques de la période contemporaine ont montré que le point a servi lors des trois guerres franco-allemandes (1870, 1914-1918 et 1939-1945). L’approche morpho-structurelle est faite à partir des plans de masse dressés sur le terrain. Elle met en évidence des constructions en bois au Xe siècle, une construction mi-pierre, mi-bois, au XIe siècle, une première construction en pierre du XIIe au XIVe siècle et une deuxième construction en pierre du XIVe au XVIIe siècle. Au XVIIe siècle, le château devient une carrière qui exploite les pierres de parement des murs, pierres que l’on retrouve dans les caves des maisons bovoises. À la période contemporaine, le site redevient sporadiquement défensif. Des cadavres de 1870 ont été retrouvés, ainsi que des tranchées de la Grande Guerre. Il prend également une forme offensive puisqu’une base de D.C.A. a installée pendant la Seconde Guerre mondiale. Si on fait le bilan sur les structures, on a une occupation temporaire au Xe siècle, une occupation semi-permanente au XIe siècle, deux occupations permanentes du XIIe au XVIIe siècle, une occupation temporaire du XVIIe au XXIe siècle.

1.1.4.3. L’approche morpho-spatiale

    Gérard CHOUQUER propose un paradigme géohistorique dynamique. Il veut introduire l’idée que l’on ne peut étudier la forme spatiale qu’à travers une dynamique nécessairement spatio-temporelle. C’est la fin de l’histoire quasi-immobile de Fernand BRAUDEL. « Ainsi l’histoire instrumentalise l’espace. C’est-à-dire que les faits archéologiques épars sont eux-mêmes disciplinés par les formes, dont ils assurent la preuve et la date ; puis les formes servent d’expérimentation à une hypothèse historique déductive, qu’il s’agit de vérifier. On est ici dans une méthodologie doublement déductive, et une méthodologie hiérarchisée par l’échelle, puisque, plus la base spatiale est étroite, plus le fait est dominé. L’histoire s’offre toujours le plus grand territoire, la morphologie l’échelle intermédiaire, la fouille le plus petit espace. L’effet d’échelle, porteur de différences, est annulé par l’emboîtement, qui permet l’intégration des niveaux. Mais on n’est même pas dans une méthode hypothético-déductive, puisque le principe de départ, à savoir que l’histoire ordonne et donne le sens, n’est pas réexaminé en fin de relevé. Autrement dit, le cadre historique et le rapport morphologique entre voie et éventuels réseaux ne fonctionnent pas comme un modèle hypothétique mais comme un cadre intangible qu’on doit remplir. C’est un donné déterminant, posé en tant que tel » (CHOUQUER, 2000, p. 47). Ainsi, l’étude d’un site archéologique passe nécessairement par une étude multiscalaire, qui a été développée de manière intuitive en géographie, et qui a été formalisée par la géométrie fractale. Une forme dans l’espace se déploie à plusieurs niveaux. Une résolution permet de limiter son existence. Cette forme et l’espace géographique interagissent ensemble. L’étude de la motte de Boves doit nécessairement passer par une étude approfondie de son organisation spatiale aussi bien d’une manière locale que d’une manière globale, mais cette approche ne peut être envisagée que si l’on admet qu’il existe un ordre scalaire, qui permet de structurer l’emboîtement des échelles. Cet ordre peut être établi par un outil qui s’appelle la géométrie fractale.

    Quelles que soient les approches envisagées, les trois disciplines se heurtent à des problèmes communs que sont ceux de la limite, de la caractérisation de la structure et de l’échelle dans laquelle se meut la forme étudiée (motte de Boves). Après avoir considéré les trois approches, il faut éclaircir, tant que possible, ce qu’est le temps et l’espace, concepts servant de support à celles-ci. Ainsi, pour privilégier une approche commune en histoire et en géographie à partir des données archéologiques, il faut nécessairement rappeler comment le temps et l’espace sont abordés dans les sciences en général, puis dans ces disciplines en particulier, ce qui permettra d’expliquer comment cette étude va chercher à montrer que l’objet « motte » est un objet complexe, potentiellement étudiable dans le cadre d’une pensée transmoderne.

1.2. Les concepts d’espace et de temps

1.2.1. Le statut du temps dans les sciences

1.2.1.1. Le temps vécu, le temps mesuré

    Chacun cherche à définir le temps, et ce depuis la Haute Antiquité, mais il est instable, éphémère alors comment le définir ? Généralement, on cherche d’abord à le mesurer. Ainsi, partout sur la terre, les hommes ont cherché tous les moyens pour réussir à mesurer de la manière la plus précise possible quelque chose qu’ils ressentaient. Pourquoi cette quête s’est-elle poursuivie de tout temps et en tout lieu ? Tout simplement parce que le temps est lié à l’existence de l’homme. On vit dans le temps et grâce au temps. Quand il s’arrête, c’est que l’être est mort. La définition du terme est aujourd’hui toujours vague. Toutefois à partir des connaissances techniques de notre civilisation certaines « réponses » ont été trouvées. Le temps est-il oxymore ? Il est « évident et impalpable », « substantiel et fuyant » et « familier et mystérieux » (KLEIN, 1995, p. 9-10), continu et discontinu, linéaire et cyclique. Krzysztof POMIAN souligne, lui, que « le temps est lui-même un objet temporel » (POMIAN, 1984, p. XIV). Comment alors mettre de l’ordre dans le temps ? « Le temps risque toujours d’être identifié aux phénomènes qu’il contient. Or ce qui s’écoule dans le temps n’est pas la même chose que le temps lui-même » (KLEIN, 2004a, p. 16).

    Les Anciens pensaient que l’histoire permettait de tirer les leçons du passé, et de ne plus reproduire les erreurs passées. Ils prônaient un modèle cyclique pour les événements historiques. La liberté humaine permettant alors d’agir sur les événements, c’est-à-dire de tirer des règles pratiques, des morales. Dans cette vision, le passé est supérieur au présent. HESIODE a conçu un temps cyclique, qu’il justifie par le mouvement des planètes. PLATON reprend cette idée en écrivant que « le temps […] est né avec le ciel… » (Timée), ce qui n’est pas sans rapport avec la mythologie : Kronos émasculant son père Ouranos (le ciel) qui fit un bon en hurlant de douleur, lâchant ainsi l’emprise qu’il avait sur sa femme, Gaïa (la Terre), et créant un espace intermédiaire où le temps s’exerce. PARMENIDE, lui, conçoit le temps comme étant quelque chose d’explicable. Pour lui, le mouvement est une succession de position fixe, c’est-à-dire qu’il décrit le mouvement par l’immobilité, le devenir n’est qu’une illusion. Enfin, ARISTOTE pense que, comme HERACLITE48, le temps est linéaire. Dans la Physique, il écrit que « le temps n’est ni le mouvement, ni sans mouvement ». Le temps est un mouvement structuré : un arithmos, c’est-à-dire quelque chose de mesurable, mais il a une vision discontinue du temps, fondée sur un fait topologique simple : il y a un avant et un après.

    Pour saint AUGUSTIN, les éléments constituant le monde sont la matière, le temps et la forme. Pour ce qui est du temps, il reprend l’opposition soulignée par PLATON et ARISTOTE à savoir, le temps vécu et le temps conventionnel. Cependant, pour saint AUGUSTIN, le temps vécu est défini par la notion de conscience (memoria) : le temps est quelque chose que l’on ressent dans son for intérieur, ce qui le différencie de l’antique vision du temps qui l’associait au cosmos. Le temps vécu est un temps subjectif qui donne naissance à l’idée de durée. Le temps conventionnel est un couple entre la mesure du temps et le trio : passé/présent/futur. Le temps a été créé par Dieu, c’est-à-dire que c’est un espace de création, qui s’oppose aux éternels (les anges…) qui constituent un non temps dans lequel se trouverait Dieu. Pour lui, la conscience permet de mémoriser les événements passés et de se projeter dans le futur c’est-à-dire que « le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est la vision ; le présent du futur, c’est l’attente. » L’originalité de saint AUGUSTIN a été de transformer la vision antique du temps, « définie comme chute, image immobile et pervertie de l’éternité, en une justification du temps comme espace de création et de sanctification, où l’existence peut se sauver parce qu’elle se relie à l’essence divine qui la crée en la tirant du néant – le néant toujours menaçant et toujours attirant » (KUNZMANN, BURKARD, WIEDMANN, 1993, p. 71).

    Environ dix siècles plus tard, la définition n’a plus bougé dans la mesure où on ne possédait pas les moyens techniques de la faire évoluer. Au XIVe siècle, Guillaume d’OCKHAM (vers 1280-vers 1348) redéfinit ce qu’est le temps. En effet, l’horloge mécanique a été inventée, ce qui permet une expression géométrique du temps ; les chiffres arabes commencent à remplacer les chiffres romains, les livres d’heures se diffusent… Bref, tous les outils sont là pour mesurer d’une manière plus précise et plus rigoureuse le temps qui passe. Guillaume d’OCKHAM fonde sa théorie philosophique sur deux principes : le principe d’omnipotence et le principe d’économie. Le principe d’omnipotence met en avant la cause temporelle, qui est une forme de cause efficiente, c’est-à-dire que le monde est un enchaînement de faits contingents. Son but est de connaître le passé pour mieux maîtriser le futur49. Il invente la connaissance historique qui débouchera sur la recherche de la réalité et de la vérité historique autour de la notion de preuve documentaire. Ainsi, pour Guillaume d’OCKHAM, le passé est supérieur au présent. Il recherche des leçons dans l’histoire. Ces leçons ne peuvent s’inscrire que dans un temps cyclique, où les événements sont des modèles, des morales. Le principe d’économie est le suivant : « on ne doit jamais multiplier les êtres sans nécessité » (cité dans KUNZMANN, BURKARD, WIEDMANN, 1993, p. 89), c’est ce que l’on appelle aussi le « rasoir d’OCKHAM ». Pour lui, « recourir à l’universel pour expliquer l’individuel a pour seul effet de dédoubler artificiellement les êtres, sans expliquer quoi que ce soit, il s’ensuit que tous les principes qui ne sont pas nécessaires à l’explication d’une chose sont superflus et doivent être rejetés » (KUNZMANN, BURKARD, WIEDMANN, 1993, p. 89).

    A cela, Frédéric HEGEL s’oppose vigoureusement, « il n’y a pas de leçons de l’histoire ». Il montre que l’on ne peut pas à tirer d’enseignement de l’histoire c’est-à-dire réfléchir sur le passé pour construire des règles morales nécessaires au présent. Il propose un temps linéaire fondé sur la notion de progrès scientifique. Le monde est en train de se construire. Cela définit son sens. Il perfectionne ainsi le modèle proposé par saint AUGUSTIN. Pour lui, les événements historiques sont des situations uniques. Ils sont le produit de la rencontre entre un « grand homme » et une situation qu’il a comprise. C’est la célèbre théorie des « grands hommes » de Frédéric HEGEL. Ces grands hommes se différencient des « hommes passifs », qui sont ceux qui restent prudents. La compréhension du présent réside donc dans l’explication du passé. Hier, on en était là, aujourd’hui, on en est là, demain, on en sera sûrement là. Pour lui, le refuge dans le passé condamne le présent. Ce refus du présent peut conduire à des formes d’intégrisme et de traditionalisme. Bref, qui a peur du présent, a peur de la vie. Frédéric HEGEL propose, en fait, une méthode analytique, fondée sur la rationalité des faits.

    Henri BERGSON complète l’explication en proposant une « évolution créatrice », qui montre que, de temps en temps, l’homme est suffisamment libre pour agir sur le temps, pour créer l’avenir. L’idée de Henri BERGSON est une adaptation de la théorie de l’évolution de Charles DARWIN. Pour lui, tout est déterminé, mais l’homme possède parfois dans sa vie des moments de liberté. Le présent est le « moment », c’est-à-dire qu’une durée étendue dans le temps est une somme de « plusieurs instants ». Le présent est de deux natures : « instant mathématique » et « une certaine épaisseur de durée ». La durée est elle-même composée de deux temps : un temps objectif et un temps subjectif. Le temps objectif est un temps homogène, un temps conventionnel, un temps mesuré, quantifié. Le temps subjectif est un temps vécu par la conscience, un temps hétérogène, un temps ressenti. Grâce à la durée, le concept de « passé immédiat » est prouvé : il s’agit d’avoir été conscient de ce qui vient de se passer et de comprendre qu’une situation présente fait appel à une adaptation réalisée par des connaissances et des savoir-faire acquis dans un passé plus ou moins lointain.

    Toujours est-il que dans toutes ces définitions, on voit que le temps n’a qu’une dimension50, au sens mathématique du terme. Il est généralement représenté par une droite, qui ordonne les événements historiques de manière continue. Le temps est pourtant divisible en deux sentiments que Etienne KLEIN51 (1995) décompose en deux termes : le chronos52 et le tempus53. À partir de là, l’histoire peut devenir un concept qui « suppose que le monde se modifie au cours du temps » (KLEIN, 1995, p. 22). L’histoire est une discipline sans lois. « C’est l’un des avantages de l’histoire que de pouvoir s’opposer, par la seule force des dates, aux généralisations, aux théories et aux lois. Les dates sont des chiffres, donc cette sorte de langage qui, en notre époque de confusion des langues, demeure accessible à tous, aux êtres les plus simples comme aux cervelles les plus marquées par les diverses sortes de déformations idéologiques, politiques, philosophiques, voire socio-culturelles. […] la date […] est elle-même aussi irréfutable que celle du premier pas sur la lune, aussi stable qu’une loi mathématique […] » (PERNOUD, 1979, p. 101). En effet, une loi est quelque chose d’immuable et de stable, ce qui veut dire que l’histoire n’existerait plus, mais l’histoire en tant que discipline scientifique ne peut se passer de théories. Ainsi, les historiens se sont acharnés à élaborer des théories sans lois. Cependant, on peut constater que dans toutes les époques, il y a des permanences. L’emploi de ce terme a permis d’éviter d’utiliser le mot « loi ». Deux visions du monde s’opposent : le monde comme histoire et le monde comme système, conclut Etienne KLEIN (1995), mais les objets qu’étudient l’histoire sont la plupart du temps des systèmes.

1.2.1.2. La notion d’« évolution »

    L’évolution demeure l’idée essentielle du temps. Elle est étroitement liée au fait que le temps est linéaire et continu. Cependant, on possède très peu de théories de l’évolution : la théorie de Charles DARWIN et la théorie de Laurent NOTTALE, pour l’essentiel. La théorie de Charles DARWIN prétend que la « descendance avec modification est soumise aux aléas de l’environnement ». Autrement dit, il propose une évolution très lente dans le temps, dont la cause essentielle est le hasard, le milieu local agissant comme un sélecteur en permettant la survie des organismes ayant subi des modifications en phase avec lui, et inversement. Elle possède trois idées clés : l’irréversibilité, l’événement marquant et la cohérence. L’irréversibilité existe à tous les niveaux. L’événement marquant doit rendre intelligible l’évolution, mais il renvoie à une série de micro-événements. Irréversibilité et événement baignent dans une cohérence de deux natures : elle est continue et résiste à l’événement. Dans cette théorie, le passé, jalonné d’événements marquants explique le présent. Avec la découverte du matériel génétique, on sait maintenant qu’un programme est cœur du processus évolutif biologique. L’idée d’évolution par ce matériel fonctionne grâce aux mutations génétiques. Selon Motoo KIMURA et Tomoko OHTA (1971), il y a trois types de mutations : les mutations avantageuses, les mutations désavantageuses et les mutations neutres qui composent le nombre de cas le plus important par rapport aux deux autres. L’évolution est réduite à la forme la plus simple d’un programme stochastique. L’histoire obtenue se présente sous la forme d’un arbre, dont la longueur des branches correspond au nombre d’événements de substitution. Dans cette approche de l’évolution, le moteur correspond aux flux d’énergie c’est-à-dire « le temps » du hasard des mutations génétiques. L’histoire se trouve très avantagée par cette vision de l’évolution. Elle étudie l’équivalent des mutations avantageuses et des mutations désavantageuses pour les sociétés et les hommes qui les composent. La théorie de Laurent NOTTALE sera largement évoquée dans la troisième partie de cette réflexion. Elle formalise l’évolution par une équation : Tn = TC + (T0 – TC)g-ng = k1/2, où k est le nombre d’embranchement, où TC est le temps critique, où T0 est le temps servant d’origine à la suite numérique. Il est clair que les approches de Charles DARWIN et de Laurent NOTTALE (2000) sont partiellement incompatibles. Il faudra un jour trancher. Toute théorie est « mortelle », car elle est toujours dépassable.

    54Un des modèles envisageable pour initier l’évolution est celui du big bang55. C’est un modèle expliquant la naissance de l’univers, donc du temps. Il existait deux théories expliquant la naissance de l’univers au XIXe siècle : celle d’Albert EINSTEIN qui propose un univers clos et statique et celle de Willen de SITTER où l’univers est infini et de densité nulle. Au XXe siècle, on apprend que l’univers est en expansion grâce aux travaux, en 1922, du soviétique Alexandre FRIEDMANN et, en 1927, de Georges LEMAITRE, qui proposent des solutions à la relativité générale. En 1929, Edwin HUBBLE redécouvre de manière empirique la loi qui porte son nom et qui valide l’idée d’élargissement des galaxies les unes par rapport aux autres. Les modèles du big bang proposent une expansion cosmique se déroulant depuis une durée de temps finie, c’est-à-dire que l’univers a un âge et que l’expansion se déroule depuis une durée finie. On estime l’âge de l’univers entre 13,7 et 11,2 milliards d’années. La Terre ne s’est comportée en système fermé que depuis 4,5 milliards d’années environ. À ce moment, le noyau de la Terre devait déjà être formé. Cependant, à partir de là, deux problèmes se posent. Le premier est simple : raconter une histoire n’explique pas ce qui l’a provoqué. Il faut essayer de reconstituer les contextes antérieurs à l’explosion, une somme d’événements originaux c’est-à-dire la genèse, l’origine de l’histoire racontée, « le passage du non-être à l’être » (KLEIN, 2004b, p. 3). Le second problème est celui de l’origine qui « correspond à l’émergence d’une chose en l’absence de cette chose : rien n’est encore, puis soudain quelque chose advient » (KLEIN, 2004b, p. 3). Toutefois, la question de l’origine absolue reste une question métaphysique, « décrire l’origine, par exemple de l’univers consisterait à élucider son émergence de quelque chose qui n’était pas un univers. » (KLEIN, 2004b, p. 4) et « parler de l’origine du temps devrait conduire à situer le temps dans une sorte de « non-temps » ! » (KLEIN, 2004b, p. 4). D’un point de vue philosophique, c’est une sorte de retour à saint AUGUSTIN, mais « les apories qui en résultent semblent indépassables, mais on fait semblant de les résoudre en pratiquant des détours, des déplacements, des jeux de langage qui nous autorisent à raconter, non pas l’origine absolue, mais la suite des naissances et des enfantements qui ont succédé à cette origine. » (KLEIN, 2004b, p. 4), ce qui signifie que tout serait né d’une sorte de « cuisse de Jupiter ». Or, « on ne peut raconter une création qu’en accréditant au processus en question sa propre antériorité. Loin d’être un fondement, tout commencement requiert d’être lui-même fondé. Pour progresser, il faut donc invoquer, à chaque nouveau pas, une nouvelle cuisse de Jupiter » (KLEIN, 2004b, p. 4).

    Après avoir vu, d’une manière non exhaustive, comment les hommes ont progressivement réussi à mesurer le temps, il faut répondre à la question suivante : pourquoi est-il nécessaire de dater un objet d’étude56 ? A cette question, il y a trois réponses possibles. La première est qu’un objet doit être replacé dans son contexte initial. La datation permet de comprendre l’existence d’un objet. Enfin, elle permet d’expliquer une période bien précise. La datation se décompose en deux catégories : la datation par des sources écrites et la datation par des méthodes statistiques des objets découverts à l’occasion de fouilles, par exemple. Pour ces derniers, la datation précise est quelque chose de récent. Elle ne date que de 1967, où la seconde est fixée par un décret international à « la durée de 9 192 631 770 périodes du rayonnement correspondant à la transition entre les deux niveaux d’énergie hyperfins de l’atome de césium 133 dans son état fondamental »57. Grâce à ce décret, la datation objective est possible, même si les erreurs peuvent toujours advenir. De cette référence au césium prise comme valeur absolue découle l’idée de datation absolue et en contre point celle de datation relative qui n’établit que des antériorités. À partir de là, les techniques de datation58, comme le carbone 14, la thermoluminescence, la dendrochronologie, et bien d’autres, sont possibles. Les sources écrites permettent de donner une chronologie des événements historiques. Toutefois, il est paradoxal de constater que sans les lois physiques, mathématiques, la datation historique serait impossible ! La chronologie de l’histoire repose donc sur des cycles physiques qu’elle a du mal à prendre en compte. Pour le montrer, il faut expliquer la théorie de Fernand BRAUDEL.

1.2.1.3. Le temps historique moderne

    Aux XVIIIe-XIXe siècles, le temps historique était factuel, seul le récit dans l’ordre chronologique comptait. Au début du XXe siècle, avec les Annales, le temps historique est devenu synthétique. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le temps historique se découpe en temps local et en temps global, avec la mise en avant, parfois excessive, de la micro-histoire. La science historique moderne des Annales trouve sa légitimité dans deux grandes pensées. L’une est philosophique, elle est due à Frédéric HEGEL et à Henri BERGSON. L’autre est mathématique et physique. En effet, les sciences dites dures sont toutes fondées sur le temps comme le note Etienne KLEIN, « on retrouve dans tous les domaines scientifiques une même démarche « datative », à la précision récente. » (KLEIN, 2004b, p. 3). Grâce à ce temps arithmétique et physique, l’histoire trouvait naturellement sa place.

    Cependant, la science historique a dû attendre Fernand BRAUDEL59 pour qu’elle ait enfin une théorie sur le temps historique. C’est la fameuse théorie des trois temps : le temps géographique (ou l’histoire quasi-immobile), le temps social (ou l’histoire collective soumis à la conjoncture) et le temps individuel (ou l’histoire événementielle). C’est ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui, le temps braudélien. Fernand BRAUDEL propose une histoire structurelle, qui rentre dans le projet de Claude LEVI-STRAUSS. Le temps historique est articulé autour d’un concept : la longue durée. C’est désormais clair, l’histoire étudie les évolutions lentes. Le concept de la longue durée trouve ses racines dans l’évolution des espèces de Charles DARWIN, adaptée en sciences humaines par Henri BERGSON. Le temps géographique est le temps géomorphologique, or il faut rappeler qu’au moment où Fernand BRAUDEL formule sa théorie, la géographie est toujours une géographie vidalienne, et non la géographie spatiale actuelle. C’est une première difficulté pour la théorie. Le temps social a été central jusque dans les années 1980. À partir des années 1970, le temps individuel a engendré ce que l’on appelle la micro-histoire, formant un nouveau temps inférieur à ce temps individuel, tel que l’avait conçu Fernand BRAUDEL. Cette micro-histoire, en plein essor, est un dépouillement d’inventaires. Les historiens auraient-ils oublié la phrase de Lucien FEBVRE : « être un historien qui se pose des problèmes, au lieu d’épuiser des inventaires » ?

    La théorie de Fernand BRAUDEL ne peut être valable que si l’histoire se cale sur le « temps physique » de Galiléo GALILEE60. Père de la modernité, c’est lui qui transforme le temps en variable mathématique61. Autrement dit, le temps devient un être quantifiable. Cette idée a été formalisée par Isaac NEWTON : « […] celui-ci [le temps] n’a qu’une dimension. L’argument était simple : un seul nombre suffit pour dater un événement physique. Il n’y a qu’un seul temps à la fois. » (KLEIN, 2004a, p. 67). Si le temps n’a qu’une dimension, cela veut dire qu’un nombre équivaut à une date, et une seule, ce qui signifie que le temps est une structure ordonnée. Le temps a une structure topologie très pauvre puisque l’on ne propose que deux variantes : le temps linéaire et le temps cyclique, ce qui revient à dire que le temps a pour figuration une ligne géométrique, ouverte ou fermée, qui matérialise un temps continu. L’histoire n’échappe pas à la règle. Sa vision du temps est linéaire et continue. Henri BERGSON souligne une grande difficulté : si le temps est une ligne, alors on le spatialise ; si on le spatialise, alors on le nie, ce qui revient à dire que pour établir une « forme du temps », il faut avoir une vue extérieure sur le temps. De plus, le temps vécu de l’histoire est manifestement irréversible : on ne peut jamais revenir en arrière. Une action a toujours une conséquence, même si elle nous échappe. Cela étant, la méthode d’analyse de l’histoire se fonde paradoxalement sur le temps réversible de Galiléo GALILEE. Toutefois, la thermodynamique a montré que si le temps existe, il devrait posséder une flèche qui permet de passer de l’improbable au probable, de l’ordre au désordre. Cette irréversibilité ramène la physique à une pure géométrie, c’est-à-dire à une forme sans histoire, ce qui n’est pas sans déplaire à la physique puisqu’elle recherche des structures atemporelles qui permettent d’établir des lois éternelles (KLEIN, 1995). Cependant, le temps physique et le temps psychologique définissent le présent de manière différente. Pour la physique, le présent est synonyme d’instant zéro. Pour l’histoire, le présent entre dans le schème : passé/présent/avenir.

    Aujourd’hui, le temps braudélien a été mis à mal par différents auteurs. Dans les années 1990, Jacques REVEL avait organisé un colloque entre les partisans de la micro-histoire et les partisans de l’histoire globale. Cette réunion a donné lieu à une publication en 1996 qui soulève le problème de l’articulation des échelles entre les trois temps. Gérard CHOUQUER, en 2000, a montré les limites de l’histoire quasi-immobile, dans la mesure où la géographie actuelle, est une géographie de l’espace. La systémique a été appliquée en histoire dans les années 1970 par Emmanuel LE ROY LADURIE, mais cette nouvelle approche a eu peu de succès en histoire car elle suppose l’abandon d’un des piliers de l’histoire, l’abandon de l’idée du libre-arbitre de l’homme, puisque le système social serait contraignant et supérieur à la somme des individus qui le compose. Cela étant, la systémique connaît un renouveau depuis les années 1990 autour du rapport entre histoire locale et histoire globale. Cette vision récente du temps historique est fondée sur l’abandon des temps géographique et social de Fernand BRAUDEL. Le problème reste cependant entier : comment articuler l’histoire globale et l’histoire locale, sans les opposer ?

    La crise de l’histoire date du début des années 1990. Elle est généralement interpréter comme la querelle séculaire entre l’histoire et la sociologie, mais la crise ne serait-elle pas plus profonde que cela. En 1990, Bernard LEPETIT propose le choix de l’interdisciplinarité dans les sciences de l’homme dans un « processus maîtrisé d’emprunts réciproques, […], de concepts, de problématiques et de méthodes pour les lectures renouvelées de la réalité sociale » (cité dans POIRRIER, 2000, p. 16). Gérard MONNIER et Jean-Yves ANDRIEUX remarquent une forte concurrence entre l’histoire culturelle et l’histoire de l’art. De même, la pertinence du lien entre l’histoire et la géographie est de plus en plus remis en question. Cependant, cet attachement demeure une singularité française. On constate aussi une crise de l’histoire structuraliste de Georges DUMEZIL. En bref, tout cela tourne autour d’une question qui marque bien le changement d’époque, d’ère peut être, dans lequel nous sommes entrés. Quels usages sociaux peut-on faire de l’histoire dans nos sociétés contemporaines ? Pour Antoine PROST (1996), l’histoire n’a plus, et n’a pas besoin d’avoir, de fonctions sociales. Autrement dit, si on pousse son raisonnement jusqu’au bout, l’histoire perd son statut scientifique puisqu’elle ne possède plus aucun projet susceptible d’intéresser la société ! En se coupant du grand public, elle empêche la diffusion de ses découvertes et le renouvellement de ses chercheurs. Ce qui signifie que « faire de l’histoire pour l’histoire » peut conduire à une marginalisation de la discipline. Cependant, cette crise de l’histoire est fondée sur un fait tellement évident que peu de personnes y ont songé. L’histoire n’explique plus le temps présent, c’est ce que Roger CHARTIER appelle la « crise de l’intelligibilité de l’histoire » (CHARTIER, 1998, p. 9). Si une science ne répond plus à un besoin sociétal, elle est condamnée à disparaître, car son message ne sera plus compris par le grand public. Paolo VIRNO a pulvérisé le choix de la micro-histoire62 seule. Pour Philippe POIRRIER (2000), la crise est plus terre à terre. Elle repose sur quatre idées : « le caractère supposé « scientifique » de l’histoire », « la validité du modèle quantitatif », « la vraie nature du document historique » et « le statut du récit historique » (POIRRIER, 2000, p. 92). Tous ces problèmes sont, en réalité, périphériques. Le problème fondamental est que l’histoire demeure une science moderne. Si la modernité est en crise, l’histoire l’est aussi. De facto, comment passer d’un temps historique moderne à un temps historique entrant dans la pensée « transmoderne » ? Ce nouveau temps permet-il de résoudre cette crise de l’histoire, s’il y a effectivement une rupture profonde ?

    Après avoir rappelé, l’ambiguité de la définition de ce qu’est le temps puis ce qu’est l’évolution, son cadre d’étude privilégié, il faut essayer d’éclaircir le concept d’espace.

1.2.2. Le statut de l’espace dans les sciences

1.2.2.1. L’espace, un concept flou

    Le concept d’espace est aussi flou que celui du temps. Qu’est-ce que l’espace ? A une telle question, le bon sens répondrait par un gallicisme : « L’espace, c’est… ». En réalité, il n’en est rien. Etymologiquement, le terme spaze apparaît au XIIe siècle avec la signification de « moment ». Jusqu’au XVIe siècle, il avait le « sens d’espace-temps ». La modernité va séparer l’espace du temps, et mettre ce dernier en avant. Le temps est lié à une cause efficiente. Si on fait le point sur quelques définitions trouvées dans Le Robert (1970), dans la Focus encyclopédie (1972) et dans le Petit Larousse en couleur (1989), on se rend facilement compte que le terme « espace » est très ambigu, polysémique. Sa définition est très vague. La situation de l’espace est historiquement plus problématique que celle du temps, puisque le terme a de toute époque été compris comme ayant plusieurs dimensions, alors que la complexité du temps n’a été découverte qu’à la fin du XXe siècle, au début du XXIe siècle ! Toutefois, deux notions apparaissent. Ce sont celle de l’« étendue » et celle de l’« infini ». L’espace est une étendue infinie, et le Larousse ajoute, « qui contient et entoure tous les objets. » Cependant, même si l’espace est infini, on peut toujours travailler sur une portion d’espace, qui est une « étendue limitée à un certain nombre de dimensions », dans laquelle on peut mesurer « ce qui sépare deux points, deux lignes, deux objets. » Cette mesure nécessite une géométrie qui introduit une métrique et la notion de distance, qui permettent d’évaluer un écartement entre deux points, ce qui montre toute l’ambiguïté du terme, puisque cette définition peut correspondre à un intervalle de temps. L’espace peut être une « étendue dans le temps », ce qui est nécessaire, sinon on ne pourrait pas mesurer le temps. D’où l’idée de préciser la définition du terme soit par un épithète, soit par un complément du nom. Ainsi, chaque discipline a pu définir son espace. Surmontant ainsi la difficulté lexicologique du terme « espace », mais cette notion, comme celle de temps, est toujours controversée aujourd’hui. Peut-on avec l’avancée scientifique actuelle proposer une définition du terme en lui-même ?

    On peut diviser les espaces en trois classes : les espaces mathématiques (abstraits, construits, objectifs) que l’on peut établir avec des règles (axiomes, etc.), les espaces tangibles, matériels, explorés et explorables et les espaces psychologiques. Le premier est un ensemble de points muni d’une structure, le second et le troisième sont des expressions, des manifestations de cette étendue, c’est-à-dire de ce que nos sens en connaissent. Dans les espaces mathématiques, il y a d’abord les espaces vectoriels qui possèdent une infinité de dimensions entières, dans lesquels s’appliquent des mesures. Le deuxième type est celui de l’espace topologique qui ne possède pas de métrique, mais établit un rapport de position relative entre les différents points des structures composant cet espace. Pour Henri POINCARE, l’espace est forcément géométrique. Ce type d’espace a cinq propriétés. « Il est continu. Il est infini. Il a trois dimensions. Il est homogène, c’est-à-dire que tous ses points sont identiques entre eux. Il est isotrope, c’est-à-dire que toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles. » Les espaces possédant une dimension strictement supérieure à trois appartiennent à une géométrie dite non euclidienne. On les appelle aussi hyperespace. L’espace à quatre dimensions a été utilisé par Albert EINSTEIN lorsqu’il a résolu les équations de la relativité générale. Il crée un espace-temps, renouant ainsi avec le sens étymologique du terme « espace ». Aujourd’hui, avec Laurent NOTTALE (2000), on arrive à un espace-temps fractal, c’est-à-dire un espace à cinq dimensions, la cinquième correspondant à celle de l’échelle.

1.2.2.2. L’espace en sciences humaines

    En sciences humaines, l’espace pose, comme dans les sciences dites dures, un problème de définition. René DESCARTES rattache le concept d’espace à la notion d’étendue et d’immensité. Il introduit une notion d’échelle puisqu’il différencie l’échelle humaine, mesurable, définissable ; et les échelles non humaines immesurables, indéfinissables. Ainsi, dans sa définition, il émet l’hypothèse que l’on ne peut pas expliciter une partie du mot. Ernst CASSIRER distingue trois types d’espaces : l’espace mythique, l’espace théorique et l’espace esthétique. L’espace mythique correspond aux représentations spontanées. L’espace théorique correspond aux nécessités scientifiques. Enfin, l’espace esthétique prévaut dans les figurations artistiques. Pour Bernard BACHELET, « la nature de l’espace est énigmatique parce qu’il semble d’une part être pour les choses étendues l’extension même qui fait qu’elles le sont, mais parce qu’il semble aussi être un lieu vide dans lequel on peut mettre les choses étendues » (BACHELET, 1999, p. 3). Cette citation montre la complexité à définir ce qu’est un espace. Il est soit abstrait, soit tangible, avec ou sans limites. Bref, « le concept d’espace doit être conçu dans la multiplicité si et dans la mesure où, dans un espace, on peut en mettre un autre qui ne se confond pas avec le premier parce qu’il en diffère par une ou plusieurs propriétés » (BACHELET, 1999, p. 3).

    En sciences humaines, l’espace correspond à deux niveaux : un niveau emprunté aux sciences dites dures, à la physique dans la plupart des cas, et un niveau inventé par elles-mêmes : un espace phénoménologique. Ainsi, un espace se fonde sur l’abstraction mathématique, et un autre vers la psychologique des êtres humains, le premier servant de référentiel à l’autre. L’espace abstrait est composé de plusieurs couches. La couche théorique (ou mathématique) permet de positionner les autres espaces par rapport à un système de coordonnées. Les espaces physiques deviennent alors mesurables, quantifiables. L’espace physique et cosmologique d’Isaac NEWTON oppose la dynamique et l’espace absolu à un temps absolu, vrai, mathématique. L’espace-temps de Hermann MINKOWSKI (1864-1909), l’espace-temps-matière de la relativité générale d’Albert EINSTEIN, l’espace-temps fractal de Laurent NOTTALE sont autant d’espaces qui peuvent permettre de caler les différentes sciences humaines.

    L’espace phénoménologique est très vaste. Contrairement aux espaces mathématiques et physiques, il ne peut pas être déterminé par un système de coordonnées. Il est forcément déterminé par un rapport à quelque chose. Cet espace est d’abord un espace social, caractérisant les relations entre les êtres humains. C’est un espace de vie, parce que « la vie est une conquête d’espace ». Selon Jean PIAGET, il est psychique et psychologique. Il se décompose en trois parties : l’espace de l’action, l’espace de la perception et l’espace de la représentation mentale. Le quatrième espace est un espace mythique permettant de séparer le monde des vivants de celui des morts, mais aussi de séparer chez les morts, bons et mauvais. En effet, il y a un rapport ago-antagoniste entre « l’Au-delà » et « l’Ici-bas ». Enfin, le dernier espace est l’espace esthétique, espace propre à l’homme : celui de la création, celui dans lequel on peut agir sur les objets et les êtres, celui de la liberté.

1.2.2.3. L’espace géographique

    Dans la définition de l’espace de René DESCARTES, on perçoit grâce à l’ordre scalaire, que l’espace est un concept géographique. Dans la géographie vidalienne, l’espace a été souvent synonyme d’espace cartésien, faisant de la géographie une science du lieu. Cependant la géographie n’a d’intérêt que si elle prend en compte l’espace. Ainsi d’une science du lieu, on est passé, dans les années 1960, à une science de l’étendue. Ce fut le remède trouvé à une géographie vidalienne gisant complètement à l’agonie dans le panorama des sciences. Le mot « espace » a relancé la discipline. L’absence de définition du terme a scindé en deux la géographie humaine. De cette coupure, ont émergé la géographie culturelle et l’analyse spatiale. Une géographie physique résiduelle restant essentiellement la science du lieu vidalienne et une géo-chronologie. Pour exister, la géographie doit essayer de trouver une définition claire de son espace, afin de pouvoir redéfinir sa place au sein des autres sciences.

    Si nous partons du principe qu’il existe un espace géographique, comment le définir ? Quel est son intérêt ? Il est amusant de constater que la géographie, aujourd’hui, articule le concept d’« espace » avec celui de « territoire », ce dernier terme étant défini par le premier. En effet, un territoire est un espace non approprié. Cependant, avec cette approche, le problème reste entier. Que signifie le mot « espace » ? On ne le sait pas. L’unique certitude est qu’un espace n’est pas un territoire. La deuxième solution qu’a proposée la géographe a été d’expliquer le terme « espace » par un épithète ou un complément du nom, ajouté à celui-ci. La difficulté lexicologique est une nouvelle fois contournée par un stratagème. Cependant, toutes les autres disciplines possédant un aspect spatial, ont fait de même. Ainsi, bien que, devenue science de l’espace dans les années 1960, la géographie n’a jamais défini clairement son concept fondamental.

    Une réconciliation du lieu et de l’espace semble nécessaire aujourd’hui. En effet, la localisation est toujours le point de départ de toute étude géographique. Un objet géographique est localisé sur l’interface terrestre. On peut alors définir l’espace comme étant une somme de lieux. Ces lieux sont plus ou moins bien connectés entre eux par des voies de communication de nature différente. Ils peuvent être terrestres, aériens, aquatiques, subaquatiques ou virtuels… Ces chemins d’accès matérialisent une forme que l’on appelle réseau. Les lieux peuvent être considérés comme des variables ou des invariants grâce à leur position relative. Une dynamique propre à ces différents lieux explicite cette variation séquentielle. La notion temporelle expliquant pourquoi et comment tel ou tel endroit a été connecté avec tel ou tel autre. « L’espace […] n’obéit pas au sacro-saint modèle du centre et de la périphérie, mais il s’organise selon le modèle du réseau ; c’est un « tissu de nexus », une chaîne aux mailles fluides. L’espace n’est pas un pôle avec des marges, c’est une route ; avec un début et plus loin un infini. Le paysage reproduit cette image et la société s’ordonne sur elle » (DESMARAIS, 1998, p. 400). L’espace est un système plus ou moins complexe ayant une morphologie63.

    Le but principal de l’espace géographique est d’expliquer « pourquoi cet élément est là et pas ailleurs ? ». La position dans l’espace n’est donc pas neutre. L’espace est une cause à part entière. C’est par essence une question topologique. Pour la résoudre en partie, il faut étudier la position des points les uns par rapport aux autres. Le terme « point » ne convient pas à la géographie. Il faut lui préférer « lieu » ou « endroit » qui induisent une notion de surface, de volume, d’étalement, et des formes qui leur sont propres. Là, intervient la notion d’échelle, quelle est l’échelle la mieux adaptée pour décrire un phénomène ? L’échelle dans laquelle le géographe doit se placer dépend de ce qu’il veut montrer. Il doit par conséquent avoir un sujet ou une problématique, qui doivent s’articuler à des échelles différentes. Telle ou telle échelle expliquant mieux les problèmes posés. L’échelle représente également le niveau d’existence d’une forme. Elle consiste à faire émerger des bornes, des limites, en rendant visible ou invisible telle ou telle forme terrestre.

    En géographie, chaque chercheur a fait sa propre typologie de l’espace géographique. Ici, on en retiendra deux : celle d’Eric DARDEL (1990) et celle enseignée à Montpellier. Pour Eric DARDEL, père de la géographie phénoménologique, il y a cinq types d’espaces : l’espace matériel, l’espace tellurique, l’espace aquatique, l’espace aérien et l’espace bâti. L’espace matériel est l’espace des distances, celui dans lequel tout individu se meut. L’espace tellurique est un antimonde humain. Aujourd’hui, il en existe peu par rapport au passé : la forêt amazonienne, les grottes, les déserts… L’espace aquatique est celui de l’eau, considéré comme un fluide qui s’écoule dans le temps. L’espace aérien est l’espace des sens, celui où l’on perçoit le monde dans lequel on vit. L’espace bâti est l’espace artificiel, produit d’un aménagement humain. Pour des enseignants des années 1980 à Montpellier, il en existe quatre : l’espace terrestre, l’espace produit, l’espace vécu et l’espace perçu. L’espace terrestre est un donné aux hommes. Aujourd’hui, cet espace a été presque totalement transformé par l’humanité. L’espace produit est une modification de l’interface terrestre par les populations qui l’habitent. Toute la planète a été aménagée par l’homme. Cette modification passe nécessairement par la création d’une nouvelle forme. L’espace vécu essaye de comprendre comment un individu vit dans son espace géographique. L’espace perçu essaye de mesurer la qualité de l’espace, la qualité du positionnement.

    L’espace est un concept flou. Toutefois, à la différence du temps, une partie de celui-ci peut être objectivable via des outils comme la géométrie et la topologie. La géographie a construit autour de ceux-ci son propre espace. La découverte de « l’espace-temps » par Albert EINSTEIN permet de réconcilier deux concepts qui avaient été séparés par la « révolution copernico-galiléenne ». Ce mémoire essayant d’entrer dans le cadre de l’espace-temps, il faut définir et présenter brièvement l’utilité de ce dernier en archéologie, notamment.

1.2.3. L’espace-temps dans les sciences

1.2.3.1. La théorie de la relativité générale d’Albert EINSTEIN (1915)

    La relativité est un principe de la physique moderne qui existe depuis Galiléo GALILEE. Les lois de la nature doivent être les mêmes dans tous les systèmes de référence en mouvement rectiligne et uniforme les uns par rapports aux autres. Après avoir formulé une relativité restreinte, Albert EINSTEIN résout les équations de la relativité générale dans un espace-temps courbe à quatre dimensions. Il prouve, par cela qu’une géométrie ordonne l’univers, et détermine des forces. La trajectoire d’un corps dans l’espace-temps est contrôlée par la « présence massive du Soleil ». Aux causes efficientes et matérielles, s’ajoute une cause formelle, réintroduite dans l’explication scientifique. C’est pour cette raison que cette théorie a été surtestée. De plus, Albert EINSTEIN montre, par celle-ci, que le temps est « élastique », ce qui s’oppose au temps universel64 d’Isaac NEWTON qui séparait le temps de l’espace, confirmant la relation entre le temps et le mouvement qu’avait trouvé Galiléo GALILEE. Quelles sont les conséquences de cette découverte pour les sciences humaines ?

1.2.3.2. L’espace-temps en science humaine

    Le concept d’espace-temps est déjà relativement ancien. Il aura bientôt un siècle, tout en demeurant relativement peu connu des sciences humaines. Celles-ci l’ont ignoré, ne comprenant pas que leur calage sur les sciences dites dures en est profondément modifié. Les sciences humaines se sont toutes « modernisées » très difficilement. Certaines ne le sont que depuis une cinquantaine d’années. Comment peuvent-elles admettre que la science moderne qu’elles ont adoptée soit déjà en train de muter, et qu’il leur sera nécessaire d’entrer dans la perspective d’une pensée « transmoderne » ? L’espace-temps est de l’ordre de l’utopie en sciences humaines. Seules la géographie et l’archéologie de terrain ont produit quelques réflexions fondées sur ce concept, dans la mesure où elles sont constamment confrontées à des causes formelle et finale. En géographie, l’étude des dynamiques a été modélisée mathématiquement grâce aux travaux d’André DAUPHINE (1987 ; 1995 ; 2003), de Denise PUMAIN (1997 ; 2001) en particulier. En archéologie, l’étude a été faite par Gérard CHOUQUER (2000). Cependant, les autres sciences humaines n’y ont toujours que peu réfléchi, l’espace-temps étant perçu comme quelque chose de négligeable, face au seul temps qui explique tout, grâce à son « statut » de cause efficiente.

1.2.3.3. L’espace-temps en archéologie

    Gérard CHOUQUER développe la notion de modalité spatio-temporelle en archéologie. « On désigne sous cette expression quatre façons différentes de mettre en œuvre les rapports entre les sociétés et les milieux, dans la variété des temps et des espaces : synchronie ; diachronie ; uchronie ; hystéréchronie » (CHOUQUER, 2000, p. 188). Pour lui, « les faits morphologiques ont leur propre temps » (CHOUQUER, 2000, p. 123). C’est pour cela qu’il développe l’idée d’un « temps morphologique interne ». « On désigne par cette expression le temps propre aux transformations morphologiques. […] Il se développe dans les deux sens soit dans celui de la partition, soit dans celui du regroupement » (CHOUQUER, 2000, p. 190). Il est calé sur un temps non linéaire. Gérard CHOUQUER compte quatre modalités spatio-temporelles (CHOUQUER, 2000, p. 125-127). Elles se classent en deux catégories : les modalités hétérogénétiques qui sont sources de ruptures et de décalages, la synchronie et l’hystéréchronie ; les modalités homogénétiques qui sont sources de permanences dans les formes, la diachronie et l’uchronie. La synchronie est une « modalité spatio-temporelle qui permet d’analyser l’interaction d’éléments très divers qui sont actifs à un moment donné de l’histoire » (CHOUQUER, 2000, p. 190). L’hystéréchronie est une « modalité spatio-temporelle qui permet, en analyse des formes, de qualifier le décalage qui se produit quelquefois entre une structure spatiale et la formation sociale synchrone » (CHOUQUER, 2000, p.  188). La diachronie est une « modalité spatio-temporelle qui indique la pérennité et la continuité d’une structure dans la longue durée. Cette modalité détermine les temps les plus longs du rapport des sociétés à leur espace » (CHOUQUER, 2000, p. 187). L’uchronie est une « modalité spatio-temporelle qui se constate lorsqu’une structure ou un élément formel d’une structure imprime dans le sol un potentiel qu’un fait social fait rejouer à un moment imprévu de l’histoire du site. La modalité s’exprime alors soit par isotropie65, soit par isoclinie66 des formes » (CHOUQUER, 2000, p. 190).

    Cette approche spatio-temporelle passe par un abandon partiel de la causalité efficiente et de l’idée que les phénomènes soient réversibles, ce qui signifie qu’il faut « inverser nos démarches et faire de l’espace une source, [Cela conduira] donc [à] d’autres histoires émergentes du système, et apprendre, par exemple, à travailler sur les blancs, sur les structures en creux, qui sont les matériaux de choix de ces autres scénarios » (CHOUQUER, 2000, p. 126-127). Gérard CHOUQUER reprend l’idée de niveau dividuel67 et de niveau individuel68 de l’allemand Paul KLEE (1922). Le niveau dividuel peut être rapproché de la notion de « saillance » de René THOM, le niveau individuel, de celle de « prégnance ». Les niveaux dividuels sont inclus dans le niveau individuel. C’est le rapprochement des niveaux dividuels, grâce à une arborescence, qui crée le niveau individuel, c’est-à-dire une forme intelligible par l’esprit. Paul KLEE explique la naissance du niveau individuel grâce à une arborescence des niveaux dividuels. Cette idée peut être rapprochée des travaux de Laurent NOTTALE.

    Grâce à ces quelques éléments, on peut formuler le projet de l’archéologie comme étant l’étude de la permanence de l’occupation d’un lieu, ou en d’autres termes, un projet ayant pour support un espace-temps. De fait, elle doit utiliser une approche pour les sources écrites, ce qui a été réalisée à Boves par l’intermédiaire de deux thèses (LEBLANC, 2003 ; une thèse en cours), mais aussi une approche spatiale, qui a été exploitée, certes, mais insuffisamment par rapport aux possibilités qu’elle pourrait offrir à l’analyse archéologique. Cela revient à penser comme un géographe, c’est-à-dire que le positionnement spatial n’est pas neutre. Gérard CHOUQUER a pensé un espace à cinq dimensions : la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur et la dynamique. La profondeur peut être assimilée à l’axe temporel, mais la dynamique n’existe pas, on l’a vu, en tant que telle, c’est une résultante, et non une cause efficiente. Si la cinquième dimension existe, il s’agit d’une dimension scalaire, dans le sens de résolution. C’est l’idée de Laurent NOTTALE (1998) avec son espace-temps fractal. Grâce à lui, la discontinuité temporelle perd son statut de perturbation, d’artefact, pour devenir central dans une approche spatio-temporelle. Le problème est que Gérard CHOUQUER (2000) ne fait, ce qui est déjà très bien, que développer une théorie qu’il faut mettre à l’épreuve des faits. C’est aussi ce qu’essayera de faire ce mémoire grâce à l’objet « motte ».

    L’espace et le temps sont donc intrinsèquement liés. Leur séparation, due à Galiléo GALILEE, n’a été qu’une parenthèse. Cette nouvelle alliance n’est pas sans poser d’énormes problèmes. C’est une véritable révolution scientifique au sens de Thomas KUHN. L’histoire, la géographie et l’archéologie doivent prendre part à ces débats. Quels sont ces problèmes ? Le premier concerne plus particulièrement le temps avec les théories d’Etienne KLEIN et d’Alain LE MEHAUTE. Le second tourne autour de trois théories spatio-temporelles : la théorie des structures dissipatives, la théorie du chaos déterministe et la théorie des catastrophes.

1.3. Les problèmes liés à l’espace-temps au début du XXIe siècle

1.3.1. La nouvelle conception de l’espace-temps en physique

    Les historiens ont bien senti que la théorie de Fernand BRAUDEL commençait à devenir archaïque. Pourquoi la théorie des trois temps ne peut-elle plus fonctionner ? Tout simplement parce que les sciences dites dures sur lesquelles elle s’appuie nient de plus en plus le temps comme cause efficiente. Le temps historique n’est plus le temps physique ! Aujourd’hui, les sciences physiques se dirigent vers une éjection progressive du temps de leurs équations, ainsi que vers une division en deux ou trois dimensions de ce concept, à la place de la seule dimension correspond à l’axe temporel historique. Etienne KLEIN (1995 ; 2004) et Alain LE MEHAUTE (1998) ont chacun présenté la nouvelle vision du temps physique. Toutefois, ils s’opposent sur la place du temps dans les équations. Pour Etienne KLEIN, le temps est démontré, il fait parti des équations. Pour Alain LE MEHAUTE, le temps n’est qu’une conséquence de trajectoires non rectifiables, généralement fractales, de l’espace. Cependant, ils sont d’accord sur le fait qu’il existe au moins deux dimensions qui composent le temps : le temps réversible69 et le temps irréversible70.

    La physique a démontré l’existence du temps. « L’existence, […], de l’antimatière est la preuve matérielle (ou plus exactement « antimatérielle ») du fait que le temps existe, que c’est un sens unique qui ordonne les événements conformément à ce qu’exige le principe de causalité » (KLEIN, 2004a, p.107-108). Aujourd’hui, la physique « n’hésite pas à « jouer » avec le temps, à formuler d’audacieuses hypothèses – celle de sa discontinuité ou de sa pluralité, par exemple – qui paraîtraient folles si de puissants arguments d’ordre théorique ne permettraient pas de les envisager » (KLEIN, 2004a, p.15). Cependant, la physique a démontré que le temps seul n’existe pas. Il est toujours lié à l’espace : ce sont les trajectoires irréversibles de ce dernier qui génèrent le temps. D’ailleurs, depuis la théorie de la relativité générale d’Albert EINSTEIN, l’espace-temps occupe une place centrale dans la réflexion. « […] Tout trajet effectué dans l’espace est nécessairement chronophage. Rien ne se déplace en un rien de temps. […] En clair, un aller et retour dans l’espace est toujours un aller sans retour dans le temps » (KLEIN, 2004a, p.108-109).

    Aujourd’hui, la conception hégélienne du temps a été mise à mal par la découverte de la théorie du chaos. En effet, certains systèmes dits chaotiques sont extrêmement sensibles aux conditions initiales. Ils donnent lieu à une divergence exponentielle, ce qui signifie que la description générale de l’état original de ce système n’est plus totalement déterminante pour expliquer la dynamique de celui-ci, puisqu’il faudrait posséder une information infinie que l’on ne disposera jamais. De plus, on sait que « tout système chaotique semble en somme se diriger irréversiblement vers une sorte d’équilibre. » Cet équilibre est exprimé par l’attracteur du système considéré. Coupler avec la notion de temps irréversible, cela ramène la physique non plus à une somme de forces, mais à une géométrie pure, qui est généralement non euclidienne. Ainsi, l’évolution est-elle supérieure à l’existence ? Cela marque une opposition nette avec la conception hégélienne de l’histoire. De plus, la compréhension du présent réside dans l’explication du passé. Hier, on en était là, aujourd’hui, on en est là, demain, on en sera vraisemblablement là. Malheureusement, cette vision de l’histoire assez idyllique a été mise à mal dans les années 1990. Le « progrès » a aussi produit la bombe H, la vache folle, les O.G.M, a accru la pollution atmosphérique… C’est la deuxième raison pour laquelle la vision hégélienne de l’histoire est contestable.

    Ilya PRIGOGINE constate que le temps irréversible est présent à toutes les échelles des êtres existants, même dans le temps subjectif. Le premier problème est que la réversibilité qui existe au niveau microscopique, engendre un effet irréversible au niveau macroscopique. Il « considère que l’irréversibilité macroscopique est l’expression d’un caractère aléatoire agissant déjà au niveau microscopique » (KLEIN, 2004a, p. 132). Le deuxième problème est que l’on n’arrive pas à penser l’ordre scalaire, et surtout à comprendre comment l’articuler. Cette question a déjà été abordée par ARISTOTE, mais la modernité l’a ignorée. Il imaginait un monde local imparfait et corruptible, s’opposant à un monde lointain, parfait et incorruptible. Il faut attendre René THOM pour que la science s’y intéresse de nouveau. Pour Ilya PRIGOGINE, « l’irréversibilité ne renvoie pas aux lois fondamentales de la nature, mais à notre manière grossière, macroscopique, de la décrire » (PRIGOGINE, STENGERS, 1992, p. 33).

    Toutefois, il ne faut pas confondre la « flèche du temps »71 et avec le « cours du temps ». La flèche du temps est liée à l’irréversibilité de celui-ci. Le cours du temps est lié au principe cartésien de causalité, « le temps passe dans un seul sens, sans jamais faire machine arrière » (KLEIN, 2004a, p. 126). Toutefois, « la flèche du temps présuppose l’existence d’un cours du temps bien établi au sein duquel certains phénomènes sont eux-mêmes temporellement orientés, c’est-à-dire irréversibles : une fois accomplis, il est impossible d’annuler les effets qu’ils ont produits » (KLEIN, 2004a, p. 126). Cette citation montre bien l’opposition entre Etienne KLEIN et René DESCARTES. « Du passé faisons table rase » disait-il, sur le temps, il est donc réversible. On peut toujours revenir en arrière et corriger les erreurs du passé, ce qui, au passage, justifiait l’histoire, et ce jusqu’à cette crise de la notion de progrès. Le problème actuel est que la réversibilité existe au niveau microscopique, et que celle-ci engendre un effet irréversible au niveau macroscopique. Si c’est la réalité, il faut reconstruire notre conception du temps historique. Etienne KLEIN conclue qu’« il faut apprendre à aimer l’irréversible » (KLEIN, 2004a, p. 216). En sciences humaines, seul Krzysztof POMIAN (1984) propose un temps linéaire, cumulatif et irréversible.

    « La création par l’homme du concept du temps a été la marque, la démonstration de la « liberté humaine », car il n’existe pas d’étalon temporel » notent Alain LE MEHAUTE et alii (1998, p. 13). « Sous la contrainte des étalons, l’espace est par contre la marque de notre faiblesse ; sa modification exige efforts et concentrations. […] C’est parce que nous sommes plongés dans l’espace que le temps est la borne impérieuse de notre condition. […] La résistance marque l’hostilité que suscite la volonté humaine, lorsqu’elle est l’expression de la détermination de notre action » (LE MEHAUTE et alii, 1998, p. 13-14) c’est-à-dire la résistance à quelque chose est liée l’irréversibilité de nos actes. « L’orientation de la flèche du temps justifie aujourd’hui l’usage généralisé du concept, unique et a priori élémentaire, de résistance […]. La notion de résistance […] repose sur la double condition d’infinitude du temps et de l’espace, qui fait d’une vitesse la source d’irréversibilité » (LE MEHAUTE et alii, 1998, p. 14). Il y a là un paradoxe évident. La notion d’infinitude suppose de posséder une information infinie. Or, on ne pourra jamais l’avoir, ce qui signifie que l’on aura toujours une information finie, c’est-à-dire une limite dans la connaissance d’un fait ou d’un phénomène. Cette perte d’information est à la base de l’irréversibilité du temps. Alain LE MEHAUTE prétend que le temps physique est le paramètre de représentation des systèmes dynamiques. Le temps physique est irréversible. Un ordre dans les échelles régi par une loi déterministe conditionne le déploiement d’une trajectoire, ce qui signifie que l’espace devient prépondérant sur le temps. Cet espace est infini, ce qui suppose qu’il y ait une information infinie. La trajectoire devient non rectifiable, c’est-à-dire fractale. Il propose une combinaison espace-temps-fréquence, définie par une métrique fractale. Il y a donc deux classes distinctes de flèches du temps : la classe des flèches nécessaires à la description des systèmes fermés représentée par des résistances et la classe des flèches associée aux systèmes ouverts représentée par ce qu’il appelle des fractances.

    Ainsi, on peut conclure qu’il y a un temps physique traditionnel, qui correspond au temps vécu mis en place dans les sciences humaines, et un temps physique complexe. Le temps physique traditionnel repose sur une abstraction de la notion de temps. Elle établit une dépendance entre l’espace et le parcours. Enfin, elle est réversible grâce au concept de vitesse. Le temps physique complexe obéit à un ordre scalaire. Il possède deux dimensions : une irréversible et une réversible. Selon Alain LE MEHAUTE, le temps irréversible est lié à un nombre réel, correspondant à un système fermé et à une fonction exponentielle complexe. Le temps réversible est lié à un nombre imaginaire, correspondant à un système ouvert et à une fonction exponentielle réelle. Parfois, l’espace est considéré comme une troisième dimension du temps, et c’est la position que défend Alain LE MEHAUTE.

1.3.2. Les nouvelles théories spatio-temporelles

1.3.2.1. La théorie des structures dissipatives (Ilya PRIGOGINE)

    Les dynamiques d’un système sont décrites par la thermodynamique. Il y a deux branches dans cette science : la thermodynamique proche de l’équilibre et la thermodynamique très loin de l’équilibre. La première est la plus connue. Elle repose sur les lois de conservation de l’énergie de James JOULE (1842) et cherche à transformer l’énergie thermique en énergie mécanique. Rudof CLAUSIUS formule, en 1865, la loi de croissance irréversible de ce que l’on appelle l’entropie qui est une fonction caractérisant l’état de désordre de la matière. Quand la température baisse, l’entropie augmente, et réciproquement. En 1872, Ludwig BOLTZMANN énonce le « théorème H ». « La fonction H traduit l’effet des collisions qui, à chaque instant, modifient les positions et les vitesses des particules d’un système. Elle est construite de manière à décroître de façon monotone au cours du temps jusqu’à atteindre un minimum. À ce moment se trouve réalisée une distribution des positions et des vitesses des particules que ne modifieront plus les collisions ultérieures. Boltzmann avait donc construit un modèle microscopique de l’évolution irréversible de la population de particules vers un état d’équilibre. Les collisions entre les particules constituent le mécanisme qui entraîne la disparition progressive de toute « différence » initiale, c’est-à-dire de tout écart par rapport à la distribution statistique d’équilibre ». (PRIGOGINE, STENGERS, 1992, p. 24). Autrement dit, le problème est que la thermodynamique proche de l’équilibre repose sur l’idée que le système est fermé, ce qui signifie qu’il n’a aucun contact avec son environnement72.

    C’est pour cela que l’on a développé depuis 1945, la thermodynamique très loin de l’équilibre, qui décrit les systèmes ouverts, non conservatifs, c’est-à-dire dissipatifs. En effet, il faut constater que l’évolution du monde tend vers l’ordre, plutôt que vers le désordre, or la thermodynamique montre le contraire : on devait aller l’ordre au désordre. L’expérience type matérialisant ce phénomène de passage de l’ordre au désordre et du désordre à l’ordre, est ce que l’on appelle les cellules de Henri BENARD (1900). Il s’agit de chauffer régulièrement une couche mince d’un liquide homogène entre deux plaques, la plaque inférieure étant chauffée, la plaque supérieure restant froide. Il y a donc un gradient de température entre les deux. Quand le gradient dépasse une certaine valeur, des cellules de convection se déploient rapidement. Elles fonctionnent par couple, l’une d’elle tournant de droite à gauche, l’autre tournant de gauche à droite. C’est un phénomène type d’auto-organisation73. Si la température continue à augmenter les deux cellules vont se complexifier en reproduisant leur forme initiale à une échelle inférieure, et ainsi de suite, jusqu’à la création d’un phénomène de turbulence74. On voit donc une cascade de cellules dans l’ordre des échelles. Pour annuler cette complexification croissante, il suffit simplement de baisser le gradient de température. Il faut remarquer que l’on passe d’un état à un autre brusquement, sans aucun pallier avant la bifurcation du système. L’état, immédiatement antérieur à la bifurcation, est ce que l’on appelle un état critique, matérialisé par une agitation anormale des molécules. On constate que les systèmes agissent afin d’assurer le transport de l’énergie, c’est-à-dire, en fait, sa dégradation rapide. Cet état critique montre que les causes de l’émergence d’un nouveau système sont essentiellement internes. Toutefois, il y a quelques contraintes externes dans la formation de ces cellules : la gravité, par exemple. Les cellules n’apparaissent pas en apesenteur. Cet ordre est à la fois de nature temporelle et de nature spatiale, mais « contrairement aux structures d’équilibre, qui une fois créées, n’ont pas besoin d’un apport d’énergie extérieure pour se maintenir, les structures dissipatives sont formées et stabilisés par les flux de matière et d’énergie qu’elles échangent avec le milieu qui les entoure » (BOUTOT, 1993, p. 48). La thermodynamique montre que l’évolution tend irréversiblement vers un équilibre décrit comme la « mort thermodynamique de l’univers », ce qui est en opposition avec l’idée de Charles DARWIN, puisque dans la thermodynamique, le seul événement qui peut avoir un sens est le moment où le système atteint son équilibre.

1.3.2.2. La théorie du chaos75 (David RUELLE)

    La théorie du chaos76 s’est développée aux Etats-Unis et en Europe vers la fin des années 1960. Cette théorie s’applique sur les structures dissipatives ou sur les systèmes dynamiques. Elle repose sur l’idée d’un système déterministe. On répertorie deux types de chaos : le « chaos déterministe »77 et le « chaos stochastique »78. Il n’existe pas de définition claire du terme « chaos », mais on rapproche le chaos d’un phénomène de turbulence. Toutefois, on connaît, au moins, trois types de routes de processus, menant à un chaos. Le premier scénario explique que la turbulence apparaît dans un système après trois bifurcations à partir d’un état stationnaire. Ce sont les travaux de David RUELLE et de Floris TAKENS (1971) (RUELLE, 1991). Ces chercheurs ont lancé l’idée d’attracteurs étranges. Un attracteur est un espace théorique constitué d’un ensemble de points correspondant aux états possibles du système, distribués selon une topologie. Le premier attracteur a été construit par Edward LORENZ, celui qui a écrit « un battement d’ailes de papillon en Chine peut provoquer un ouragan en Californie ». Il est vrai que son attracteur explique que l’on ne peut pas prévoir le temps qu’il fera demain ou après demain. Cela est lié à la complexité de l’attracteur qui est très développée. Les attracteurs ne sont pas seulement de nature chaotique. Il en existe quatre types : le point, le cycle, le tore et les attracteurs étranges, qui sont généralement fractales. Le deuxième scénario repose sur le mécanisme de doublement de période (Mitchell FEIGENBAUM). Ce scénario utilise ce que l’on appelle la méthode logistique de VERHULST (1838). Le troisième scénario repose sur la notion d’intermittence (Yves POMEAU et Paul MANNEVILLE [MANNEVILLE, 1991]), qui recouvre un phénomène relativement simple : un système devient turbulent lorsqu’il a été envahi par des fluctuations « anormales ». La multiplication de ces fluctuations anormales dans le temps aboutit par étapes successives à la turbulence à proprement dite. Cependant, il faut remarquer que les trois scénarios ne sont pas incompatibles. Autrement dit, décrire et expliquer un système chaotique est de nature structurelle.

    Toutefois, la célèbre phrase d’Edward LORENZ a été, en partie, remise en cause par la notion d’horizon de prévisibilité. Il s’agit de dire qu’un système chaotique possède un comportement qui peut permettre de déterminer son état à une date plus ou moins éloignée. Il permet de caractériser le futur d’un système chaotique. L’horizon de prévisibilité pour les prévisions météorologiques est de l’ordre de trois à cinq jours, par exemple. Cet horizon est dû au fait que l’information qui devrait être, en théorie, infinie pour un système chaotique, sera toujours imparfaite. Ce qui implique que l’on introduit, involontairement, une erreur dans la position de l’état initial du système nécessaire pour effectuer les calculs. Autrement dit, un système chaotique est très sensible aux conditions initiales que l’on impose à ce calcul. Ce qui implique que la prise en compte d’un écart faible sur une variable peut donner des résultats radicalement différents. Une petite cause peut générer un grand effet. C’est tout le sens de la citation d’Edward LORENZ. Il existe une autre source d’incertitude qui conduira le système vers un état étonnant. Elle s’introduit dans le calcul même lors, par exemple, d’une multiplication des nombres non entiers, le nombre de chiffres après la virgule est lui aussi multiplier. Or, sauf à saturer la mémoire du calculateur de chiffres après la virgule, ce qui est contraire au but recherché, il faut à un moment ou à un autre arrondir, couper donc introduire une erreur qui inévitablement fera diverger le système. Le rapport entre cause et conséquence n’est plus linéaire ou continu : il est non linéaire ou discontinu. La divergence des calculs peut être elle-même calculée par ce que l’on appelle les exposants de LYAPUNOV, ce qui permet d’établir la vitesse de divergence du système.

    Le domaine de l’aléatoire ressort de tout cela de plus en plus réduit. Si on ajoute que le chaos est un modèle qui peut être appliqué dans de nombreux domaines scientifiques comme la circulation atmosphérique, la société, le réseau Internet… Il apparaît que ce mode de connaissance change radicalement notre façon d’aborder le monde. Cela étant la non linéarité d’un phénomène permet au système chaotique de produire de la variété, donc l’adaptation qui lui est nécessaire. Un système non chaotique à comportement linéaire lui ne peut produire autant de variétés. Autrement dit, appliquer aux sciences humaines, un système social chaotique devrait être plus robuste qu’un système social non chaotique, beau paradoxe par rapport au sens commun. Le problème, au fond, est que le passé du système ne permet pas de se positionner dans l’avenir, puisqu’il peut bifurquer n’importe quand : aujourd’hui même, demain, après demain, dans cent ans… Pour Etienne KLEIN, grâce aux systèmes chaotiques, on peut dire qu’« il n’y a pas de flèches du temps, seul le niveau global donne l’impression qu’il y en a une » (PRIGOGINE, cité par KLEIN, 1995, p. 40). Ce qui implique que c’est parce que l’espace est en mouvement que le temps existe. Peut-on dès lors instrumentaliser le chaos ? Ce serait un rêve de pouvoir dire quand le système va bifurquer, puisque l’on pourrait se positionner avant la bifurcation et choisir la direction que l’on veut faire prendre au système. Dans l’état des travaux actuels, cela demeure un beau rêve, malgré les recherches de Laurent NOTTALE (1998 ; 2000) qui vont dans ce sens. Il serait trop simple et trop facile de penser que, pour tout, une fois le programme trouvé, on puisse faire des prévisions. En effet, un programme générant un chaos évolue aussi dans le temps. Il provoque ce que les physiciens appellent une brisure de symétrie. Pascal CHOSSAT (1996) rappelle que ces brisures se font de manières spontanées. Autrement dit, les bifurcations sont imprévisibles. Ce sont des catastrophes au sens de René THOM.

1.3.2.3. La théorie des catastrophes (René THOM)

    La théorie des catastrophes essaye de créer des modèles mathématiques pour rendre compte de l’existence et de la stabilité des formes, de leur création et leur disparition. Elle cherche à théoriser la morphogenèse. Elle fournit une méthode générale permettant d’étudier les changements discontinus, les sauts qualificatifs. « Il y a une catastrophe lorsqu’une variation continue des causes entraîne une variation discontinue des effets » (BOUTOT, 1993, p. 28). « La cause égale l’effet » ou « l’effet n’est pas supérieur à la cause » (THOM, cité dans BOUTOT, 1993, p. 28). La théorie est purement mathématique. « Le propre de toute forme est de s’exprimer par une discontinuité du milieu » (THOM, cité dans BOUTOT, 1993, p. 29). Pour lui, une forme se décompose en un espace substrat et un espace théorique. L’espace substrat est composé de points réguliers et de points catastrophiques singuliers79. Cette distribution de points présente une apparence phénoménologique. « Pour moi, il y a une catastrophe dès qu’il y a discontinuité phénoménologique » (THOM, cité dans BOUTOT, 1993, p. 28). Les domaines d’applications de la théorie sont aussi variés que la théorie du chaos : en physique pour expliquer l’optique géométrique, en linguistique pour comprendre les structures syntaxiques, en biologie…

    La théorie des catastrophes a été associée par René THOM (1991) à la physique aristotélienne dans ce qu’il appelle la sémiophysique. Etymologiquement, cela signifie « physique du sens ». C’est un retour à la pensée d’ARISTOTE qui avait bâti une physique fondée sur le continu, à la différence de la physique actuelle, basée sur le nombre. « C’est une géométrie fondée uniquement sur l’intuition du continu. Un segment de droite n’y est pas composé de points, mais seulement de sous-segments » (THOM, 1991, p. 12-13). « La Sémiophysique concerne d’abord la recherche des formes signifiantes ; elle vise à constituer une théorie générale de l’intelligibilité » (THOM, 1991, p. 11). Il distingue deux types de formes : la forme saillante et la forme prégnante. La forme saillante est une forme intelligible à notre esprit, à nos sens. C’est un être stable qui contraste avec son environnement. Toute forme saillante « se sépare nettement du fond continu sur lequel elle se détache », par exemple un bruit (c’est la discontinuité) dans le silence (c’est le fond continu). Toutefois, elles ont un effet de courte durée : c’est une mémoire à courte terme. La forme prégnante est une entité en principe invisible. Toute forme prégnante est saillante par définition. Elle se crée par la propagation d’une forme saillante. Contrairement à cette dernière, les formes prégnantes ont un effet dans la longue durée. C’est une forme investie qui subit alors un changement d’état, c’est-à-dire un effet figuratif, et qui peut réémettre la prégnance, éventuellement modifiée par un effet de « codage ». La saillance est composée d’objets impénétrables l’un de l’autre, très souvent individués. Elle est par définition discontinuité. La prégnance est composée des qualités occultes, des vertus efficaces, qui émanent de formes sources et qui vont investir d’autres formes saillantes en y produisant des effets visibles, c’est-à-dire des effets figuratifs. L’équilibre ou le déséquilibre provoquent l’émergence d’une discontinuité spatiale, donc d’une forme. Il existe quatre types d’interaction : l’équilibre entre deux saillances, une saillance faisant émerger une prégnance, une prégnance faisant émerger une saillance, et l’équilibre entre deux prégnances. Ces concepts de saillances et de prégnances pourraient donner des éléments d’explication sur la morphogenèse de la motte de Boves.

    Ce mémoire essayera d’appliquer à la motte de Boves ces nouvelles théories. Elles ont essentiellement été développées en mathématique et en physique. Elles proposent une nouvelle alliance entre l’espace et le temps, mais le temps perd son statut prépondérant dans les sciences humaines. Comme ce qui a été dit précédemment, le temps n’est qu’une résultante de la dynamique spatiale. Les trois théories proposées le montrent bien. Si ces nouvelles théories ont un succès relatif en géographie, il n’en est rien en histoire ou en archéologie : où elles sont à peine connues. Ainsi, Jacques REVEL écrit-il : « il n’est pas certain que les théories du chaos, dont on sait la fortune contemporaine, soient d’un grand secours pour l’historien praticien – même si elles ont au moins le mérite d’attirer son attention sur l’importance et la complexité des processus non linéaires » (REVEL, 1996, p. 11-12). Pourtant, ces approches remettent en question les fondements mêmes de la géographie, de l’archéologie et de l’histoire. Refuser ou ignorer, les apports épistémologiques que ces théories pourraient leur apporter, est peut être une vision qu’il faudrait corriger ou du moins nuancer. La seconde partie essayera à travers, le cas de la motte de Boves, de mettre en œuvre les idées-clés de ces différentes théories autour des faits établis grâce aux huit années de recherche qui y ont été menées.






2. Le site archéologique de Boves (Xe-XXIe siècles)

2.1. La morphogenèse du site défensif de Boves (Xe siècle)

2.1.1. La notion d’« origines » en histoire

    Se poser le problème de la morphogenèse de la motte de Boves renvoie à celui des « origines ». Quand faire commencer un fait ou un phénomène ? En effet, lorsque l’on ne sait pas très bien quand commence une période, en histoire ou dans toutes autres sciences, on se replie vers l’expression « les origines ». Combien de sujets s’intitule « … des origines à … », la borne supérieure étant la seule date connue, ou plus exactement, le seul événement marquant connu. Généralement, le traitement de ce que l’on appelle « origines » est sujet à de vigoureuses controverses et pose le problème de ce que l’on pourrait appeler « l’origine absolue ». L’emploi du pluriel est assez explicite quant au flou de l’expression. Qu’est-ce qu’il signifie ? Est-ce un aveu d’ignorance, c’est-à-dire un cache-misère ? Est-ce un refus à la difficulté ? Il est très difficile de trancher. Toujours est-il que l’on traite très peu de ces « origines », considérées comme quelque chose de trop obscur pour être l’objet d’une étude complète et avérée. Aujourd’hui pourtant, on peut les traiter grâce à l’aide d’au moins deux approches structurelles. La théorie du chaos, d’abord, qui permet d’admettre que la totalité des causes efficientes provoquant l’émergence d’un système sera toujours inconnue. Par conséquent, il faut essayer d’en déterminer le maximum possible, mais il ne faut pas chercher à toutes les établir, en faisant attention de ne pas tomber dans l’excès inverse. La deuxième approche est celle proposée par Laurent NOTTALE (2000), et bien d’autres, c’est-à-dire insister sur le fait que l’origine d’une continuité de faits n’a strictement aucune importance sur la production de la série d’événements. Autrement dit, le système est agi par quelque chose qui le dépasse dans l’espace-temps. Le modèle fractal log-périodique permet de clarifier certaines périodes obscures, dans la mesure où il propose des « dates théoriques ». Celles-ci correspondraient à des moments où il y a dû avoir un événement marquant, mais qui est inconnu. Il permet de mettre de l’ordre dans l’espace-temps. Cette deuxième approche sera développée dans la troisième partie.

2.1.1.1. Jusqu’où faire remonter les origines ?

    C’est un problème majeur. Quelles sont les causes qui ont permis l’émergence du phénomène d’incastellamento ou d’encellulement ? La réponse à cette question est impossible dans l’état actuel de nos connaissances. Alors, on écrit l’histoire de ce qui paraît être les causes des causes à travers l’étude des modelés du relief et la nature du sol, l’étude de ce que l’on connaît de l’Antiquité et l’étude du début du Moyen Age. Ces données sont capitales, autant qu’incertaines. On retrouve dans cette idée une position ago-antagoniste.

    Les éléments géomorphologiques sont discutables. Le château est localisé dans une zone de dépôts fluviatiles de terrasses (Carte 1 p. 61). L’étude géomorphologique d’Albert DEMANGEON (éd. 1973) explique que le sol est composé d’argile à silex qui daterait du Tertiaire et dont l’origine serait liée à une émersion. Au nord de la Somme, le sol est crayeux. Le sol intègre des éléments de couvertures limoneuses. Les couches sont ployées selon un synclinal de 68 kilomètres de la Manche à Noyon (nord-ouest, sud-est) passant par Longueau, le Santerre et Roye. Le relief est accidenté au sud de la Somme, ce qui est expliqué par la présence de plis et d’un encaissement du réseau hydrographique. Il y a de nombreuses formations loessiques entre 0 et 4 mètres. La confluence de l’Avre et de Noye, en contrebas de Boves, est occupée par des marécages. « L’Avre se divisait autrefois en deux bras dont l’un se jette encore à Camon ; l’autre, le bras de gauche, maintenant régularisé, courait parallèlement à la Somme par La Neuville sous le nom de Bavette et formait l’un des canaux d’Amiens » (DEMANGEON, 1973, p.139). D’un point de vue géomorphologique, le site de Boves pourrait très bien être un karst, comme on en connaît d’autres dans la craie. Toutefois, les premiers sondages ne vont pas dans ce sens. Même si la motte semble d’être d’origine anthropique, elle paraît se comporter comme un karst avec des éléments qui laissent penser qu’il a pu exister un soutirage. Par ailleurs, une circulation karstique pourrait être l’origine de la légende des souterrains du château que tous les Bovois connaissent. Tout cela reste très hypothétique et à vérifier.

La situation géomorphologique de l’Amiénois
Carte 1. La situation géomorphologique de l’Amiénois. (in Amiens, 1989, p. 12)

    En reprenant les données topographiques, géologiques et géomorphologiques de Jérémy JACOB (1996) et Joëlle DESIRE (1996), on peut résumer leur analyse à plus grande échelle. Il y a une dissymétrie entre le versant de la rive droite de l’Avre en pente raide, et celui de la rive gauche en pente moins raide. Jérémy JACOB l’explique de cette manière : « la plupart des formations que l’on peut rencontrer dans la région sont d’âge Crétacé supérieur. Il s’agit de la craie, déposée dans un milieu marin profond à large répartition géographique : la Mer de Craie. Ces terrains ont ensuite émergé à la fin du Crétacé lors d’une phase tectonique et l’ensemble a été érodé, dont une pénéplaine, à l’origine du paysage de plateau caractéristique de la région. Au Tertiaire, la pénéplaine est envahie par une mer moins profonde, à l’origine des dépôts de sables du Thanétien. Durant le Quaternaire, le réseau hydrographique s’installe et découpe le plateau picard. Avec le creusement des vallées se déposent des alluvions fluviatiles disposées en terrasses. La motte castrale de Boves est située à la confluence de la vallée des Aires et de celle de la Noye. Cette configuration amène une position relativement isolées de la butte, surplombant les deux vallées du sud-ouest au sud-est. […] » (JACOB, 1996, p. 43). Au nord et à l’est du château, on observe un relief atteignant une altitude entre 100 et 110 mètres. Ainsi, « le site étudié s’avère tout à fait remarquable par ses qualités topographiques qui amènent à le considérer comme le meilleur de toute la contrée pour une implantation défensive. […] Dans les environs immédiats de Boves et d’Amiens convergent pas moins de six vallées notables : celles de la Somme, de l’Ancre, de l’Hallue, de l’Avre, de la Noye et de la Selle » (DESIRE, 1996, p. 90).

    Les origines antiques (FOSSIER, 1974) sont mieux connues, et suscitent moins de controverses. Il apparaît évident que l’organisation de l’espace mondial a été prédéterminée par les choix antiques. D’abord, en ce qui concerne le choix de l’emplacement des villes, il est extrêmement rare de constater la disparition des créations antiques, à l’exception des villes en bordure des déserts comme au Proche-Orient. Mis à part quelques créations ex-nihilo de villes comme Aix-la-Chapelle, dans l’Europe occidentale, la majorité des grandes villes date de l’Antiquité. Le second élément est le choix de la connexion des villes par l’intermédiaire d’un réseau plus ou moins développé. Il est visiblement resté en place, tout au moins dans ses grands axes. Les voies romaines ont structuré tous les territoires héritiers de l’empire romain. À cela, s’ajoute le défrichement des forêts : on ne va pas défricher ce qui l’a déjà été. Ce sont toutes les villae que l’on retrouve dans nos terroirs. Le problème est que les forêts disparaissent et réapparaissent, selon des modalités qui leur sont propres. On ne peut donc être sûr de rien. Elles ont dû jouer un rôle dans la composition et l’organisation des terroirs, mais lequel ? On ne sait pas. Toujours est-il que la carte de Roger AGACHE (AGACHE, BREART, 1975) est un outil précieux pour étudier l’organisation probable de l’espace antique, et essayer de comprendre quelles sont les permanences que l’on retrouve à l’époque suivante, en restant très prudent sur leur interprétation. Selon les cas, on peut dire que seules les villes et les grandes voies romaines se sont maintenues à l’époque médiévale. C’est le cas d’Amiens, Saint-Riquier, Noyon, Saint-Quentin, Beauvais, Soissons, Senlis, Paris… A Boves du haut de la motte, on peut, au moins, apercevoir trois axes antiques. On pense qu’il y avait un relais à Longueau, lieu d’intersection entre deux voies romaines. En venant de Noyon, Boves est un lieu de passage obligé pour se rendre à Amiens. Boves devait donc avoir un riche terroir à l’époque antique, mais tout cela reste encore très hypothétique.

    Des origines franques (FOSSIER, 1974) sont également à ajouter. Les Francs vont créer de nouvelles limites territoriales qui vont se substituer aux limites romaines : ce sont les pagi (ou comtés). Ces comtés sont contrôlés par des grandes villes : Amiens, Laon, par exemple Un nouveau terroir va se développer autour des monastères, comme Corbie ou Saint-Riquier. Ils vont organiser l’espace rural, sans pour autant chasser les villae. En effet, la plupart d’entre elles se maintiendront pendant le Haut Moyen Age. À Boves, il y a une forte occupation du terroir. On sait que c’est le lieu de prédication de saint Firmin, le lieu d’origine de sainte Godeberthe et le lieu de réclusion de saint Ulphe. Un cimetière mérovingien existe près de la motte. Ce qui a sans doute permis de repérer l’emplacement du site, si tant est que la motte a été fondée ex-nihilo, ce que les fouilles n’ont pas encore révélé. De plus, la cartographie du comté d’Amiens primitif80 (carte 2 p. 63) permet de voir que le château de Boves est au centre du comté. Au Xe siècle, le château appartient à la lignée du Vexin. La forteresse de Boves est sans doute une création de l’évêque d’Amiens. Toujours est-il que les fouilles ont montré qu’il s’agit d’une résidence de haute aristocratie.

Le comté d’Amiens au X<sup>e</sup> siècle
Carte 2. Le comté d’Amiens au Xe siècle (d’après FOSSIER, 1974, p. 91)

2.1.1.2. Le Xe siècle vu comme l’émergence d’un nouveau système

2.1.1.2.1. Les relations féodo-vassaliques, un essai de synthèse

    Suite à l’éclatement de l’empire carolingien, un système sociétal original se met en place. Traditionnellement, on le désigne par le terme de « féodalité ». On adoptera provisoirement la définition suivante : c’est une relation contractuelle entre un homme libre (le seigneur) et un autre (le vassal) ou entre un homme libre (le seigneur) et une communauté reconnaissant son autorité. Cette relation est hiérarchique puisqu’un homme (le seigneur) est responsable d’un autre (le vassal) selon ce que l’on appelle le contrat vassalique. Le vassal doit à son seigneur : aide, conseil et fidélité, selon le célèbre texte de Fulbert de Chartres (vers 1020). L’aide est de deux natures : militaire et financière. L’aide militaire est d’abord permanente, puis limitée à quarante jours par an. L’aide financière sera aussi réduite à trois ou quatre cas précis : payer la rançon si son seigneur est fait prisonnier, payer l’adoubement du fils aîné de son seigneur, payer le mariage de la fille aînée de son seigneur, et payer le départ à la croisade de son seigneur (après 1095 et uniquement dans le royaume de France). Le conseil oblige le vassal à siéger à la cour seigneuriale, et à rendre la justice au nom du seigneur. En retour, le seigneur doit à son vassal : protection et entretien. Le contrat est scellé par un fief, c’est-à-dire un cadeau offert par le seigneur à son vassal après une cérémonie appelée hommage. Le fief est souvent une terre concédée, à l’origine à titre viager, mais ce peut être également une dignité ou une somme d’argent. La terre est le cas le plus fréquent, dans la mesure où c’est la source de richesse par excellence. Dans ce schéma, rien n’empêche qu’un opportuniste ait plusieurs seigneurs. Pour résoudre ce problème, on invente l’hommage lige, c’est-à-dire celui qui est supérieur à tous les autres. Enfin, il faut préciser que seul le roi de France ne prête hommage à personne, son sacre le rendant de droit supérieur à tous les autres. La seigneurie domine un territoire : la châtellenie.

    Après cette très rapide description, presque caricaturale, de ce qu’est le système féodal, il faut préciser que deux thèses s’affrontent : la thèse dite « mutationniste » qui expliquer que la féodalité a été un changement radical, donc une vraie rupture par rapport à l’empire carolingien. La seconde est de la « continuité », c’est-à-dire que les changements apportés par la féodalité ne sont pas si brutaux que cela : il n’y a donc pas de ruptures tangibles. Les deux opinions peuvent être rapprochées. C’est ce que fait Régine LE JAN. Elle propose une vision ago-antagoniste de la féodalité, ce qui est logique, en soi, puisque la seule manière de sortir d’un état critique, qu’est le IXe siècle, est de produire de la variété. Ces nouveautés n’excluent pas l’idée que ce qui fonctionnait avant elles, et qui ne nuisent pas à ces nouveautés, perdure au-delà de celles-ci. Ainsi, permanences et nouveautés81 cohabitent, se croisent et s’entremêlent. C’est à cause de ce constat que les historiens, les archéologues… ont d’énormes difficultés à comprendre, mais surtout à analyser ce moment de l’histoire. Le système abandonnait est celui de la centralisation du pouvoir à niveau étatique, au profit d’une centralisation autour d’un pouvoir local, c’est-à-dire une décentralisation qui est presque spontanée, de l’Etat carolingien. L’effort de maintien de vastes territoires, après la fin de l’empire romain occidental a été brisé par une cause qui reste à déterminer, puisque de nombreux travaux récents tendent vers l’idée que les invasions normandes n’ont pas provoqué la fin de l’empire carolingien. De ce fait, les raisons de cet effondrement ne sont-elles pas essentiellement internes ?

    Les historiens de l’art admirent, généralement, la « renaissance carolingienne » dans la mesure où ils peuvent affirmer une continuité entre le monde dit antique et le monde dit barbare. Pourtant, comme le disait Henri MATISSE, « la renaissance, c’est la décadence ». Cette renaissance culturelle a empêché la compréhension de la période dans laquelle les élites carolingiennes se trouvaient. Autrement dit, le phénomène que l’on admire traditionnellement, est responsable de la déchéance carolingienne. Lorsque l’on lit EGINHARD, on se rend compte, dès le début de son œuvre, qu’il est nostalgique de l’empire de CHARLEMAGNE (768-814). Il ne comprend pas que si le problème de la succession, bien franc, et non romain, avait été réglé dès le début du règne de son mécène ou de celui de LOUIS Ier (814-840), les luttes entre les petits-fils de CHARLEMAGNE n’auraient jamais eu lieu. C’est une cause interne82 qui a provoqué les combats entre les petits-fils de CHARLEMAGNE. La cause externe, celles des invasions, n’a fait que donner le coup de grâce. Il a donc fallu remédier à la déchéance carolingienne par une innovation : la prise de pouvoir par des potentats locaux. Autrement dit, on est en présence d’un phénomène d’auto-organisation, qui est donc assimilable au modèle des cellules de Henri BENARD, qui permettent de décrire le phénomène d’incastellamento (TOUBERT, 1973) ou d’encellulement (FOSSIER, 1968). Spatialement, le Xe siècle marque la fin de la cohérence territoriale antique. On est passé d’une structure à une autre. Ce passage s’effectue par une descente, de la petite à une grande échelle spatiale, puis par une remontée, de la grande à la petite échelle spatiale.

    Les Capétiens seront les acteurs de cette restructuration. Ils auront le mérite d’innover sans cesse, et de ne jamais regarder l’avenir avec le prisme du passé, à la différence des Mérovingiens et des Carolingiens. Il faudra attendre LOUIS XV et LOUIS XVI, qui refuseront les nouveautés de leur temps, pour que la dynastie s’effondre d’elle-même, comme celles des Carolingiens. Traditionnellement, on arrête le Moyen Age à l’époque de la Renaissance, mais on oublie volontiers que les humanistes avaient pour projet de dépasser l’Antiquité. Peut-on alors parler de « renaissance » ? Non, ce n’est qu’un « renouveau ». Celui-ci va permettre la création, donc la nouveauté. Seule l’Eglise se radicalise. Un des moteurs de la création médiévale se fige, et ce sera le seul. Si les humanistes paraissent hostiles à la période précédente, que l’on a appelé « Moyen Age », c’est parce qu’ils demeurent avant tout membre de celui-ci. Il n’y a donc pas de coupure temporelle en 1492. Il n’y a qu’un élargissement de l’espace : celui de la Terre. Autrement dit, il y a un changement d’échelle. L’idée mériterait d’être davantage exploitée pour toutes les périodes dites « de ruptures », chose que ne peut pas faire en détail ce mémoire.

2.1.1.2.2. Mottes et auto-organisation

    En évoquant le problème de la construction des mottes, André DEBORD écrit qu’il « s’agit d’un phénomène qui apparaît brusquement et qui, surtout, se diffuse rapidement […] » (DEBORD, 2000, p. 66). Il ajoute que « c’est […] un phénomène européen » (DEBORD, 2000, p. 66). On l’a vu avec les cellules de Henri BENARD ; un système peut bifurquer en provoquant une morphogenèse, due à un phénomène d’auto-organisation83. L’incastellamento ne serait-il pas un phénomène d’auto-organisation ? C’est ce qui irait dans le sens de la description d’André DEBORD. « […] La construction s’est manifestement effectuée d’un seul jet, et il existe de nombreux cas où la motte résulte, pour une large part, du remodelage d’un relief préexistant. […] Il s’agit en fait d’un problème historique non d’un problème technique. La diffusion de la motte correspond à un moment d’écartèlement politique et, aussi, à la recherche d’une protection individuelle : c’est pour son possesseur, un abri doublé d’un instrument de domination. Elle était, de surplus, facile à défendre avec un peu de monde et facile à construire sans compétence particulière, et en fort peu de temps84 » (DEBORD, 2000, p. 67). Dès lors, le passage du système global antique au système global médiéval peut-il être compris comme une brisure spontanée de symétrie ? L’expérience des cellules de Henri BENARD montre qu’une augmentation du gradient de température dans un liquide homogène engendre une morphogenèse. Si on remplaçait la différence de température par le pouvoir central qu’exerce tel ou tel individu sur une société donnée, alors le schéma conceptuel de Henri BENARD peut être transposé, au moins analogiquement. Pour ce, il faut supposer un certain niveau de complexité, et ne pas considérer les hommes comme une somme d’individus identiques et séparés. Au Moyen Age, la différenciation sociale existe et se maintient. Le pouvoir central est fort et perdure comme tel. Une apparente prospérité traverse cette période85. Le pouvoir central est affaibli, cela engendre une apparente crise. De nouveaux rapports de force naissent entre les individus au Xe siècle. Le pouvoir se divise, ce qui se manifeste par l’émergence de limites tangibles86. Localement, ce pouvoir central redevient fort. Les limites apparues sont englobées, sans disparaître, dans une nouvelle superstructure à partir du XIIIe siècle. Ainsi, l’incastellamento (Xe siècle) serait donc la conséquence d’un « état critique », qui provoque l’émergence d’un tout nouveau système avec une désorganisation globale et une réorganisation locale. Cependant, en mettant en relation, une constellation de recherches scientifiques actuelles, on arrive à l’idée que, depuis la seconde moitié du XXe siècle, le système entre à nouveau dans un état critique (NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000 ; etc.).

    Dans l’organisation des terroirs, on peut dire que le château chasse la villa antique87. À partir des Xe-XIe siècles, l’élément structurant de l’espace rural ne sera plus la villa antique, comme au Haut Moyen Age, mais le château médiéval, autour duquel va s’organiser le terroir. Ainsi, « aux grandes résidences royales du Haut Moyen Age vont donc succéder une constellation de petites résidences seigneuriales qui sont des donjons quadrangulaires de bois élevés sur des mottes de terre généralement circulaires et cernées d’un fossé » (PITTE, 1986, p. 127). Ainsi, comme la construction des mottes précède généralement l’enchâtellement, il faut étudier le fait en lui-même, et non le rattacher à des sources écrites, qui ont pour la plupart disparu. Monique ZERNER a montré que les formes circulaires ne sont pas spécifiques de la période médiévale, ainsi « une longue phase préliminaire de petits terroirs polarisés, plus ou moins radiaux, précède la polarisation contraignante imposée par le castrum » (CHOUQUER, 2000, p. 70). Si le cercle n’est pas une invention médiévale, mais quelque chose qui apparaît spontanément, comme le suppose Monique ZERNER, la question peut être reformulée de la manière suivante : « pourquoi le cercle ? ». La réponse est très simple. Le cercle est la seule forme qui permet de maximiser la surface avec un périmtère minimal. C’est pour cela qu’il apparaît dans tous les terroirs apparemment non organisés, non planifiés. « Donc il y a abus d’une certaine histoire, linéaire, causale, typologique, éradicatrice du milieu. Et cet abus dessert singulièrement le propos de l’histoire en gommant la diversité des situations comme la durabilité évolutive des formes dans la diachronie » (CHOUQUER, 2000, p. 78). Ainsi, la typologie conventionnelle du carré antique, du cercle médiéval n’est que la projection d’un modèle, devenu archaïque aujourd’hui. Les historiens n’ont pas vu la faiblesse de leur approche parce qu’ils n’ont jamais adopté une entrée spatiale. Ils n’ont pas compris que la géographie vidalienne n’est plus à l’ordre du jour. Ils perçoivent mal les ruptures, les discontinuités, les particularités locales. De plus, ils ignorent l’existence de formes antérieures à la période qu’ils étudient. Or, l’étude des formes nécessite une approche « transpériode », globale. Un morceau de forme n’est pas la morphologie globale, celle dont on peut écrire une histoire88.

    Il faut nécessairement avoir, en ce qui concerne la construction des mottes, une approche spatio-temporelle89. Surtout, lorsque l’on sait que « […] bien des sites antérieurs au Moyen Age (éperons barrés, enceintes collectives…) avaient été réaménagés, notamment avec la construction de mottes » (DEBORD, 2000, p. 77). La motte ne serait que la cristallisation de nouveaux phénomènes d’auto-organisation dûs à l’état critique du système global et terminal antique. Cet état critique correspond à un « brouillage » des données, c’est-à-dire que ce qui était centre n’existe plus : on a une redistribution spatiale des lieux de pouvoir selon un jeu d’échelle. Le déploiement dans l’ordre des échelles renvoie à l’idée de turbulence et à celle d’un processus fractal de différenciation. Il en résulte de multiples « centres » et de très très longues limites de moins en moins disputées. La relation entre l’Etat central et les principautés se dégrade, mais les principautés sont incapables de régler le problème de l’insécurité croissante due à la faiblesse du pouvoir central, à l’exception de la Normandie et de la Flandre. Les principautés éclatent en comtés, respectant généralement les limites carolingiennes, mais, parfois, ce n’est pas suffisant. Alors, les comtés éclatent en seigneuries, en vicomtés…, de telle sorte que l’échelle locale soit garante de la sécurité. La cohérence n’est plus territoriale grâce à la conquête et à l’ordre militaire comme lors de l’empire romain. Elle passe par des rapports entre personnes, par des hommages avec au sommet de la pyramide, le roi. La société dite féodale est née. Cette situation d’autonomie ne va pas durer, un ou deux siècles tout au plus, avant que le nouveau système ne se mette en place. L’Etat-nation reviendra à la cohérence territoriale et dissoudra les « hommages », en faisant de chaque homme un citoyen. L’Union européenne fait actuellement les deux choses : elle fragmente les Etats-nations en région et renvoie les citoyens à une adhésion, à des valeurs. En attendant aux Xe-XIe siècles, un nouveau type de clientèles va assurer le maintien d’une forme d’autorité. Ce sont bien sûr les relations féodo-vassaliques, décrites précédemment.<

2.1.1.2.3. Mottes et autopoièse

    L’incastellamento peut être aussi interprété comme un programme autopoiétique. L’autopoïese a été découverte par deux biologistes chiliens Francisco VARELA et Umberto MATURANA. Le terme signifie « se faire soi-même, autoconstitution ». Il sert de modèle aux questions suivantes : comment s’organisent les entités et pourquoi les organismes s’arrêtent de croître après un certain temps, à une certaine taille ? Ces chercheurs ont découvert que cela correspond à une sorte de boucle optimale qui pré-programme la croissance indépendamment des gènes. Ils reprennent aussi une idée de René THOM. Pour simplifier l’idée d’autopoièse, on peut la présenter comme un système à deux niveaux : un niveau 0 comprenant beaucoup d’acteurs et un niveau 1 où se déploie une morphologie tangible et où des contraintes formelles d’ordre géométrique et topologique s’expriment. Le niveau 1 contrôle le niveau 0, mais le niveau 0 fait émerger le niveau 1. Cette émergence se traduit par une limite, donc d’une forme (MARTIN, 2003, MARTIN, 2004). Si on l’applique à l’incastellamento, on aurait le programme suivant :

La boucle optimale de l’émergence d’entités de la société féodale (X<sup>e</sup> siècle)
Figure 5. La boucle optimale de l’émergence d’entités de la société féodale (Xe siècle)

    La motte cristallise les tensions dues à la perte, momentanée, du contrôle par le pouvoir central de territoires à petite échelle. Elle enclenche une restructuration en profondeur de l’espace avec un peuplement qui se constitue près de structures de défenses ou aristocratiques (figure 5 p.&nsp;69). Le peuplement est garant de la légitimité de la famille aristocratique qui le protége. Une boucle positive est par conséquent créée. Ce mode de fonctionnement ne peut durer dans le temps, dans la mesure où il ne peut se développer qu’à une micro-échelle. Un changement d’échelle nuit à ce programme. Une plus petite échelle modifiera ce fonctionnement. Ce sera la « reconquête du royaume » par LOUIS VI, PHILIPPE II AUGUSTE, LOUIS IX… Le système féodo-vassalique est en d’autres termes un système théoriquement mort-né, qui va pourtant perdurer jusqu’à LOUIS XIV ! Les conflits, comme la guerre de Cent Ans, les guerres de religions…, ne sont que des paliers de restructuration à plus petite échelle du système féodo-vassalique. Il ne faut pas chercher des ruptures là où elles n’existent probablement pas.

Relations entre niveaux dans le schéma autopoiétique
Figure 6. Relations entre niveaux dans le schéma autopoiétique

    Pour les IXe-XIe siècles, on voit l’émergence de nombreux acteurs, dans différents niveaux de la hiérarchie carolingienne. L’implosion de celle-ci va créer la morphologie tangible des nouveaux pouvoirs locaux (figure 6 p. 70) : les mottes, les sites défensifs, les résidences aristocratiques… A Boves, ce sera une motte. Cependant, cette morphologie subit des contraintes formelles dues à ce qui existait avant leur apparition. Dans la région de Boves, le relief, un plateau crayeux, justifie la mise en place d’un point stratégique à cet endroit, et pas à un autre. Savoir s’il y a eu une occupation antérieure au IXe siècle, ne justifierait pas le choix évidemment stratégique de ce lieu. C’est donc un problème secondaire. Une autre contrainte est l’hydrographie et l’accès à l’eau. On ne va pas construire un ouvrage, qu’il soit militaire ou aristocratique, loin d’un point d’eau. De plus, Boves surveille la confluence de l’Avre et de la Noye. On pourrait ainsi multiplier les exemples. La troisième contrainte que l’on peut retenir est relative au réseau routier mis en place par les romains. L’abandon des routes romaines ne concerne, selon les découvertes actuelles, qu’une faible proportion de ce qu’il a été. Les grands axes étant toujours visibles aujourd’hui dans les environs du site de Boves, ils ont dû jouer un rôle dans le choix du site. Les villes romaines ou celtiques ont dû aussi jouer un rôle dans la localisation de tels sites. On n’allait pas construire une motte dans Amiens, ville la plus peuplée de Picardie à cette époque, et cela d’autant plus qu’Amiens avait, selon les textes, son propre système de défense, hérité du Bas-Empire. Au Xe-XIe siècles, les fouilles du site de Boves ont mis à jour deux structures en bois et une mi-pierre, mi-bois. Le premier château totalement en pierre n’intervient qu’à la seconde moitié du XIIe siècle. Cette transformation fixe l’habitat sur ce site. Au XIIIe siècle, les Capétiens ont repris en main le pouvoir central. C’est ainsi qu’« au XIIIe siècle, la technique de la motte a complètement disparu » (PITTE, 1986, p. 128). Le système de défense « auto-organisé » n’a plus de raison d’exister. Il cède sa place à un système de défense global qui est désormais organisé par le pouvoir royal. Les forteresses internes n’ont plus de raisons d’exister dans les territoires englobés par le domaine royal90. Ce qui ne sera pas le cas de Boves, puisque le site va rester jusqu’au XVIe siècle un enjeu stratégique.

    Les castellologues veulent faire une typologie des mottes castrales, c’est-à-dire les classer à partir de leur forme. Une nouvelle fois, les formes euclidiennes semblent être privilégiées par les archéologues : le carré, le cercle, l’ovale, le rectangle… « De l’archéologie, nous attendons encore beaucoup. Nous en avons besoin pour comprendre la gestion de l’espace qui se pratiquait à cette époque » » (BOURIN, in MVM, 1996, p. 19). Ainsi, Monique BOURIN attend des archéologues une approche spatiale, ou plus exactement géographique. Le problème est que « la polarisation de l’espace est loin d’être simple à expliquer » (BOURIN, in MVM, 1996, p. 28), en tout cas par des approches euclidiennes, c’est-à-dire des approches réductionnistes de l’espace. L’espace-temps est un et indivisible, le tronquer ne permet pas d’expliquer les phénomènes. D’autant plus qu’« aujourd’hui, l’analyse des formes peut être conçue différemment et se passer de typologie » (CHOUQUER, 2000, p. 107). La géométrie fractale peut proposer, tant par son aspect mathématique que par son aspect philosophique, une avancée non négligeable dans l’approche développée par Gérard CHOUQUER.

2.1.2. Le cas de l’Amiénois (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994)

    Au VIIe siècle, le pouvoir mérovingien est représenté par un comte. Quant au pouvoir ecclésiastique, il l’est par un évêque, présent depuis le Ve siècle p.-C. Après, sans doute, quelques conflits, un équilibre se crée entre le pouvoir comtal et le pouvoir religieux. Cet équilibre est mis à mal par les raids normands du IXe siècle. L’Amiénois est une des régions les plus touchées. Vers 859-860, les Normands envahissent Amiens. En février 881, ils pillent Saint-Valéry et le Ponthieu, avant d’atteindre de nouveau l’Amiénois. En 890, les sources mentionnent un camp Viking près d’Argœuves, au nord-ouest d’Amiens. En 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte entre le chef normand ROLLON et le roi CHARLES LE SIMPLE (897-929) met fin aux raids normands. Toutefois, un ultime raid contre Amiens sera mené par les Rouennais en 925.

    Au Xe siècle, le comté d’Amiens possède sans doute la plus grande ville de Picardie, mais la fonction comtale, contrairement à d’autres régions comme la Flandre, au nord, n’est pas devenue héréditaire. Elle va par conséquent susciter de nombreuses convoitises, qui s’achèveront par la décomposition territoriale totale du comté primitif (carte 2 p. 63). Devant l’insuffisance du pouvoir central carolingien, comme dans toutes les autres régions, un pouvoir local va s’auto-organiser en suivant la loi du plus fort. L’absence d’héritier va rendre les combats particulièrement vifs dans l’Amiénois. Au nord du comté, une première cellule, au sens de Henri BENARD, et non de Robert FOSSIER, va s’organiser autour de Corbie qui a bénéficié, grâce à son prestigieux monastère, de privilèges accordés par le souverain. L’abbé de Corbie est sans doute le premier seigneur de l’Amiénois, puisque de nombreux seigneurs vont devenir ses vassaux comme les seigneurs de Moreuil et de Picquigny. Au sud de nombreuses places fortes vont émerger. Vers 925, on sait qu’HERBERT II DE VERMANDOIS (?-943) possède cinq places fortes dans l’Amiénois : Picquigny, Poix, Conty, Boves et Amiens, et qu’il a relevé le titre comtal par un don de CHARLES III LE SIMPLE. Ainsi se mettent en place « deux cellules de convection » : une autour de Corbie, une autour d’Amiens. On a l’impression que Corbie maintient une cellule forte jusqu’au XIIIe siècle, et que celle d’Amiens, au contraire, se désagrège jusqu’au XIIe siècle. Ainsi, les seigneuries vont se multiplier à l’intérieur de cette dernière cellule : Boves, Poix, Picquigny, Breteuil, Conty…

2.2. La structuration du complexe castral et prioral (XIe-XIIe siècles)

    A partir du XIe siècle, on sait par les données archéologiques que l’occupation devient continue. Les sources historiques confirment cette idée dans la mesure où les seigneurs de Boves apparaissent dans les textes. La géographie le confirme dans la mesure où le château est bel et bien un verrou.

2.2.0. Les modèles numériques de terrain, partie technique

    Pour ce mémoire, deux modèles numériques de terrain (M.N.T). ont été réalisés. Un premier a très grande échelle : celle du site (M.N.T. 1 p. 78). Un deuxième a plus petite échelle. Il couvre les alentours du site (M.N.T. 2 p. 81).

    Grâce aux mesures du géomètre Philippe BOUTTE et de Vincent LEGROS, nous possédons, à Boves, des données topographiques précises du site. Toutefois, les valeurs levées sont hétérogènement réparties de façon à ce que le M.N.T. à maille carré, calculer ensuite, soit aussi précis que possible. Les points sont multipliés là où le relief est accidenté. Ces données ont été stockées en deux formats : un format *.PIS, qui est un format avec séparateur de texte, et un format *.DXF, qui est le format standard d’AutoCad. Le premier format, de par sa nature, peut être lu sur Excel. On peut par conséquent le convertir en *.XYZ, qui est le format universel des données géo référencées. À partir de ce nouveau format, on peut convertir les données *.XYZ en une grille à mailles carrées sous Surfer8.

    La figure n°7 (p. 74) montre l’hétérogénéité des données de départ qui compte exactement 3337 points relevés de manière plus ou moins dense en fonction des micro-reliefs que présentait le terrain. Surfer ne peut faire un M.N.T. qu’en homogénéisant la grille de départ et en densifiant les points, là où ils sont les moins nombreux. La méthode permettant de faire cette transformation s’appelle interpolation91. Il en existe douze sur Surfer dont sont les principales : Inverse Distance to a Power, Kriging, Minimum Curvature, Modified Shepard’s Method, Natural Neighbor, Nearest Neighbor, Polynomial Regression, Radial Basis Function, Triangulation with Linear Interpolation, Moving Average, Data Metrics et Local Polynomial. Après plusieurs tests, il s’avère que la meilleure représentation est obtenue avec Natural Neighbor, c’est-à-dire avec des courbes anguleuses (figure 8 p. 74). Toutefois, on s’aperçoit qu’il y reste tout de même quelques problèmes locaux (en jaune sur la figure 8 p. 74). Il faut donc lisser les courbes de niveau. Là encore, il existe plusieurs possibilités. La meilleure solution est donnée par une courbe Spline Smooth. Cependant, cette opération passe par une perte d’informations à très grande échelle. Dès lors, on obtient la carte n°3 (p. 75), déjà élaborée dans le cadre de la recherche menée à Boves. L’objet de ce mémoire est de dépasser cette représentation en deux dimensions pour en construire une à trois dimensions : ce sont les M.N.T. qui vont suivre. Ils ont deux objectifs : un objectif pédagogique et ludique, mais aussi un objectif d’aide, de support à la réflexion. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit le site de Boves sans végétation, sans sa tour, sans son cimetière et sans son prieuré. Si l’on considère que ces quatre informations sont des « limites » à l’observation correcte du site, le M.N.T. les gomme et permet de voir le modelé du relief « dans toute sa beauté ».

L’hétérogénéité des données de départ
Figure 7. L’hétérogénéité des données de départ

Résultat imparfait obtenu avec la méthode Natural Neighbor
Figure 8. Résultat imparfait obtenu avec la méthode Natural Neighbor

Carte topographique du site de Boves (méthode Natural Neighbor lissée par une courbe Spline Smooth
Carte 3. Carte topographique du site de Boves (méthode Natural Neighbor lissée par une courbe Spline Smooth).

    Le deuxième M.N.T a été réalisé à partir des données fournies par Vistapro. Malheureusement, ces données ne peuvent être visualisées que sur un logiciel, Visual Explorer, dont les possibilités sont très limitées. Il faut par conséquent trouver un moyen de convertir les données Vistapro en un format qui peut être lu par Surfer8 ou par Microdem692. La conversion prend généralement un temps assez important93. C’est une limite à l’utilisation de cet outil. Toutefois, le résultat obtenu mérite l’effort fourni. Il est toujours surprenant, dans la mesure où il permet de se rendre compte de réalités que l’on ne perçoit pas forcément sur le terrain, ce qui empêche une bonne visualisation des modelés du relief comme, par exemple, l’expansion urbaine d’Amiens par rapport à l’époque qui nous intéresse prioritairement (Xe-XVIIe siècles)…

    Ainsi, les M.N.T. proposés dans la suite de cette partie auront à la fois une valeur illustrative, mais surtout une valeur démonstrative, dans la mesure où ils seront le support de la réflexion menée.

2.2.1. La motte et son champ morphogénique local

2.2.1.1. La notion de limite

    Si la notion d’origines est floue en histoire, celle de limite en géographie l’est tout autant. Dans Le Robert (1973), la première définition est « ligne qui séparer deux terrains ou territoire contigus (bord, confins, frontière, lisière) ». Le dictionnaire poursuit la définition en précisant qu’il s’agit à la fois d’un début et d’une fin. Cette première partie de la définition décrit la limite comme quelque chose de ponctuel : « point que ne peut ou ne doit pas dépasser une activité, une influence (barrière, borne, extrémité) ». La limite est perçue comme un point que l’on ne peut franchir, un point contre lequel on butte. La limite « sépare autant qu’elle unit » (MARTIN, 2003, p. 129). Pour le géographe, « la limite est ce qui permet de circonscrire un ensemble spatial donné. […] La limite apparaît comme la périphérie d’un ensemble cohérent, construit à partir d’un centre, d’un pouvoir et de l’appropriation identitaire de cet espace » (RENARD, 2002, p. 40). Les limites peuvent se classer en deux catégories : les limites progressives et les limites linéaires. « En géographie, l’absence de limite serait un espace isotrope et homogène ; c’est-à-dire en géomorphologie une plaine particulièrement plane et infinie dont l’érosion se ferait par des départs également distribués de matériel » (MARTIN, 2003, p. 128). La limite, si elle s’accentue, devient une discontinuité, c’est-à-dire, en géographie, une unité spatiale particulière qui est soit organisée, soit désorganisée. Philippe MARTIN propose deux catégories de discontinuités : les discontinuités topologiques entre deux états quasiment statiques et les discontinuités correspondant à des lignes ou à des surfaces entre deux entités en mouvement plus ou moins rapide. Elle semblent alors plus unir qu’elle ne séparent (MARTIN, 2003, p. 128). Les limites peuvent émerger sans aucune action anthropique. Pourquoi et comment les limites émergent-elles ? Comment se cristallisent-elles ? Ces questions posent à nouveau le problème de la morphogenèse.

    La cristallisation se réalise essentiellement grâce à la naissance d’une cohérence. D’après Le Robert, une cohérence est une « union étroite des divers éléments d’un corps ». Autrement dit, la cohérence est liée à la notion d’existence. La cohérence d’un système fait émerger les limites tangibles de ce système. Autrement dit, la cohérence définit une forme. Ses limites matérialisent le degré de fermeture d’un système, c’est-à-dire qu’il existe un « dedans » et un « dehors », le « dehors étant bien évidemment l’environnement. À partir de là, ce « dehors » structure le « dedans ». Autrement dit, dans le « dedans » émerge une identité. Enfin, l’émergence des limites est liée à la notion d’échelle. Si les échelles n’existaient pas, les limites n’existeraient pas. La limite « permet de circonscrire des objets d’étude à des échelles spécifiques dont l’articulation peut conduire à un discours explicatifs, voire démonstratifs » (MARTIN, 2003, p.129). Une échelle n – 1 est incluse dans une échelle n, par exemple. Cet emboîtement contribue à faire émerger une limite, donc une forme. Encore une fois, l’échelle et la taille sont au cœur de la réflexion, sans elles nul problème ne peut être défini. Aujourd’hui, on possède un outil qui permet de décrire l’emboîtement des échelles : c’est la géométrie fractale. « La mesure d’une chose dépend de l’outil de mesure que l’on utilise. Le mathématicien Benoît MANDELBROT a eu l’intuition de transformer « outil » en « échelle » » (BAUDELLE, REGNAULD, 2004, p. 101).

2.2.1.2. La morphogenèse du site (RACINET, 1997 ; RACINET, 2004)

    À la micro échelle, l’environnement qui structure la cohérence d’une motte est composé d’une ou de plusieurs basses-cours. « C’est une enceinte protégée par un rempart de terre, avec un fossé raccordé à celui de la motte, qui est en général excentrée. Ainsi la motte n’est que le point fort d’un ensemble castral plus complexe qui est le château, bien évoqué par l’expression du château à motte » (DEBORD, 2000, p. 63). La motte est rarement située au centre des basses-cours, car elles ont vraisemblablement un rôle de barrage de l’entrée de celle-ci. C’est le cas de Boves : la motte protège son grand fossé. Sa création a dû provoquer l’émergence de la première basse-cour. L’occupation semble avoir été d’abord provisoire, ce qui peut être mis en avant par le fait que les structures des Xe-XIe siècles sont en bois. Dans les années 1140, l’habitat du châtelain se fixe dans la mesure où le premier château totalement en pierre est construit. De ce fait, il devient une saillance au sens de René THOM (1991). On sait qu’au XIIe siècle, deux bâtiments religieux s’installent à la périphérie de celle-ci : le prieuré Saint-Ausbert (à la fin du XIe siècle) et l’église Notre-Dame-des-Champs (1196). Le prieuré Saint-Ausbert dépend du monastère clunisien de Lihons-en-Santerre. L’église Notre-Dame-des-Champs dépend de Saint-Fuscien-au-Bois, abbaye fondée par ENGUERRAN Ier DE BOVES. La motte et l’église vont faire émerger les limites définitives du site. La prospection aérienne a montré que dans cette deuxième basse-cour, il y avait des habitats qui dateraient au moins du XIIe siècle. L’église et le prieuré, en pierre comme le château, sont sans doute responsables de la création de la seconde basse-cour (figure 9 p. 78).

Schéma de l’organisation du complexe castral et prioral
Figure 9. Schéma de l’organisation du complexe castral et prioral

2.2.1.3. La construction de la motte de Boves

Le site de Boves
M.N.T. 1 Le site de Boves

    Le grand fossé du promontoire (carte 3 p. 75) est sans doute d’origine hydrographique. Joëlle DESIRE (1996) prétend qu’il s’agit un vallon sec. Toutefois, il a manifestement été retaillé par une action anthropique. Avec Surfer, on peut effectuer un cubage de la motte, c’est-à-dire évaluer son volume de terre. Le résultat provisoire tourne autour de 50 000 m3. Ce cubage prend en compte la rampe que voit à l’est de la motte. En faisant de même avec le fossé, on s’aperçoit que le volume de terre de celui-ci ne correspond pas avec celui de la motte. Cependant, cette constatation devra être affinée. Le M.N.T. n°1 (p. 78) montre une légère rupture de pente (entourée en rouge). Son origine a dû mal à être expliquée géomorphologiquement. Ainsi, la carte n°3 bis (p.79) émet une autre hypothèse sur la construction de la motte.

Hypothèse de la construction de la motte de Boves
Carte 3 bis. Hypothèse de la construction de la motte de Boves

Si ce schéma est exact, la composition de la terre de la motte est un mélange issu du grand fossé, d’un front de carrière et du petit fossé entourant la motte. La carte n°3 bis (p. 79) permet également d’expliquer la présence d’une rampe de terre, orientée est-ouest. Désormais, on possède quelques éléments supplémentaires pour expliquer la morphogenèse de la motte de Boves. En négligeant le fait que les hommes qui ont construit la motte avaient des machines, on peut bâtir l’hypothèse suivante. Si cinquante hommes sont mobilisés sur le chantier. Si chacun d’entre eux amènent cinq mètres cubes par jour pour la construction, soit deux cent cinquante mètres cubes par jour. Il faut deux cents jours, soit sept mois pour bâtir la motte. En supposant qu’il s’agit d’un relief retaillé, il y a fort à parier qu’elle a pu être construite entre quatre et cinq mois. Si on reformule la même idée avec cent ouvriers, on arrive à l’idée que la motte a pu émerger en trois mois, ou un mois, un mois et demi, s’il s’agit d’un relief retaillé ou « rechargé ».

    En ce qui concerne les angles d’attaque du château, il n’y en a que trois logiquement possibles avec des engins plus ou moins lourds (carte 3 bis p. 79). L’axe A est sans doute le plus direct des trois, mais il est très difficile à utiliser en fonction du relief. L’axe B est possible, mais à partir du XIIe siècle, il faut prendre en compte qu’une église et un prieuré sont sur cet axe de passage. Autrement dit, aucune machine de guerre ne peut passer sans raser les bâtiments. L’axe C est envisageable. Toutefois, peu probable, puisque la carte de Joëlle DESIRE (1996, p. 214), à plus petite échelle que la carte n°3 bis (p. 79), montre une succession de couloirs étroits à pentes raides, faciles à bloquer militairement parlant. On comprend mieux les expressions du style « « Ch’é comme ech Catieu d’Bove. Belle mote peu de cose » : il s’emploie pour marquer le peu de mérite réel de personnes ou de choses qui, sous des apparences pompeuses, n’en ont qu’un très petit. […] « La Hire est à Boves » : il indique un grand émoi. […] « Diroit-on point qui vo abate Boves » : il désigne un individu présomptueux et vantard » (cité dans RACINET, 1997, p. 286-287). La motte de Boves est toujours restée dans la mémoire collective comme un symbole de puissance. Le château n’a-t-il pas résisté à Philippe AUGUSTE en 1185-1186 ? Et ce, malgré l’absence de l’église paroissiale, le prieuré devait déjà être achevé. Maintenant, on possède quelques éléments pour mieux comprendre ce phénomène.

2.2.2. La motte et son champ morphogénique dans le comté d’Amiens

2.2.2.1. La situation géographique

    La carte n°2 (p. 63) a montré que Boves était au centre du comté d’Amiens primitif. C’est un verrou qui contrôle la confluence de l’Avre et de la Noye et un carrefour entre deux voies romaines, situé au nord du site. Dans un monde où les villes n’ont plus aucune importance (figure 6 p. 70), le château de Boves est un point capital. Etant au centre du comté d’Amiens, il joue le rôle d’un puissant pôle puisque le châtelain peut se permettre de tenir tête à un roi de France comme PHILIPPE AUGUSTE. Boves est un verrou qui contrôle trois grandes directions : le sud, l’est et l’ouest (M.N.T. 2 p. 81). Cependant, les raisons qui ont maintenu ce verrou pendant sept siècles consécutifs ont évolué. Chaque époque justifie la présence d’une forteresse à cet endroit précis jusqu’au XVIIe siècle. Au Xe siècle, deux raisons essentielles expliquent la présence d’un site à caractère défensif à Boves. La raison première est sans doute la menace normande. C’est à cause de leurs raids successifs que l’on a installé un site défensif. La seconde raison est l’absence d’un pouvoir central fort.

La région Boves avec un relief dont la hauteur a été multipliée par 5
M.N.T. 2. de la région Boves avec un relief dont la hauteur a été multipliée par 5

2.2.2.2. La concurrence entre les différents pôles organisateurs

    Les deux « cellules de Henri BENARD » sont des sphères ecclésiastiques : une cellule autour de l’évêché d’Amiens, une autre autour de l’abbaye de Corbie. Cependant, certaines familles voudront tirer profit des contentieux entre l’évêque et l’abbé, afin d’affirmer leur propre pouvoir : ce sont principalement les sires.

Comparaison des deux sphères ecclésiastiques avec les deux cellules de Henri BENARD
Figure 10. Comparaison des deux sphères ecclésiastiques avec les deux cellules de Henri BENARD

2.2.2.2.1. Amiens (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997 ; RACINET, 2004)

    L’Amiénois a connu une situation difficile au Xe siècle. Le comté n’appartient pas au domaine capétien, mais le comte relève féodalement de l’évêque. Ce dernier dépend du roi. Vers 925, HERBERT II DE VERMANDOIS est nommé comte d’Amiens par CHARLES III LE SIMPLE (897-929). Il possède cinq places : Picquigny, Poix, Conty, Boves et Amiens. En 943, EUDES, fils d’HERBERT, hérite du comté d’Amiens. En 944, LOUIS IV, aidé par l’évêque, chasse EUDES au profit de MONTREUIL HERLUIN, un fidèle des Robertiens. En 949, les Amiénois confient leur ville à ARNOUL DE FLANDRE, gendre d’HERBERT II. En 965, lorsqu’il meurt, il n’a pas d’héritiers. Le roi LOTHAIRE (941-986) nomme GAUTHIER, fils de RAOUL DE GOUY. Il appartient à la famille Vermandois-Valois-Vexin. Entre 1021 et 1030, une première convention est signée entre les Ambianenses et les Corbeienses entre l’évêque et l’abbé. Après l’exemption papale de l’abbaye de Corbie, en 1050, une deuxième convention est signée. En 1063, le comte GAUTHIER III est assassiné. RAOUL IV DE VALOIS obtient le comté jusqu’en 1077. Son fils SIMON DE CREPY abandonne ses droits sur le comté, qui n’appartient plus à personne.

    PHILIPPE Ier (1060-1108) tente récupérer les terres de SIMON. Entre 1077 et 1095, on possède peu d’informations. Vers 1095, les sires de Boves qui ont été liés à la famille déchue, revendiquent le comté d’Amiens. DREUX DE BOVES obtient un titre de vicomte et celui d’avoué de l’évêque. Son fils ENGUERRAN Ier DE BOVES en hérite, et devient comte d’Amiens. Possédant Amiens, Boves, Nouvion et Coucy, il tente d’associer l’Amiénois et le Vermandois. C’est par conséquent un danger pour LOUIS VI LE GROS (1108-1137). On pense qu’il obtient définitivement le titre de comte en 1104. Entre 1113 et 1117, il doit faire face à la Commune qu’il est forcé de reconnaître. En 1133, le fils cadet de THOMAS DE MARLE, fils d’ENGUERRAN, ROBERT obtient Boves. Dans les années 1140, il fait reconstruire le château. C’est le premier château en pierre construit sur la plate-forme. En 1146, après s’être marié avec la petite-fille d’ADELE DE VERMANDOIS, Robert prend le titre de comte d’Amiens. Ses excès contre les biens d’Eglise vont conduire à sa destitution. Le comté retourne une nouvelle fois aux Vermandois. En 1182, le comté entre en déshérence, à la mort de la sœur de RAOUL DE VERMANDOIS, ELISABETH, épouse du roi PHILIPPE II AUGUSTE. Un litige naît entre le comte de Flandres, PHILIPPE D’ALSACE, et ALIENOR, sœur d’ELISABETH, épouse du comte de Beaumont. Le roi prend le parti d’ALIENOR, et ROBERT DE BOVES, de retour d’exil, prête hommage au comte de Flandre, celui-ci accepte à condition que ROBERT renonce à Amiens. En 1185, ROBERT doit subir le célèbre siège de Boves.

    A la signature du traité de Boves, le 10 mars 1186, un bailli et un prévôt sont nommés à Amiens. Le baillage d’Amiens contrôle l’évêché et l’abbaye de Corbie. Le roi est devenu comte d’Amiens. Il n’y a théoriquement plus de problème de succession. PHILIPPE II AUGUSTE aurait fortifié Amiens, mais on pense que l’entreprise aurait été commencée par PHILIPPE D’ALSACE. Cette fortification est la preuve matérielle qu’Amiens n’a désormais plus besoin des forteresses alentours pour assurer sa défense. La fortification de la ville est achevée au XIIIe siècle. De plus, la Commune permet d’enrichir la ville. Elle est administrée par un maire et vingt-quatre échevins. Le maire est désigné par les mayeurs de la bannière94. Parmi les échevins, douze sont élus, douze sont choisis par cooptation. La Malmaison, ancien lieu de justice du comte, devient la maison de la Commune.

2.2.2.2.2. L’abbaye de Corbie (DHGE, 1956 ; MORELLE, 1997)

    Corbie a été le chef-lieu d’un comté mérovingien. À la tête de ce comté, il y a un ancien maire du palais de CLOTAIRE II : GONTLAND. Le comté comprend Warloy-Baillon, Canaples, Vignacourt, Talmas, Bertrangles, Forceville, Louvencourt et Authille. Lorsqu’il meurt sans héritier, le domaine revient au roi. Corbie est une abbaye royale qui a été fondée en 657 par l’épouse de CLOVIS II, BATHILDE et son fils CLOTAIRE III. Corbie est dédiée aux saints Pierre et Paul. L’abbaye reçoit de nombreux dons en Flandre, dans la Saxe, en Lotharingie, en Italie… BATHILDE va lui donner la forêt royale de la Vicogne. Elle demande des moines à WALBERT, abbé de Luxeuil pour peupler le nouveau monastère. Des diplômes fixent la situation juridique de cette abbaye. Elle est placée sous le contrôle de l’évêque d’Amiens BERTHEFRIDUS. Cependant, l’évêque reconnaît une certaine d’indépendance de l’abbaye et de la ville. Le 6 septembre 664, la charte d’émancipation est établie par l’évêque d’Amiens. Elle définit un collège perpétuel de moines, une autonomie temporelle de l’abbaye et la libre élection de l’abbé. L’abbé THEODEFROY représente le roi : il perçoit les taxes, il peut faire des levées militaires et il rend la justice. L’abbé est seul responsable devant le souverain. Quand BERTHEFRIDUS meurt, THEODEFROY le remplace. Un nouvel abbé, CHRODEGAIRE, est élu par les moines, et a reçu l’acceptation du roi et de l’évêque. C’est ainsi qu’à chaque changement d’abbé, les moines demandent la confirmation de leur statut légal. Le roi donne son autorisation avant de procéder à une nouvelle élection. L’élu doit être agréé par lui. Vers la fin du VIIe siècle, Corbie est dotée d’une grande bibliothèque.

    Le véritable essor du monastère a lieu à l’époque carolingienne. C’est sous PEPIN LE BREF et CHARLEMAGNE que les abbés de Corbie ont un véritable rôle politique. C’est un des grands pôles de la « Renaissance carolingienne ». L’empereur LOUIS Ier établit l’immunité de l’abbaye en 815 et en 825. Cette immunité est avant tout une protection pour l’abbaye : celle du roi. En 822, sa filiale saxonne de Corvey95 est fondée pour christianiser la Saxe. En 859, l’abbé EUDES tient tête aux Normands après qu’ils aient pris Amiens. En récompense, il est nommé évêque de Beauvais. En 881, Corbie est pillée par les Normands. Dans le courant du IXe siècle, l’abbaye devient bénédictine, et la ville, sous l’impulsion de l’abbé FRANçON va s’étendre et se fortifier. En 901, ce même abbé demande l’autorisation à CHARLES III LE SIMPLE de construire des murailles. Le territoire de l’abbaye devient puissant sous son mandat. Il assure défense et protection aux habitants de la ville. Il rend la justice. Il bat monnaie. Il représente l’autorité du roi. L’abbé reste sous l’autorité de l’évêque et sous celle du comte d’Amiens. Très vite, les abbés vont s’affranchir de ces deux autorités en prenant le titre de « comte de Corbie ». Finalement, l’ancien comté mérovingien refait surface : le pouvoir comtal est donc une saillance au sens de René THOM (1991). Ils ne dépendront plus que de l’archevêque de Reims, puis en 1050, du pape. Le monastère est un enjeu pour les Carolingiens, les Capétiens, les comtes de Flandres et les comtes d’Amiens. Au Xe siècle, lors de la désagrégation de l’empire carolingien, il semble logique que la ville structure une des « cellules », ce qui correspond à la partie nord du comté primitif d’Amiens qui va être contrôlée par le monastère de Corbie. Le monastère va rester jusqu’au bout fidèle aux carolingiens (jusque 987). Corbie devient une seigneurie ecclésiastique. L’abbé est comte de Corbie. Les abbés doivent lutter contre les sires de Boves, le comte d’Amiens GAUTHIER II et le sire d’Ancre, GAUTHIER.

    >Au début du XIe siècle, les relations entre Corbie et Amiens se tendent. L’évêque FOULQUES II, petit-fils de GAUTHIER III. GUY DE PONTHIEU lui succède et continue le combat. En 1022, Amiens et Corbie s’unissent. Les deux communautés se sont rencontrées à mi-chemin dans la plaine du Daours. Une croix y est élevée. C’est le symbole de leur union. Corbie connaît sa paix de Dieu96 vers 1030. L’abbaye subit la concurrence de l’évêque et de ses avoués. En 1041, HENRI Ier vient à Corbie pour protéger l’abbaye contre la convoitise d’un des vassaux du monastère : le seigneur d’Ancre, GAUTHIER. Le 18 avril 1050, Corbie reçoit l’exemption97 papale de LEON IX (1049-1054). La bulle interdit à l’évêque d’Amiens de se mêler des affaires de l’abbaye de Corbie. L’abbé obtient alors une très grande potestas. Avant 1051, les sources diplomatiques sont peu nombreuses (une quarantaine). En 1074, PHILIPPE Ier rattache Corbie à la couronne. En 1123, LOUIS VII donne une charte à Corbie sous l’abbé ROBERT. En 1186, Corbie est assiégée par PHILIPPE D’ALSACE. Au XIIe siècle, la population s’étend hors des enceintes et Cluny pénètre à Corbie.

2.2.2.2.3. Les sires (Picquigny, Boves, Poix, Conty, Moreuil…) (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997 ; RACINET, 2004)

    Du XIe au XIIe siècle, il y a deux pôles principaux dans le comté primitif d’Amiens : Amiens et Corbie, mais il y en a d’autres qui cherchent à s’affirmer par rapport aux deux pouvoirs religieux. C’est le cas des sires de Boves, mais ils ne sont pas seuls. La cellule qui se désagrège le plus est celle d’Amiens. L’absence d’une fonction comtale héréditaire en est sans doute la cause. On connaît à la fin du XIe siècle de nombreux sires qui ont imposé leur autorité sur plusieurs terroirs.

    Au sein de la cellule d’Amiens, on ne va retenir que les pôles organisateurs ayant obtenu le titre de vicomté. Les sires de Boves contrôlent la vallée de l’Avre et de la Noye. Ce sont les avoués de l’évêque d’Amiens. ENGUERRAN Ier fonde l’abbaye de Saint-Fuscien-au-Bois. À partir de la seconde moitié du XIIe siècle, il n’y a plus d’éléments artisanaux sur la motte. Il obtient le titre de vicomte au XIe siècle. Les sires de Picquigny contrôlent l’est de la vallée de la Somme entre Amiens et le comté de Ponthieu. Ce sont les vidames de l’évêque d’Amiens. Le château est possédé par la même famille du XIe à 1774. Les sires de Poix à l’est du comté d’Amiens contrôlent des villages comme Noyelles, Argoules, Saint-Fosse, Verton… Conty devient un vicomté en 1154. Il contrôle le sud du comté d’Amiens. Les sires (ou les comtes selon les époques) de Breteuil contrôlent une cinquantaine de villages au sud du comté d’Amiens.

    La cellule de Corbie semble beaucoup moins se désagréger. On connaît peu de sires qui contestent le pouvoir de l’abbé-comte : les sires de Moreuil, au sud, près de Boves, les sires d’Ancre (Albert, aujourd’hui), au nord. Il y a une motte à Moreuil établie près de l’Avre, comme Boves. Le château primitif a été construit près de l’abbaye Saint-Vaast, fondée par BERNARD DE MOREUIL. Le site appartient à la même famille du XIIe à la fin du XIXe siècle. Les Moreuil sont issus de la lignée des Soissons. Ce sont les chambellans héréditaires de l’abbaye de Corbie. Ancre et Vignacourt occupent également une position qui n’est pas négligeable dans le comté de Corbie.

2.2.2.3. La victoire d’Amiens sur les autres pôles organisateurs

    A partir du XIIe siècle, l’état critique semble être fini, dans la mesure où Amiens redevient une ville. Ce constat n’est pas sans conséquences spatiales : son rôle prédominant de pôle va se réaffirmer, et reprendre possession de son territoire. De tous les pôles organisateurs décrits précédemment, seul Amiens va résister et triompher des autres.

2.2.2.3.1. Un changement d’échelle : l’intégration au royaume de France (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997)

    Un seul seigneur peut construire une unité à partir de ces petites structures auto-organisées : c’est le roi capétien. En effet, il est le seul seigneur qui n’a pas besoin de prêter serment à un autre seigneur, son sacre l’en empêche. Après avoir structuré une administration efficace aux temps des premiers Capétiens, leurs descendants, comme LOUIS VI, PHILIPPE II, LOUIS IX, PHILIPPE IV, vont commencer à conquérir les territoires appartenant à leurs vassaux. Ceux-ci sont remplacés progressivement par les fonctionnaires royaux comme le bailli et le prévôt. Ces fonctionnaires vont être installés dans les villes, et non dans les places issues de l’auto-organisation du Xe siècle. Les villes vont par conséquent redevenir l’enjeu du pouvoir. Leur activité renouvelée témoigne d’un changement d’échelle, dans laquelle des sites comme Boves n’auront plus aucun intérêt. Amiens va redevenir le pôle central de ce qui reste du comté primitif. Ce renouveau se réalise en deux étapes : la mise en place de la Commune entre 1113 et 1117 et la signature du traité de Boves en 1186.

2.2.2.3.2. Le rôle de la Commune (1113-1117) (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997, LEBLANC, 2003)

    La Commune d’Amiens est le premier signe de la fin du phénomène d’auto-organisation au sens strict. La ville, en voulant son autonomie, prouve qu’elle veut et qu’elle peut s’assumer toute seule. L’épisode de la Commune d’Amiens est narré par deux sources : SUGER et GUIBERT DE NOGENT. Une commune est une société collective populaire représentée par son maire et ses échevins (de six à huit). LOUIS VI LE GROS (1108-1137) accorde systématiquement sa garantie aux communes. Amiens n’échappe pas à la règle. Cette situation va fortement mécontenter ENGUERRAN Ier DE BOVES, devenu comte d’Amiens, peu avant les événements. Deux clans se forment : celui de l’évêque GEOFFROY, le roi, le vidame GUERMOND DE PICQUIGNY, et celui d’ENGUERRAN, THOMAS DE MARLE et ADAM, un châtelain vassal de THOMAS. Après quatre années de rebondissement en tout genre, en 1117, Amiens acquiert son autonomie et ENGUERRAN perd le titre de comte d’Amiens au profit de RENAUD DE CLERMONT, comte de Vermandois.

    A la fin du XIIe siècle, la zone de turbulence semble avoir été surmontée : des positions fixes ont été maintenues jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle. Dans le schéma autopoiétique (figure 6 p. 70), tout fonctionne dans un espace rural, ce qui explique en partie « le déclin urbain ». Pendant ce même XIIe siècle, les villes vont être « réactivées » par le pouvoir central de l’époque : le pouvoir royal. Ce sera le cas d’Amiens. Après avoir perdu son statut au IXe-Xe siècles, et au XIIe siècle grâce à sa liberté communale (1113-1117), elle réactive son attraction. De plus, à la fin du XIIe siècle, la ville sera fortifiée. Au XIIIe siècle, avec l’intégration de la Picardie au royaume de France, une nouvelle échelle englobant l’ancienne, se met en place selon le schéma suivant :

Boucle optimale de la construction capétienne (XIII<sup>e</sup> siècle)
Figure 11. Boucle optimale de la construction capétienne (XIIIe siècle)

    Le peuplement urbain est encouragé par les chartes communales. Les villes retrouvent leur pouvoir, qui avait été réparti dans différents terroirs. Amiens n’échappe pas à cette règle. Au XIIIe siècle, la prospérité bat son plein. Les différentes seigneuries sont progressivement abandonnées, y compris celle de Boves. La dynastie des seigneurs de Boves s’éteint au XIIIe siècle, et la seigneurie aurait probablement dû disparaître au XIVe siècle. Cependant, il n’en fut rien ! Le château a perduré jusqu’au début du XVIIe siècle. L’explication est vraisemblablement spatiale. Il y a une sorte d’« effet frontière » qui va maintenir le site en place. Le modèle numérique de terrain montre clairement que Boves est le verrou d’Amiens à l’est, au sud et à l’ouest (M.N.T. 2 p. 81). De ce promontoire, on voit tout. Si on place une « frontière » entre le Ponthieu et l’Amiénois au début du XIVe siècle, où d’un côté on est en Angleterre et de l’autre en France, le point géostratégique « Boves » s’en trouve évidemment réactivé. On ne va pas construire ailleurs. Boves est devenue une saillance au sens de René THOM (1991). Dans les années 1420, l’Amiénois et le Ponthieu entrent dans la sphère bourguignonne. Boves surveille la frontière au sud. Le château continue à être maintenu malgré tout.

2.2.2.3.3. Le siège de Boves et ses conséquences (1185-1186) (FOSSIER, 1974 ; VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997)

    Le traité de Boves (10 mars 1186) scelle la fin du comté primitif d’Amiens. PHILIPPE II Auguste obtient le comté d’Amiens, le comté de Montdidier, la châtellenie de Roye, la châtellenie de Thourotte… correspondant au sud du comté primitif. Autrement dit, le comté d’Amiens va être intégré dans la structure en construction qu’est le royaume de France. D’une échelle locale, on passe à une échelle plus petite. PHILIPPE D’ALSACE obtient le nord de la Picardie jusqu’à sa mort en 1191. Robert FOSSIER (1968) précise qu’une forêt, au niveau de la Vicogne, sert de limite entre le royaume de France et le comté de Flandre de 1186 à 1191. Le comté d’Amiens est réduit au sud de l’ancien comté primitif (carte 2 p. 63). Boves perd sa position centrale. Une nouvelle configuration spatiale émerge. En plus, le roi devient comte d’Amiens par ce traité. Il y est représenté par deux fonctionnaires : le bailli et le prévôt. Les prévôtés gagnent les principales villes picardes : Beauvais, Fouilloy, Doullens, Beauquesne, Saint-Riquier, Montreuil et le Vimeu. Le roi permet aux villes moribondes, héritées de l’Antiquité de se revitaliser. L’équilibre s’installe au XIIIe siècle (carte 4 p. 90). L’auto-organisation du Xe siècle est désormais encadrée par un pouvoir central qui est en devenir. Boves est désormais devenue inutile, et ce qui est devenu inutile ne peut survivre. La chance va jouer en faveur du maintien d’une activité défensive à Boves. C’est tout le contexte du XIVe siècle.

Le comté d’Amiens au XIII<sup>e</sup> siècle
Carte 4. Le comté d’Amiens au XIIIe siècle (d’après FOSSIER, 1974, p. 143)

2.3. Le château en survie (XIIIe-XVIe siècles)

2.3.0. Les systèmes informations géographiques (S.I.G.)

    Les cartes déjà élaborées (carte 2 p. 63 et 4 p. 90) ont toutes été conçues dans le cadre d’un système d’informations géographiques. (S.I.G). Les systèmes d’informations géographiques permettent une analyse rapide d’une situation spatiale. Schématiquement, elles ont deux natures : une est un dessin vectoriel de l’espace géographique considéré et l’autre est une base de données contenant des informations relatives à l’espace.

    La construction d’un S.I.G. se fait en trois étapes : la première consiste à acquérir et à gérer les données, la seconde consiste à interroger le système élaboré et la troisième à cartographier les informations filtrées obtenues. En pratique, le travail préalable est considérable. La première étape dans la création d’un S.I.G., pour le logiciel considéré (MapInfo6), est de numériser un fond de carte déjà élaboré (ce qui suppose de l’avoir fait) et de caler cette image. Le calage d’une image raster98 est l’étape clé dans la création d’un S.I.G. puisqu’il permet la mise à l’échelle de la carte numérisée. Ici, le calage choisi est réalisé sous la forme d’un « objet non terrestre », ce qui signifie que la carte sera projetée dans un système de coordonnées cartésiens, et non dans un système de coordonnées sphériques comme le système Lambert.

S.I.G. - Méthode - Partie 1

La mesure de la distance choisie est le kilomètre. Le calage consiste à identifier trois points de référence qui serviront de repère cartésien. Afin de couvrir toute la carte, il faut nécessairement prendre trois points à l’extrémité de l’image raster. Dans notre cas, chaque image raster a été retravaillée telle que les positionnements soient identiques enfin de faciliter la superposition des couches. Leur taille est identique : 3000 &Times; 3150 pixels. Les points de calages seront par conséquent :

  • point 0 : image X 0 px, image Y = 3 150 px, carte X = 0 km et carte Y = 0 km

  • point 1 : image X = 3 000 px, image Y = 3 150 px, carte X = 182 km et carte Y = 0 km

  • point 2 : image X = 0 px, image Y = 0 px, carte X = 0 km et carte Y = 190 km

  • point 399 : image X = 3 000 px, image Y = 0 px, carte X = 182 km et carte Y = 190 km

    Par convention, il faut toujours rentrer la longitude avant la latitude. Le kilométrage rentré a été obtenu par la mesure du cadre de l’image raster en fonction de l’échelle de la carte originale, soit x = 182 km et y = 190 km. L’image raster s’affiche ensuite sur MapInfo6.

    S.I.G. - Méthode - Partie 2

        La deuxième étape pratique, dans la construction du S.I.G., consiste à transformer l’image raster en image vectorielle100. On dessine les éléments saillants qui appartiennent à la même unité spatiale dans une même couche. Le S.I.G. créé dans le cadre de ce mémoire comporte onze couches : une couche pour les châteaux, une pour le réseau hydrographique, une autre pour le réseau routier hérité des romains, une pour matérialiser les limites hypothétiques du comté d’Amiens primitif ainsi que chaque étape de restructuration de l’espace (XIIe, XIVe, XVe et XVIe), une couche matérialisant le front de 1916, une pour le relief supérieur à cent mètres et une pour le traité de côte dans sa situation actuelle. Les informations sont diverses et variées : le nom des cours d’eau, le nom des villes et villages ayant une fortification ou un château de résidence, etc. La base de données qui va particulièrement nous intéresser est celle des châteaux. Cette base est malheureusement incomplète. Elle ne recense que les châteaux construits dans les limites hypothétiques du comté d’Amiens primitif selon Robert FOSSIER (1974). Ainsi, du point de vue de l’analyse spatiale, ce mémoire ne pourra étudier que l’espace géographique du Xe siècle. La base de données comporte vingt colonnes, synthétisant diverses informations comme l’état du site considéré à sa fondation, si on la connaît, l’état du site aujourd’hui… La base recence 113 sites avec en plus 36 sites hors des limites considérées. Par interrogation de la base, on peut supprimer tous ce qui n’a pas été construit avant une date déterminée. Il est évident que nous n’avons qu’une information partielle. Etant donné que les principaux lieux de pouvoirs sont créés et connu au XIe siècle,nous partirons de l’hypothèse de départ que ces sites ont émergé au Xe siècle sous la forme d’une motte, d’un château, d’une fortification quelconque ou d’une autre forme de pouvoir. Toutefois, dans l’analyse spatiale réalisée dans la troisième partie, les limites approximatives ne sont pas gênantes, mais il faut admettre que tout repose sur une hypothèse de travail qui est partiellement vraie. L’analyse spatiale permettra de percevoir une tendance globale. Elle corrige donc, en partie l’erreur de départ, sans l’annihiler.

        L’interrogation de la base serautile dans la troisième partie. Pour cette deuxième partie, le logiciel est apprécier pour la facilité qu’il procure à réaliser des cartes (carte 2, p. 63, 4, p. 90, 5, p. 99, 6, p. 100, 7, p. 102, et 9, p. 105).

    2.3.1. Les beaux jours d’Amiens (XIIIe siècle) (VAQUETTE, 1994)

    2.3.1.1. Amiens, le pôle organisateur de l’Amiénois

        La victoire de Bouvines, le 27 juillet 1214, assure la soumission des Flandres. Amiens peut désormais prospérer dans une paix relative. Au XIIIe siècle, Amiens a un commerce florissant. La ville possède des manufactures de draps, des teintureries et le commerce de la guède101. De 1220 à 1269, on reconstruit la cathédrale d’Amiens, ce qui est une marque de prospérité. On la reconstruit également pour abriter la relique de la tête de saint Jean-Baptiste102. Amiens devient un lieu de pèlerinage pour tous les rois de France : LOUIS IX, PHILIPPE III, CHARLES VI et CHARLES VII. Amiens sera au cœur de la guerre de Cent Ans. CHARLES VI rencontre sa future femme à la cathédrale d’Amiens, et ils s’y marient le 17 juillet 1384. De 1292 à 1331, la Commune est annulée. Cette annulation est la preuve que le roi n’a plus besoin des villes pour affirmer son autorité, mais la Guerre de Cent Ans va redistribuer la donne.

    2.3.1.2. La fin de Corbie

        Ce qui va faire d’Amiens, la ville de la région est la fin de la cellule de Corbie. Cela commence dès PHILIPPE II AUGUSTE. En effet, celui-ci intervient à chaque fois que le siège abbatial est vacant. En 1214, Corbie envoie une milice à PHILIPPE II AUGUSTE pour la bataille de Bouvines. Au XIIIe siècle, l’abbé est toujours très puissant, mais l’abbaye perd beaucoup de ressources. Elle ne peut plus entretenir que dix religieux. À la fin du XIIIe siècle, la Commune de Corbie n’existe plus sur ordre de PHILIPPE IV le Bel. La dépendance directe de l’abbé avec le roi de France va causer la perte de l’abbaye. Le roi en voulant protéger l’abbaye, va clairement exiger qu’elle ne soit plus capable de se défendre elle-même. La poussée du pouvoir royal va privilégier Amiens au dépend de Corbie. En 1297, l’abbé GARNIER reçoit l’ordre de PHILIPPE IV de rejoindre l’armée des Flandres. En 1302, Corbie aide PHILIPPE IV à Courtrai. Corbie choisit le parti du roi, et non celui du pape dans le conflit entre PHILIPPE IV et BONIFACE VIII. En 1346, à Crécy, l’abbé HUGUES DE VERS combat en personne, à Crécy, à la tête de 500 cavaliers. Corbie deviendra une place bourguignonne. Elle fait partie des villes de la Somme du traité d’Arras de 1435. Elle redevient française en 1463. Au temps de CHARLES LE TEMERAIRE, Corbie sera un enjeu entre LOUIS XI et le duc de Bourgogne, ce qui aboutira en 1475 au pillage de Corbie. À la fin de l’année 1618, l’abbaye adopte la réforme de Saint-Maur. En 1636, Corbie doit soutenir un siège contre les Espagnols.

    2.3.1.3. L’agonie des sires et des mottes

        Après 1185, les Boves restent toujours un grand lignage. En effet, le fils de ROBERT, THOMAS, devient prévôt d’Amiens. ENGUERRAN IV fonde, en 1218, l’abbaye Notre-Dame du Paraclet, sur l’ancien ermitage Saint-Ulphe. ROBERT III DE BOVES meurt sans héritier. En 1249, sa veuve, ADE DE BOVES, épouse NICOLAS DE RUMIGNY. Son successeur, HUGUES, a une fille qui épouse THIBAULT DE LORRAINE. Celui-ci reçoit en dot la seigneurie de Boves en 1282. Cette transaction entre dans une logique territoriale à plus petite échelle qui consiste à faire entrer dans la vassalité du roi de France, les puissants ducs de Lorraine. Boves devient un point sans intérêt stratégique : c’est devenu un péage sur la route entre Montdidier et Abbeville. Amiens, pôle essentiel du comté, a remplacé les seigneuries alentours dans tous les pouvoirs qu’ils pouvaient exercer.

        A Moreuil, le château est détruit en 1358 par les Jacques, en 1422 par les partisans de CHARLES VII. Il est restauré en 1434. La nouvelle construction sert pendant les Guerres de Religion. À Picquigny, le château est reconstruit au XIVe siècle et remanié aux XVe-XVIe siècles. À Poix, le château est dédoublé au XIVe siècle. Le château de Breteuil est détruit au XIVe siècle, vraisemblement suite, à un siège, mais il sera reconstruit. Le château de Conty aurait été rasé par BEDFORD en 1427. Bref, grâce à la carte n°5 (p. 99), on a l’impression que les seigneuries proches de la « frontière » entre le Ponthieu et l’Amiénois se renforcent (Picquigny, Poix…). Au détrmient des seigneuries un peu plus en retrait comme Moreuil, Breteuil, Corbie, Conty… Cependant, il semble que le point Boves est, à nouveau, placé au centre de toutes les préoccupations.

    2.3.2. La survie de Boves (XIVe-XVIe siècles)

    2.3.2.1. La notion de frontière en géographie

        « La frontière est limite et discontinuité » (RENARD, 2002, p. 42). C’est la limite de l’exercice de la souveraineté nationale, des pouvoirs d’un état, d’une société reconnue et soudée autour de son histoire, de sa langue et de ses institutions sociales, politiques, administratives et religieuses. C’est la discontinuité brutale entre deux territoires construits engendrant une dynamique, à la fois endogène et exogène. La frontière « est une LIMITE politique articulée à l’exercice de pouvoirs (maîtrise, contrôle, défense…), capable de séparer des territoires. Souvent abordée en termes de rupture et de concurrence, la frontière peut sous certaines conditions internationales particulières, devenir un lieu d’échanges créateurs, d’innovations, de complémentarités. Selon les dynamiques engagées, elle engendre des effets spatiaux très différents. La frontière est donc à la fois la LIGNE DE SEPARATION mais aussi l’espace de proximité concerné par la dynamique de la ligne (ouverture/fermeture) » (RENARD, 2002, p. 44). Ainsi, toute limite n’est pas une frontière. Elle « peut se transformer en discontinuité dès que les principes d’opposition […] ou de dissymétrie s’accentuent de part et d’autre de la limite » (RENARD, 2002, p.44). La frontière n’apparaît que s’il y a un conflit territorial à cause des discontinuités provoquées par cette limite.

        Vraisemblablement ce qui a maintenu le château de Boves en activité, alors que la plupart des sires étaient mis à mal par la reprise en main du comté par la Commune d’Amiens et par les fonctionnaires royaux, c’est l’émergence d’une frontière entre le Ponthieu et l’Amiénois. En 1328, le roi d’Angleterre possède le comté de Ponthieu, fief hérité par sa mère ISABELLE DE FRANCE, et le duché de Guyenne. On peut parler de frontière puisque c’est une limite entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre et une discontinuité dans la mesure où, d’un côté, le territoire est administré et organisé par le système anglais, et de l’autre, par le système français. Cette situation peut expliquer le choix de la cathédrale d’Amiens, en 1329, pour l’hommage d’EDOUARD III, roi d’Angleterre à PHILIPPE VI DE VALOIS, roi de France. Le roi d’Angleterre n’a finalement été en France que le temps de la cérémonie ! Toutefois, à cette époque, parler de frontière est peut être prématurée dans la mesure où les Etats-nations sont en train de se constituer, mais la Guerre de Cent Ans constitue une sorte d’expérience de l’Etat-nation comme l’a montré Philippe CONTAMINE ou Jean-Pierre RENARD. On peut donc se risquer à employer le terme « frontière » dans la mesure où la limite séparant le Ponthieu et l’Amiénois est issue d’un projet. Cette limite aura tendance à se radicaliser tout au long de la Guerre de Cent Ans, en faisant émerger une discontinuité. Ainsi, les modalités qui font émerger une frontière a l’époque contemporaine, selon Jean-Pierre RENARD, ne semblent par s’appliquer directement en ces XIVe-XVe siècles. Toutefois, pour Boves, il est évident que l’apparition de la frontière a prolongé la longévité du site. Sans elle, Boves aurait perdu tout caractère défensif ou aurait été abandonné beaucoup plus tôt. Le déclin de l’occupation se fait en trois temps : d’abord, ce qu’il convient d’appeler « l’effet anglais » sur le maintien du château, puis un « effet français », lorsque Boves appartient à la sphère bourguignonne et enfin, un effet espagnol, lors des guerres de religions.

    2.3.2.2. L’effet anglais (1328-1435) (VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997 ; RACINET, 2004)

        Il semble évident que si une frontière ne s’était pas mise en place en 1328 entre le Ponthieu et l’Amiénois, Boves aurait disparu comme la plupart des mottes de la région. Sur ces mottes, bons nombres de résidences vont remplacer les sites fortifiés. C’est ce dont témoigne le XIIIe siècle (carte 5 p. 99). La « frontière » va réactiver le site de Boves. En effet, il semble être le meilleur point d’observation de celle-ci (M.N.T. 2 p. 81). En 1329, le château est occupé par ISABELLE DE RUMIGNY et son fils MATTHIEU DE LORRAINE. À partir de 1334, la seigneurie de Boves sert de douairière103 à la duchesse MARIE DE BLOIS-CHATILLON. Les princes lorrains ne portent aucun intérêt particulier au château de Boves. De plus, le roi assure une protection efficace à l’Amiénois. Lorsque la Guerre de Cent Ans va faire vaciller le pouvoir royal, Boves va être réutilisé. Face à la faiblesse du pouvoir central et à la présence d’Anglais dans le Ponthieu, Boves redevient indispensable à la surveillance de la région, voire à sa défense. Boves redevient un verrou. En 1358, la révolte des Jacques secoue l’Amiénois. GUY DE CHATILLON, lieutenant général du régent en Picardie, doit garder Picquigny, château proche de la frontière, et Boves, château contrôlant toute la région. Les autres sites à caractère défensif le sont également.

        En 1360, le traité de Brétigny libère les routiers qui, dès lors, sèment la terreur sur tout le territoire royal. En 1363, le duc de Lorraine JEAN Ier récupère la douairière de sa mère MARIE décédée. Devant l’insécurité de cette fin du XIVe siècle, le duc entame une reconstruction du château. C’est le plus grand qui ne sera jamais construit sur la plate-forme. La phase de construction s’étale d’environ 1360 à 1380. Le château devient un point d’appui pour le duc de Lorraine dans le cadre de la compétition entre les princes qui se développe après la mort de CHARLES V. En 1368, le bailli d’Amiens, JEAN BARREAU, représentant du roi, reçoit la commission de faire réparer et de mettre en défense les « bonnes villes » et les châteaux de sa juridiction. Boves bénéficie de cette aide. C’est ainsi que HUE DE MONTAIGNE, écuyer et gouverneur de la châtellenie de Boves, est autorisé à faire travailler pendant trois ou quatre jours les habitants aux fortifications du château, où ils trouvaient refuge en temps de guerre. De 1364 à 1388, JEAN Ier sera fidèle au roi. En 1383, lors d’une déroute anglaise dans les Flandres, le château, à peine fini, est remis en défense, sans doute, pour couper la retraite des Anglais vers le Ponthieu. On a vu qu’on peut en cette fin du XIVe siècle, parler de frontière entre le Ponthieu et l’Amiénois, dans la mesure où l’on perçoit une discontinuité spatiale entre le Ponthieu anglais et l’Amiénois français.

        En 1391, à la mort de JEAN Ier, Boves est attribué à son fils cadet, FERRY DE LORRAINE. En 1393, celui-ci épouse MARGUERITE qui lui apporte en dot la seigneurie de Joinville et une partie du comté de Vaudémont. FERRY semble avoir voulu donner à son château de Boves une nouvelle puissance. Il entre dans la mouvance bourguignonne. En 1386, sa sœur ISABELLE a épousé ENGUERRAND VII DE COUCY. Autrement dit, pour la première fois, depuis le XIIe siècle, il y a un lien entre Boves et Coucy. La terre qui a fondé la dynastie des Coucy est à nouveau à porter de leur main. Boves va redevenir un enjeu local. C’est ainsi qu’en 1397, ENGUERRAND VII intente un procès à FERRY pour la récupérer, mais il meurt la même année, laissant la seigneurie à FERRY. Le seigneur de Boves est tué à la bataille d’Azincourt, le 25 octobre 1415. Au retour, les troupes d’HENRI V, roi d’Angleterre, s’arrêtent à Boves pour se ravitailler, avant de regagner le Ponthieu.

        En 1431, le seigneur d’Aumont tient la forteresse. CHARLES VII possède des partisans à Boves, Daours, Moreuil, Folleville, Breteuil, Poix, Conty et Airaines. En 1435, la paix d’Arras conclue entre CHARLES VII et PHILIPPE LE BON donne les villes de la Somme et le Ponthieu à l’Etat bourguignon.

    Le Ponthieu et le Calaisis anglais (XIV<sup>e</sup> siècle) : la réactivation du point Boves
    Carte 5. Le Ponthieu et le Calaisis anglais (XIVe siècle) : la réactivation du point Boves (d’après KERHERVE, 1998, p. 155)

    2.3.2.3. L’effet français (1435-1463) (VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997 ; SCHNERB, 1999 ; RACINET, 2004)

        En 1419, suite à la défaite française d’Azincourt (1415), la frontière va se décaler : celle du Ponthieu va disparaître. Le Ponthieu est désormais sous domination bourguignonne. La frontière va être placée entre les possessions bourguignonnes et la France. Le château justifie encore une fois son existence : il sert toujours de poste d’observation surveillant le sud. En 1419, l’échevinage d’Amiens nomme capitaine de Boves VALERAN DE MOREUIL pour combattre les Ecorcheurs. Le 7 février 1442, la duchesse ISABELLE DE PORTUGAL, demande à ANTOINE DE CROY de remplacer le capitaine de Boves, PIERRE REGNAULT DE VIGNOLLES. C’était un frère bâtard d’ETIENNE DE VIGNOLLES dit LA HIRE. Tout comme celui-ci, il prend part à des pillages avec les Ecorcheurs. En 1463, le traité d’Arras rachète les villes de la Somme le 8 octobre 1463. Boves devient sans intérêt. Il faudrait étudier davantage les sources du XIVe au XVIe siècle qui ont été peu exploitées. Il est donc difficile d’ajouter plus d’informations concernant cette période.

        Comme le montre la carte n°6 (p. 100), Boves est au centre de la Picardie bourguignonne.

    La Picardie bourguignonne (1435-1477) : le maintien du point Boves
    Carte 6. La Picardie bourguignonne (1435-1477) : le maintien du point Boves (d’après KERHERVE, 1998, p. 212)

    2.3.2.4. L’effet espagnol (1576-1604) (VAQUETTE, 1994 ; RACINET, 1997)

        CHARLES DE LORRAINE, le duc d’Aumale, est le gouverneur de Picardie. Lors des guerres de religions, le château, comme beaucoup d’autres, sert d’arsenal aux Ligueurs, Boves étant catholique, dans les environs d’Amiens. Le 27 septembre 1590, la ville d’Amiens envoie douze soldats à Boves pour garder le château et le prieuré. En cette période troublée, Boves participe activement à ces combats, mais le château semble être, déjà, moins important que la ville d’Amiens. Vers 1597-1598, le duc de Lorraine est dépossédé de ses terres, parmi elles, Boves, après la reprise d’Amiens aux Espagnols par HENRI IV. Le siège avait duré six mois. Cet événement est capital. Amiens a prouvé qu’elle pouvait se défendre seule. Un effet espagnol place les enjeux au nord de l’Amiénois (carte 7 p. 102) : une frontière au nord de l’Amiénois est désormais définitive. Après les guerres de religions, les concessions territoriales ne toucheront plus l’Amiénois. En effet, l’occupation du site de Boves commence à être de moins en moins continue. Finalement, le château de Boves a été fermé et démantelé, en 1603-1604, parce que la forteresse ne servait plus à rien, Amiens s’étant fortifié efficacement. La Picardie appartient définitivement au royaume de France, sa possession ne lui étant plus contestée. Il suffit d’observer la direction de la citadelle d’Amiens : elle est orientée au nord. Une défense au sud ne pourrait être qu’un danger pour l’Etat centralisateur. La limite nord que l’on avait pu perçevoir à travers les cartes n°5 (p. 99) et n°6 (p. 100) est désormais fixée. Elle va devenir une frontière entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique.

        Ainsi, du XIIIe au XVIe siècle, l’occupation du site devient de plus en plus discontinue par rapport à la période antérieure. Toutefois, Boves, par la présence de deux frontières successives, va susciter un ultime intérêt dans ce que l’on appellerait aujourd’hui « la vie internationale », prouvé par les compromis dont le site fait l’objet entre une échelle locale et une échelle globale. Au XVIIe siècle, le village de Boves ne sera détruit que deux fois par les Espagnols en 1636 et 1653 !

    La fixation de la frontière au nord du comté (XVII<sup>e</sup> siècle) : la fin du point Boves
    Carte 7. La fixation de la frontière au nord du comté (XVIIe siècle) : la fin du point Boves (SINCLAIR, 1985, p. 108)

    2.4. L’occupation sporadique (XVIIe-XXIe siècles) (RACINET, 2004)

    2.4.1. La carrière (XVIIe siècle)

        Au XVIIe siècle, le château devient une carrière de craie. On y exploite ces « belles pierres » qui sont aujourd’hui dans la majorité des caves bovoises. Plusieurs indices tendent vers l’idée que cette carrière n’est pas sauvage. Quelqu’un, un bourgeois d’Amiens, sans doute, a dû acheter la seigneurie pour l’exploiter, ce qui n’aurait rien d’exceptionnel à cette époque. Toutefois, le château semble être devenu une prégnance au sens de René THOM (1991). Dans la mesure où, plusieurs dictons de cette époque, font de l’ancienne forteresse, l’idéal même du site imprenable. De plus, l’idée d’un château à Boves ne semble pas être abandonnée puisqu’à la fin du XVIIIe siècle, un château en brique va être construit en contrebas de l’éperon par M. de TURMENIES, dès lors il redevient une saillance. La symbolique du pouvoir semble s’organiser autour de l’image du château (figure 12 p. 103).

    Hypothèse de la structuration de l’état actuel
    Figure 12. Hypothèse de la structuration de l’état actuel

    2.4.2. Regain de l’effet frontière à l’époque contemporaine (XIXe-XXe siècles)

        En 1802, la paix entre la France et l’Angleterre est signée à Amiens. Elle met fin aux guerres révolutionnaires. En 1836, à Boves, l’église Notre-Dame-des-Champs est détruite, au profit d’une nouvelle église en contrebas. Le prieuré est devenu une ferme. On sait que le site est utilisé comme point d’observation lors des deux premières guerres franco-allemandes (1870 ; 1914-1918) et comme base de D.C.A lors de la troisième (1939-1945).

    2.4.2.1. La guerre de 1870-1871

        En 1870, Amiens est occupée par les allemands. D’après les mouvements de troupes observés grâce à la carte n°8 (p. 104), on peut voir que le site de Boves est réactivé : il devient un point d’observation. Un sondage a mis à jour des cadavres de cette guerre, ce qui prouve que le site a servi pendant la guerre de 1870.

    La guerre de 1870 et le point Boves
    Carte 8. La guerre de 1870 et le point Boves (DUBY, 2001, p. 119)

    2.4.2.2. La guerre de 1914-1918

        Des tranchées ont été identifiées sur le site. Boves semble avoir été un arrière front (carte 9 p. 105). La motte va servir de point d’observation lors de la bataille de la Somme en 1916 dans la plaine du Daours et lors de l’ultime offensive allemande en 1918.

    Boves et le front de 1916
    Carte 9. Boves et le front de 1916 (d’après DUBY, 2001, p. 49)

    2.4.2.3. La guerre de 1939-1945

        Sur la motte, il y a des traces d’une rampe de lancement de missiles qui n’a jamais été achevée, sans doute une D.C.A. Les avions ennemis du Reich allant de l’ouest ou du nord-ouest vers l’est ou le sud-est, le choix de Boves est parfaitement justifié. La deuxième motivation est le caractère défensif du site ; on peut le protéger, du moins pendant un temps – mais aussi parce que Boves est suffisamment loin du littoral, dans un lieu assez isolé, on espère que la D.C.A. ne sera pas découverte. Par ailleurs, Boves, comme le montre la carte n°10 (p. 106), appartient à la zone interdite, d’accès relativement limité. Les Alliés ont débarqué le 6 juin 1944 en Normandie et le 15 août 1944 en Provence. En septembre 1944, la région d’Amiens est libérée. La rampe ne sera jamais achevée. Toutefois, la présence d’un bloc de béton armé témoigne d’une courte réactivation du point « Boves » pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela étant, durant ce laps de temps, le site est redevenu stratégique.

    La partition de la France pendant la Seconde guerre mondiale
    Carte 10. La partition de la France pendant la Seconde guerre mondiale (DUBY, 2001, p. 120)

    2.4.3. Un basculement historique : le chantier de fouilles archéologiques

        Le basculement repose sur le fait que, pour la première fois depuis sa création, le site n’est plus occupé ni pour des raisons militaires, ni pour des raisons résidentielles. Aujourd’hui, ce sont des raisons scientifiques. Le but ultime est de faire avancer la connaissance. Toutefois, une prégnance peut être identifiée par rapport aux occupations antérieures. Chacune d’elles avait un caractère militaire plus ou moins prononcé, dépendant d’un rapport de force. Aujourd’hui, on retrouve ce « rapport de force » entre la municipalité et le chantier de fouilles archéologiques, entre l’autorité locale et l’autorité nationale scientifique.

        Cela étant, l’occupation après ces quatre siècles est devenue franchement discontinue. Elle est définitivement abandonnée par la destruction de l’église. Elle est maintenant très temporaire. La motte n’est occupée que quelques mois pendant l’année par une équipe d’archéologues, et quand ils ne sont pas là, par les jeunes du lycée du Paraclet pour leurs festivités.

        L’occupation est donc de moins en moins importante du Xe au XXIe siècle. L’objet « motte » plongé dans un espace à cinq dimensions permet-il de décrire, voire d’expliciter, par une structure mathématique, nos interrogations fondamentales ? Quand, qui, comment, pourquoi la motte de Boves est-elle un lieu de pouvoir ? Quels sont les champs morphologiques qui ont permis le maintien d’une activité humaine sur ce lieu pendant sept siècles ? Cette approche est fondamentalement spéculative, mais elle a au moins le mérite de décrire d’une manière rapide et simplifiée l’histoire de l’occupation du site de Boves, ainsi que sa dynamique spatiale.






    3. La construction de l’objet « motte »

        L’approche pluridisciplinaire permet de transformer les différents objets d’étude disciplinaires « motte de Boves » en un troisième niveau de compréhension dont la cible sera l’articulation entre les questions « quand ? », « qui ? », « comment ? », « où ? » et « pourquoi ? ». Le croisement des données permet de meilleurs résultats. Pour cela, on peut articuler l’objet empirique « motte » dans un espace à cinq dimensions. Cependant, cette démarche suppose de construire, préalablement, un objet pluridisciplinaire commun « motte ».

    3.1. La définition de l’espace à cinq dimensions

        Les nouvelles théories, autour des sciences de la complexité, excluent de leur propos l’utilité de faire de l’histoire. Pourtant, tout système complexe en possède une. Le modèle de Laurent NOTTALE (2000) permet d’utiliser les données historiques, parfois très lointaines dans l’espace-temps, afin d’établir une prospective. Toutefois, ces données historiques n’ont strictement aucun intérêt, si on ne les couple pas avec les données géographiques. Le calage entre les deux disciplines se réalise par l’intermédiaire de l’axe des échelles spatiales et celui des échelles temporelles, créant ainsi une échelle spatio-temporelle. Une « nouvelle alliance » entre l’histoire et la géographie est par conséquent inéluctable pour appliquer le modèle empirique de Laurent NOTTALE (2000).

    3.1.1. La théorie des fractales

        Qu’est-ce qu’un objet fractal ? C’est un terme difficile à définir dans la mesure où son inventeur, Benoît MANDELBROT (1975), a toujours refusé de le faire dans un souci de ne pas restreindre le terme à une définition bien précise pour ne pas exclure de l’éventuelle définition, ce qui pourrait y entrer (BOUTOT, 1993). Toutefois, sous la pression, il donna la propriété suivante : « est fractal toute forme qui se répète de manière auto-similaire à toutes les échelles » (Tangente, 2004, p. 13), mais il faut faire attention à ne pas confondre l’objet géométrique, qui caractérise les données du réel, avec la figure géométrique, qui est une idéalisation mathématique. Un objet fractal est caractérisé non pas par une longueur ou une taille, puisque le programme répétitif les fait croître vers l’infini, mais par une dimension fractale, qui, dans la plupart des cas, est non entière. Cette dimension correspond à un rapport constant généralement entre les différentes échelles104. La notion d’objet fractal empirique et construit a donné naissance à une nouvelle géométrie qui englobe la géométrie euclidienne. Cette géométrie dite fractale connaît aujourd’hui un essor extraordinaire. Elle est un des piliers de la nouvelle approche scientifique qui est en train d’émerger et des sciences de la complexité, qui privilégient une approche transdisciplinaire et qui réinjecte la cause formelle et une certaine cause finale dans les préoccupations des différentes disciplines scientifiques. « Une des caractéristiques principales de tout objet fractal est sa dimension fractale » résume Benoît MANDELBROT (1975, p. 6). La dimension fractale est un « nombre qui quantifie le degré d’irrégularité et de fragmentation d’un ensemble géométrique ou d’un objet naturel, et qui se réduit, dans le cas des objets de la géométrie usuelle d’Euclide à leurs dimensions usuelles » (MANDELBROT, 1975, p. 155).

    3.1.2. L’espace-temps fractal (NOTTALE, 1998)

        Laurent NOTTALE part du principe que la structure de l’espace-temps courbe est fractale par définition. Ce qui veut dire que parce qu’il est fractal, aux quatre dimensions d’Albert EINSTEIN, qui sont le temps, la largeur, la longueur, la hauteur ; il faut ajouter une cinquième dimension qui est l’axe des échelles spatio-temporelles. C’est dans cet espace à cinq dimensions qu’est envisagée la construction d’un modèle dit fractal log-périodique appliqué aux évolutions. La fractalité de l’espace-temps n’est pas sans poser une énorme difficulté. Le temps est le paradigme dominant dans les sciences humaines, or l’espace-temps fractal suppose un paradigme géométrique qui englobe et détermine le temps ; c’est-à-dire la distribution des événements historiques ! La théorie de la relativité d’échelle a trois conséquences au niveau fondamental : une multiplication à l’infini du nombre de trajectoires possibles, c’est-à-dire la perte du déterminisme ; des fluctuations fractales sur les variables qui impliquent l’apparition de nouveaux termes dans les équations différentielles régissant ordinairement l’évolution de ces variables ; une brisure de l’invariance par renversement du temps au niveau infinitésimal, c’est-à-dire une irréversibilité locale.

    3.1.3. La fusion de l’espace géographique et le temps historique

        L’espace-temps de Laurent NOTTALE, appliqué en sciences humaines, suppose une réorientation de la géographie et de l’histoire, c’est-à-dire une réconciliation structurelle entre une vision spatiale (géographique) et temporelle (historique). On a vu avec Alain LE MEHAUTE (1998) que le temps est une conséquence de la dynamique spatiale, ce qui nous rapproche d’une idée développée par Jean-Jacques ROUSSEAU. Ce dernier explique qu’il existe un espace historique correspondant à un espace en extension conquis par l’homme. L’histoire commence avec la guerre, et la guerre commence avec l’espace. L’espace géographique et le temps historique semblent à nouveau pouvoir être compatibles. Cette compatibilité est mis en œuvre dans une discipline en devenir : l’archéologie. En effet, la première question que se pose un archéologue est : « où fouiller ? ». La question du « quand » est secondaire. Le modèle de Laurent NOTTALE permet d’articuler ces questions de l’espace et de temps dans un espace-temps fractal, dans lequel on peut aisément plonger l’objet « motte ».

    3.2. La présentation du modèle fractal log-périodique (NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000)

    3.2.0. La partie technique

        Laurent NOTTALE a formulé une loi log-périodique qui structure l’évolution de manière mathématique. Cette loi est calée sur une évolution thermodynamique, obéissant à un processus de Markov105. Les chaînes de Markov (PRIGOGINE, STENGERS, 1992) permettent de réduire la diversité sans pour autant l’annuler. Elles ne résultent ni d’un processus aléatoire ni d’un algorithme déterministe. Chaque chaîne correspond à la définition shannonienne de l’information maximale. La formation des chaînes de Markov « ne signifie assurément pas une réduction de l’histoire aux lois physico-chimiques, mais traduit au contraire la richesse irréductible des relations entre processus, événements et circonstances qui prennent sens loin de l’équilibre » (PRIGOGINE, STENGERS, 1992, p. 91). Autrement dit, elle explique comment on évolue vers la crise finale du système considéré. Cette crise finale sera appelée l’époque critique TC qui peut se localiser dans le futur dans le cas d’une accélération vers TC (graphique 1 p.  112) ou dans le passé dans le cas d’une décélération à partir de TC (graphique 2 p. 112). La loi de Laurent NOTTALE est formulée de la manière suivante :

    Tn = TC + (T0 – TC)g-ng = k1/2(1)

    avec k entier si le nombre d’embranchements reste constant à chaque étape et si la dimension fractale reste égale à 2, et T0 l’origine de l’évolution considérée déterminée par un événement arbitrairement choisi à n = 0. Toutefois, on pourrait prendre comme origine n’importe quel autre événement. La loi se généraliserait alors de cette façon :

    Tn = TC + (Tm – TC)gm–ng = k1/2(1)

    Avant d’appliquer l’équation, il faut caler les données avec deux ou trois dates. Ce calage consiste à calculer g et TC à partir des premières dates :

    (3)

    (4)

    À partir de l’équation générale (équation 2), on trouve et . Autrement dit, la série chronologique est déterminée par l’origine spatio-temporelle que l’on a choisie. On calcule ensuite g et TC entre n et n + 1 de la manière suivante :

    (5)

    (6)

        Dans la pratique, il faut ajuster numériquement g et TC par la méthode des moindres carrés. On utilise comme estimation statistique la variable t de Student associée au coefficient de corrélation dans le diagramme : rang n de l’événement ; log(TC – Tn). Cette estimation utilise des simulations Monte Carlo pour perfectionner les dates médianes des grandes périodes de crise. Pour chaque valeur de TC, on calcule les valeurs de g et de t. Les valeurs optimisées de g et TC correspondent alors au pic de la courbe t (TC)?avec un seuil de probabilité de 1/1 000 (NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000).

    Exemple schématique d’une accélération log-périodique
    Graphique 1. Exemple schématique d’une accélération log-périodique (d’après NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000)

    Exemple schématique d’une décélération log-périodique
    Graphique 2. Exemple schématique d’une décélération log-périodique (d’après NOTTALE, CHALINE, GROU, 2000)

    3.2.1. Son intérêt en histoire et en géographie

        La solution micro/macro adoptée par les historiens passe par l’éjection de l’espace géographique, ce qui signifie que l’histoire nie le fait que le temps qu’elle étudie soit une résultante d’un espace, alors que cela a été prouvé par les physiciens et pensé par les philosophes, comme Gérard MAIRET (1974). De plus, cette solution micro/macro n’est valable que pour les périodes où l’on possède une abondance relative de sources écrites, à savoir de la fin du Moyen Age à l’époque contemporaine. L’Antiquité et le Haut Moyen Age ne peuvent appliquer cette solution qu’à un nombre de cas extrêmement limités. La vision micro/macro pose donc autant de problèmes qu’elle n’en résout.

        « Les « œuvres du temps » n’en apparaissent que plus spectaculaires : à coups de ruptures et de longues durées… » (KLEIN, 2004b, p. 3). Si on reprend cette citation en l’adaptant à l’histoire, l’historien ne doit pas rechercher la seule continuité de la longue durée. Il devrait également rechercher les discontinuités spatio-temporelles, c’est-à-dire les bifurcations. Celles-ci correspondent à des catastrophes au sens thomien du terme. Autrement dit, l’historien doit rechercher les dates qui ont fait basculer un état spatio-temporel à un autre. Tout le problème est de savoir comment les identifier d’une manière rigoureuse, et non subjective, contrairement à ce que propose la vision phénoménologique traditionnelle de histoire. Pour reconnaître ces bifurcations, il faut raisonner d’une manière simple : avant la date « catastrophique », on rencontrait tel état ; après la date « catastrophique », on rencontre tel autre. C’est une sorte de retour à ARISTOTE. La simplicité de cette constatation entraîne très souvent un questionnement de départ si complexe qu’on le survole généralement très rapidement, afin de se réfugier dans la longue durée, dans une certaine continuité, dans la linéarité… dans la simplicité ; alors que l’histoire est, au fond, une « connaissance par traces » (PROST, 1996, p. 67). Il faut l’admettre.

        Ainsi, il faut concevoir un temps irréversible, discontinu, qui s’articule dans l’ordre des échelles spatio-temporelles. C’est ce que propose le modèle de Laurent NOTTALE. « Nous admettrons que l’évolution des espèces procède à la fois par sauts brusques et évolution graduelle » (NOTTALE, GROU, CHALINE, 2000, p. 273). La notion d’époque critique (TC) correspond au pic de la crise. Le système en devient invariant d’échelle, c’est-à-dire fractal. Cela signifie que les différentes grandeurs ne dépendent plus que du rapport échelle. L’événement obtient alors un nouveau statut. Il faut rechercher les événements marquants correspondant à ces échelles. Ils sont de deux natures : l’un consiste à repérer les changements de niveau d’organisation bien identifiés, l’autre à repérer les dates médianes. La base des calculs est bel et bien subjective. Le rapport d’échelle g n’a rien d’absolu, car il est relié à la densité du nombre d’événements considérée. Si l’auteur incorpore deux fois plus d’événements, g sera remplacé par sa racine carrée. En conséquence, « […] du point de vue des échelles de temps géologiques, l’histoire humaine peut être vue comme sous-structure par rapport à l’évolution globale » (NOTTALE, GROU, CHALINE, 2000, p. 333).

        Lorsque l’on évoque le temps, deux représentations géométriques nous viennent à l’esprit : la droite et le cercle. La droite est le symbole de la suite du temps, le cercle, celui de l’éternel retour, ce qui n’est pas sans souligner l’ambiguïté du temps. On oppose ainsi traditionnellement le temps linéaire et le temps cyclique. Le temps linéaire est quelque chose de récent, au plus il a cinq cents ans d’existence, dans nos civilisations occidentales. Le temps cyclique existe depuis HESIODE (VIIe siècle a.-C.) . Il est au cœur de la pensée hindoue : BOUDDHA (Ve siècle a.-C.) a établi une doctrine des réincarnations et de l’expiation des actes par le Karma. Il sera repris par saint AUGUSTIN, Mircea ELIADE et les économistes. Cependant, ces deux visions sont-elles fondamentalement si différentes ? Le cercle n’est-il pas une droite fermée sur elle-même ? Finalement, ces deux visions sont proches l’une de l’autre, plus qu’on ne le croit, en tout cas. Laurent NOTTALE propose une vision différente qui structure le temps comme un arbre. Il n’a rien inventé, Charles DARWIN et bien d’autres ont utilisé des arbres pour matérialiser une évolution dans le temps, ne serait-ce qu’avec les arbres généalogiques. Il existe deux types d’arbres : l’arbre de Kuhn, développé en théorie des jeux notamment, et l’arbre obéissant à une « loi fractale ». Laurent NOTTALE utilise cette dernière possibilité. Il a montré, avec Pierre GROU et Jean CHALINE, qu’à n’importe quelle échelle spatio-temporelle, l’arbre de l’évolution considéré avait de très grande chance d’être fractal. Ainsi, Laurent NOTTALE admet qu’une cause formelle structure la chronologie des phénomènes spatio-temporels.

        Seule l’histoire « sérielle » qui est la standardisation des données historiques pour faire des statistiques, est proche du modèle de Laurent NOTTALE. En effet, le modèle fractal log-périodique est avant tout un modèle statistique, ce qui veut dire que le passage aux archives est toujours obligatoire106. Ce modèle est simplement un cadre théorique pour faire de l’histoire. Il permet de rechercher avec une certaine objectivité les discontinuités spatio-temporelles. Il permet de voir où se localisent ses discontinuités, et d’obtenir un jeu d’échelle entre le local et le global. En l’utilisant, le cadrage chronologique entre le local et le global serait vraisemblablement de meilleure qualité. Il permet également de voir comment une réversibilité locale agit irréversiblement de manière globale. C’est un retour à l’idée de Krzysztof POMIAN où « le thème de la structure prend la relève de celui de la période » (RICŒUR, 2000, p. 198). Ainsi, le modèle fractal log-périodique doit pouvoir enrichir et faire avancer l’histoire sérielle. Cette approche passe par une nouvelle réflexion sur le statut de l’événement historique.

    3.2.2. Le nouveau statut de l’événement historique

    3.2.2.1. Le problème de l’origine

        En effet, qui se pose la question de la genèse du « processus de fabrication ». Peu de personnes à l’heure actuelle ! En tout cas de la façon dont elle se pratique, les explications sont sujettes à de vigoureuses controverses parce que l’on recherche la « grande cause », celle qui a elle seule explique tout ! Si on se positionnait pour le postulat inverse, on admettrait peut être que la totalité des causes de la « date catastrophique » est inconnue. Toutefois, cette totalité existe et converge irréversiblement vers le basculement d’un état spatio-temporel à un autre. On ne peut, au plus, connaître que quelques unes de ces causes en histoire. La lacunarité des sources en remontant l’axe temporel nous en empêche. Cependant, il faut remarquer que, même en histoire contemporaine, où l’on peut penser connaître toutes les causes d’une « date catastrophique », comme 1929 ; en réalité, il n’en est rien. Les historiens de la période ne proposent que des éléments d’explication, pas toujours convaincant d’ailleurs. Alors, que faire devant l’ignorance évidente que l’on a face à ces « dates catastrophique » !

        Le modèle empirique de Laurent NOTTALE résout en partie le problème des origines. En effet, il explique clairement que l’on peut prendre n’importe quelle origine pour faire les calculs car « … les lois de la physique sont elles-mêmes indépendantes du temps, c’est-à-dire que la variable temps n’apparaît pas explicitement dans ces lois. Autrement dit, le choix de l’origine du temps n’importe pas pour décrire le phénomène. Il s’agit d’ailleurs d’un simple fait d’expérience : que l’on choisisse comme origine du temps la naissance de Jésus Christ ou celle de Mahomet, l’histoire n’en sera pas modifiée ! Il y a donc une propriété d’invariance par translation dans le temps des équations de la physique » (CHOSSAT, 1998, p. 41). Tout dépend du rapport d’échelle g. Cette vision du temps s’oppose à celle de Paul RICŒUR (1985). Pour lui, les calendriers ont tous trois traits communs : un « événement fondateur », un « temps réversible » et une « unité de mesure ». L’événement fondateur est un temps zéro fixé par les civilisations, par exemple, la naissance du Christ, de Bouddha, l’Hégire… Laurent NOTTALE propose plus de libertés puisque cette date n’a plus aucune importance pour comprendre l’enchaînement des faits. Toute date peut être un point zéro. Pour Paul RICŒUR (1985), le temps réversible permet de dater tous les événements. L’unité de mesure permet grâce à des intervalles réguliers de calculer une distance temporelle entre un point de l’axe du temps et le temps zéro, ce qui implique une redondance cyclique et séquentielle du comput, et une géométrie sous-jacente expliquant la topologie des dates distribuées dans le temps. Avec Laurent NOTTALE, cette géométrie n’est plus exclusivement euclidienne, elle peut être fractale.

    3.2.2.2. Le statut de l’événement

        Pour Krzysztof POMIAN, l’événement est une « discontinuité révélatrice » (POMIAN, 1984, p. 30). C’est un fait auquel vient aboutir une situation, c’est le résultat d’un processus, une fin. C’est aussi ce qui arrive et qui est très important pour l’homme, c’est un fait. « L’événement a lieu ; c’est ce qui arrive. Venant d’ailleurs l’événement prend lieu dans le temps. Lieu du non-lieu parce que lieu du temps, l’événement prend date. […] Instant et lieu, temps et espace, tel est l’événement. […] » (MAIRET, 1974, p. 35-36). Raymond ARON (1969) souligne que la lecture des événements pose quatre problèmes logiques : le problème de la sélection des événements passés, c’est-à-dire le choix subjectif de départ, le problème de la compréhension des événements passés, c’est-à-dire comment retrouver la psychologie des acteurs qui les ont produit, le problème des relations historiques, c’est-à-dire l’intelligibilité de l’histoire, liée à la notion de continuité, et le lien entre le passé et le présent. La question centrale des problèmes soulignés par Raymond ARON (1969) est celle de l’objectivité des auteurs présents et passés dans le choix des événements qu’ils narrent ou analysent. « L’événement est unique, non représentable, on ne le répète pas […]. L’événement n’est pas ce qui a lieu, ici et maintenant, mais ce qui a eu lieu » (MAIRET, 1974, p. 39-40).

        Gérard MAIRET soulève l’idée de série temporelle. « Pas de série sans événements mais la série prédétermine l’événement à être événement. C’est grâce à elle que l’événement est signe. […] L’événement n’aurait pas d’existence sans la série qui le fixe. […] La raison aime le fixe, elle ne s’accommode pas du changement, c’est pourquoi le Logos est foncièrement anti-historique. […] A y regarder de près donc, l’événement n’est qu’une contradiction en acte, une genèse des différences, dont on essaie présentement de retracer le procès. Il est ce qui a lieu dans l’instant. Transformation du lieu en instant, il retrouve le temps par son signe négatif, l’instant » (MAIRET, 1974, p. 42-43). Les événements appartiennent à des séries. Autrement dit, on retrouve chez lui l’idée de Laurent NOTTALE. Cette « série est procédure de choix, hiérarchie des événements, index préférentiel, archive organisée, table des matières ordonnées » (MAIRET, 1974, p. 44). Dans la série, « un événement ne peut, par définition, être déduit d’une loi déterministe : il implique, d’une manière ou d’une autre, que ce qui s’est produit « aurait pu » ne pas se produire, il renvoie donc à des possibles que nul savoir ne peut réduire. Le mode d’intelligibilité des possibles en tant que tels, et des événements qui décident entre ces possibles, est par définition probabiliste. Cependant, les lois probabilistes, en elles-m≖mes, ne sont pas encore suffisantes. Toute histoire, toute narration implique que ceci se soit produit qui aurait pu ne pas arriver, mais elle n’a d’intérêt que si ces événements sont porteurs de sens. Une succession de coup de dés ne se raconte pas, sauf si certains des coups ont des conséquences significatives : le dé n’est que l’instrument d’un jeu de hasard que si le jeu a un enjeu » (PRIGOGINE, STENGERS, 1992, p. 46-47). À cela, on peut ajouter ce qu’écrit Gérard MAIRET « ni honnête ni malhonnête, ni tricheur ni franc joueur, l’événement fonctionne, circule selon sa logique interne. […] Les jeux sont faits donc, quand l’événement arrive » (MAIRET, 1974, p. 44-45) « Il n’y a donc pas un événement en soi, il n’y a qu’une série événementielle qui singularise l’événement. » (MAIRET, 1974, p.56) « Il n’y a pas d’Ecole historique française ; il n’y a que des historiens français, allemands, anglais, américains ou japonais… L’école historique française n’est qu’une légende » (MAIRET, 1974, p. 63).

        On retrouve un lien fort entre l’événement et la mémoire autour du phénomène d’hystérésis. Il explique que l’état actuel d’un champ magnétique dépend de l’état actuel et des états magnétiques antérieurs. Autrement dit, en généralisant ce phénomène, on peut expliquer ce qu’est la mémoire des événements. Tous les événements ne peuvent être retenus, seuls ceux qui présentent une discontinuité irréversible sont retenus par la mémoire. La mémoire est généralisée à toute entité terrestre. Les paysages, par exemple, ont une mémoire (CHOUQUER, 2000) : ils sont issus à la fois des modifications antérieures et des modifications actuelles. Comment faire la part des choses ? La technique n’est pas encore généralisée, mais il faut retenir que ce phénomène existe. Son intérêt est qu’il montre que le passé et le présent sont intimement liés, et que Frédéric HEGEL s’est probablement trompé : l’un n’est pas supérieur à l’autre. Passé et présent sont enchassés dans une structure qui fait système.

        Le modèle de Laurent NOTTALE trouverait son utilité en histoire pour obtenir une meilleure périodisation. La période est un espace de temps compris entre deux événements marquants le début et la fin d’un moment107. « La périodisation permet de penser à la fois la continuité et la rupture. […] La périodisation identifie continuités et ruptures. Elle ouvre la voie à l’interprétation. Elle rend l’histoire sinon déjà intelligible, du moins pensable » (PROST, 1996, p. 115). Derrière l’idée de période, il y a celle de cycle, de répétition. Quels sont les outils que l’historien possède pour qualifier le temps historique ? Il en a six : l’archéologie, la chronologie, la diplomatique, l’épigraphie, la généalogie et la paléographie. Ces techniques productrices d’histoires permettent d’identifier les périodes. Avec le modèle fractal log-périodique, on pourrait, une fois qu’il sera accepté, obtenir des périodisations beaucoup moins subjectives. Dans Les arbres de l’évolution (2000), on trouve une périodisation originale du temps humain. Il y a d’abord la pré-histoire, où l’homme ne produisait rien, puis la découverte de l’écriture en -3300 a.-C. qui donne le point de départ de la structure des espaces terrestres de l’Antiquité, et enfin les IXe-Xe siècles p.-C. qui constituent le point de départ d’une nouvelle structuration des espaces terrestres. Cette dernière période se poursuit, et s’achèvera, selon Laurent NOTTALE, vers 2080 p.-C. ± 30. Cette valeur a été affinée en prenant en compte la crise de 2000-2001. TC est alors égal à 2084 ± 20. En ne prenant en compte que les six denières crises, la valeur trouvée est alors égal à 2075 ± 5 (MARTIN, 2004, t. 1, p. 42).

    3.2.2.3. Une solution possible à la théorie des trois temps

        L’école historique française a mis de nombreuses années à élaborer sa théorie sur le temps historique. La question a été posée lors de la fondation de l’école des Annales. Lucien FEBVRE conçoit un temps discontinu, ce qui permet la périodisation. Pour lui, l’histoire est la genèse de la « civilisation ». Marc BLOCH voit le temps comme une évolution continue scandée par la discontinuité des civilisations. Il essaye de faire une généalogie des sociétés. Il réfléchit sur la notion d’origines dans la première partie de l’Apologie pour l’histoire. Pour lui, le commencement d’un fait ou d’un phénomène est toujours empirique. Suivant le projet de Frédéric HEGEL, il met en place une méthode régressive par récurrence : le passé explique le présent. Le discours de Marc BLOCH tient en deux thèmes : la société et l’homme, la civilisation et l’homme. À ceux-ci, Emmanuel LE ROY LADURIE ajoute le thème de la nature et l’homme. La nature est perçue comme un temps historique, ce qui est différent de ce que proposait Frédéric HEGEL, dans la mesure où celui-ci prétendait que la nature n’avait pas d’histoire. Pour Ernest LABROUSSE, le temps historique est discontinu. Il prend pour référence le temps économique. Il laisse peu de place à la liberté des acteurs. « La pensée de la crise consiste à penser une discontinuité historique globale » (MAIRET, 1974, p. 112). L’événement est perçu comme un résultat, un point d’arrivée, déterminé par la structure de la matière historique. La théorie de Fernand BRAUDEL a tenté de faire synthèse.

        Aujourd’hui, elle pose plusieurs problèmes. D’abord, le temps géographique, celui de la longue durée, de la structure, n’a plus le même sens. Au XXIe siècle, la géographie est essentiellement spatiale. Le temps est presque devenu secondaire pour cette discipline, ce qui signifie que le temps géographique s’est profondément transformé. La géographie ne peut être conçue comme une science « annexe » de l’histoire. Il faut l’admettre. Un autre problème est celui de l’articulation scalaire. Fernand BRAUDEL prétendait que les trois temps s’emboîtaient naturellement parce que l’histoire n’étudiait qu’une échelle : l’échelle humaine. Depuis, on s’est rendu compte que cet emboîtement scalaire temporel n’était pas si simple, mais qu’a contrario, l’emboîtement scalaire « spatial » est particulièrement complexe tout aussi empiriquement que pour toutes les modélisations. Avec le modèle de Laurent NOTTALE, on pourrait y arriver sans mal puisqu’il met en œuvre un rapport d’échelle g qui peut permettre l’articulation scalaire temporelle. Celle-ci permet de définir une périodisation de meilleure qualité, mais elle dépend d’un espace géographique lui-même fractal (MARTIN, 2004, t. 1, t. 3). Il faudrait concevoir un espace-temps support avec un emboîtement scalaire de même type pour résoudre les problèmes de la théorie de Fernand BRAUDEL. Finalement, c’est la discontinuité spatiale qui fait émerger la discontinuité temporelle. Ce sont les changements d’échelles de l’espace-temps qui vont faire émerger les périodes. Ainsi, le temps de Laurent NOTTALE décrit à la fois une continuité et une discontinuité, conciliant ainsi le temps de Lucien FEBVRE et de Marc BLOCH. Cependant, cette vision de l’espace-temps nécessite l’utilisation de la géographie qui tend aujourd’hui à se mathématiser de plus en plus, à utiliser les ressources informatiques avec des logiciels comme les systèmes d’informations géographiques (S.I.G.) ou les modèles numériques de terrain (M.N.T.). Le discours spatial de la géographie permet de comprendre une globalité. On peut reprendre certaines idées de Pierre VILAR, un marxiste. Il voulait fonder une analyse historique : « la recherche historique est l’étude des mécanismes qui lient la dynamique des structure – c’est-à-dire la modification spontanée des faits sociaux – à la succession des événements où interviennent bien entendu les individus et le hasard, mais avec une efficacité qui dépend toujours, à terme plus ou moins long, de l’adéquation de ces impacts discontinus aux tendances des faits de masse. […] 1/ L’histoire historienne va des structures aux événements ; 2/ le mouvement de l’analyse est repérage de temporalités multiples ; 3/ la notion de « tendance de faits de masse » renvoie à l’existence de lois entendues comme lois tendancielles » (MAIRET, 1974, p. 13). L’analyse de Pierre VILAR est fondée sur l’étude du rapport entre la structure, c’est-à-dire tout ce qui relève du temps long, et l’événement, c’est-à-dire tout ce qui relève du temps court comme l’économie. En reprenant cette idée, on peut construire des objets intermédiaires qui relèvent à la fois de l’histoire et de la géographie, à la fois des structures temporelles et des structures spatiales.

    3.2.3. Les nouveaux problèmes : une histoire paramétrée par une géométrie

        Le problème est que la démarche historique française est aux antipodes de la théorisation. On se réfugie alors dans une histoire de l’individu, généralement, sans grand intérêt pour faire avancer la recherche. Le déterminisme du modèle pose certainement des problèmes aux historiens. En effet, ceux-ci proclament la « liberté de l’homme », qui agit sur l’espace et le temps, et qui ne subit aucun déterminant. Cependant, on est forcé d’admettre qu’il y a toujours des déterminants. Quant on recherche la cause qui a produit une conséquence, inconsciemment on admet que cette cause détermine cette conséquence, donc le déterminisme existe, de fait, en histoire puisque le passé détermine le présent, selon la vision hégélienne de l’histoire. La question est en fait celle de la différence entre causalité et déterminisme. La pensée moderne est causale ce qui la conduit à rejeter l’idée de cycle, mais elle est non déterministe, or ce qui devient important avec une pensée de type « complexe », « transmoderne », c’est que la cause efficiente devient évanescente et que la structure transdentale devient essentielle. Dans un tel schéma, où placer la liberté humaine ? Serait-il vraiment si stupide de penser qu’un événement futur tel TC est un butoir qui détermine le présent, comme le suggère une certaine interprétation de cause finale d’ARISTOTE ? Il faut ajouter que tout être humain possède un but dans sa vie, il détermine ses propres objectifs. Le plus répandu est l’espoir d’un monde meilleur. À l’échelle de l’individu, la chose est acceptée. À l’échelle d’une société, elle est acceptable, il suffit d’observer la construction européenne. À l’échelle de l’histoire d’une aire cuturelle, la chose doit être discutée.

        Un tel système n’offrirait-il pas plus de possibilités qu’une vision cartésienne du monde ? Si on admet que l’on ne vivra pas éternellement, qu’il y a une sorte de « compteur » qui détermine notre existence terrestre, n’allons-nous pas mieux profiter de celle-ci ? Toutefois, la cause finale absolue dans le modèle de Laurent NOTTALE n’existe pas, étant donné que l’arbre de vie qu’il propose est fractal, donc infini. Cependant, rien dans le modèle ne suggère que l’humanité, sous-structure de l’arbre, ne disparaisse pas un jour. Autrement dit, il nous rappelle que l’humanité n’est qu’une toute petite chose dans l’univers et dans le monde. L’humanité n’est pas « maître et dieu sur la Nature » comme l’écrivait René DESCARTES, car le géosystème, qui lui existe et auquel nous appartenons, est un système, qui se régule, qui peut réagir un jour, à tous les dysfonctionnements provoqués par l’homme. Tout le problème est de savoir quand et sous quelle forme. Cela reste un mystère, mais l’humanité pourrait être la cause de sa propre destruction. Cependant, l’équation de structuration ne rejette ni le rôle du hasard, ni de l’événementiel, ni celui de la contingence. C’est une loi indéterministe descriptive. Elle est indéterministe, c’est-à-dire une loi de hasard non finaliste. Elle est descriptive, c’est-à-dire empirique. On ne sait pas pourquoi cela « marche »108. Le modèle fractal log-périodique n’a toujours pas été généralisé. L’approche de l’espace-temps par cette méthode permet d’apporter des solutions nouvelles au problème de l’auto-organisation : les pics de probabilité de présence pouvant être interprétés comme une tendance du système considéré à la formation de structures. La nature de ces structures est déterminée entre autres par le champ structurant, c’est-à-dire l’espace géographique, et les conditions aux limites imposées au système, c’est-à-dire l’organisation interne de la localité.

        Ainsi le modèle de Laurent NOTTALE encadre les libertés de l’homme. Il fixe des limites, des points de non retour, vers lesquels on doit tendre, mais ne jamais atteindre. Pour les éviter, l’homme doit créer en respectant les règles de la nature. Le problème est que les règles de l’entité locale du géosystème évoluent elles aussi. Il faut par conséquent que la nature et l’homme s’apportent mutuellement quelque chose, en produisant ensemble des variétés non plus opposées, mais allant dans la même direction, vers le même but, la même fin… survivre. La liberté de l’homme s’exprime dans la création, mais il doit réfléchir sur les conséquences que ses découvertes peuvent engendrer. C’est dans cet esprit que l’on peut dire que ces libertés, encadrées par une forme de déterminisme, sont supérieures à celles de la pensée cartésienne, basée entre autre sur un rapport de force individuel, qui ne se soucie guère d’autrui. Cependant les degrés de liberté d’un système dépendent du niveau dans lequel on se trouve. Au niveau 0, la liberté est presque totale. Les choix faits ont peu de conséquences. Au niveau 1, ces mêmes choix peuvent provoquer un phénomène irréversible, et avoir des conséquences énormes. Si une petite cause génère un grand effet, les choix de ce niveau 1 sont déterminés par le niveau 0, mais il conserve des degrés de libertés qui, évidemment sont moins importantes que le niveau 0. Le niveau 2 est déterminé par les choix du niveau 1, etc… Le schéma se reproduit jusqu’à un niveau le plus supérieur. Il y a donc une hiérarchie, un ordre, dans les échelles. Tout le problème est de savoir à quel niveau se situe l’homme. Les sciences de la complexité ont résolu une partie du problème. Elles ont montré que le niveau 0 n’a que peu importance par rapport au phénomène d’irréversibilité généré par l’articulation des différentes échelles.

    3.3. La motte, un objet scientifique complexe

    3.3.1. Application à la motte de Boves

        Il s’agit ici de tester le modèle de Laurent NOTTALE avec les données archéologiques et historiques connues de la motte de Boves relatives à l’occupation du site. Dans la perspective de la construction d’un objet scientifique complexe, il faut nécessairement redéfinir le terme pour permettre aux trois disciplines d’identifier le même objet. En archéologie, l’occupation peut être vue comme une utilisation d’un lieu à différentes époques établies par une analyse stratigraphique. En géographie, l’occupation peut être vue comme un processus de contrôle et de possession de l’espace. En histoire, le thème a été peu exploité, sauf à l’époque contemporaine, où le terme « occupation » a une connotation négative : on occupe un pays. Autrement dit, on contraint une population par la force à vivre sous l’autorité d’une autre. On peut donc décomposer l’occupation en deux faits : la possession d’une terre et/ou l’habitat établi dessus. Dans le cas de la motte de Boves, l’occupation est liée à la notion de pouvoir. Il s’agit d’un lieu de pouvoir sur lequel un habitat plus ou moins fortifié est construit. Le pouvoir qu’exerce le site, ne peut être compris que si on le replace dans une échelle plus petite c’est-à-dire adopter une démarche multiscalaire. Ce qui introduit à la fois la notion d’espace géographique à trois dimensions et la dimension scalaire. L’occupation de la motte peut donc être étudiée dans l’espace à cinq dimensions comme celui proposé par Laurent NOTTALE.

        Dans cette approche spatio-temporelle, on peut dénombrer quatre types d’occupation. Il y a d’abord ce que l’on doit appeler, faute mieux, l’occupation temporaire. L’habitat est construit en matériaux périssables comme le bois, le torchis, etc. qu’il faut donc renouveler régulièrement. La structure spatiale est relativement petite. La dimension scalaire est peu développée. L’occupation semi-temporaire est une occupation dont l’habitat a des composantes en matériaux plus durables : il est en pierre, en métaux inoxydables, etc. La structure spatiale et la dimension scalaire sont toujours relativement petite. L’occupation permanente est une occupation dont l’habitat est en matériaux relativement « durables »109. La structure spatiale devient plus importante pour une ou plusieurs raisons. Cette permanence provoque l’émergence d’une saillance au sens thomien du terme. On perçoit le déploiement d’une forme à plusieurs échelles. L’occupation sporadique est une occupation plus ou moins longue d’un habitat dont les structures en place sont réaffectées, réutilisées. Généralement, avec une structure spatiale en régression en raison de l’inadéquation entre l’utilité momentanée, la rentabilité instantanée et le coût de maintient de l’existant. L’étape ultime correspond à un état plus ou moins achevé de ruines. Ce maintien peut être assimilé à une prégnance au sens thomien du terme. En effet, de temps à autre, l’emploi de ce lieu est réactivé pour une ou plusieurs raisons et il redevient saillance.

        L’occupation spatio-temporelle obéit à une dynamique qui est soit continue, soit discontinue : continue lorsque la saillance émerge, discontinue lorsqu’elle devient prégnance. En ce qui concerne la motte de Boves, l’occupation est d’abord temporaire et continue au Xe siècle. Au premier quart du XIe siècle, le pouvoir mis en place au siècle précédent est devenu « légal » et l’occupation est semi-temporaire et continue. Au milieu du XIIe siècle, le pouvoir est définitivement ancré. L’occupation devient permanente et continue. Le premier château entièrement en pierre est construit. À la fin du XIVe siècle, l’occupation est toujours permanente, avec un nouveau château, mais elle devient discontinue. L’habitat sert de temps en temps à une personnalité importante dépositaire de pouvoir. À partir du XVIIe siècle, le pouvoir a été définitivement transféré à Amiens. Cela se traduit spatialement par une agrégation à plus petite échelle. Le deuxième château en pierre commence à être détruit. L’occupation devient sporadique puisque les destructeurs n’occupent vraisemblablement pas le site à longueur d’années. Toutefois, de temps en temps, la motte est réoccupée d’une manière très brève comme point d’observation en 1870 et en 1914-1918, puis comme point pour établir une D.C.A. en 1939-1945 et en 1997-2005 par des archéologues. Les raisons sont donc multiples, mais le fait observé est le même : il y a une occupation spatio-temporelle et multiscalaire. Après avoir établi les définitions, on peut résumer l’évolution de la motte de Boves par le tableau n°1 (p. 123).

    Dates médianes

    Danger

    Carte correspondante

    Occupation

    BIFURCATION

    t0 ≈ 920

    Les Normands

    Carte 2

    Temporaire

    t1 ≈ 960

    Les Normands

    Carte 2

    Temporaire

    t2 ≈ 1025

    Les différentes châtellenies revendiquant un pouvoir dans le comté d’Amiens

    Carte 2

    Semi-temporaire

    t3 ≈ 1140

    La conquête capétienne

    Carte 4

    Permanente continue

    t4 = 1360

    La guerre de Cent Ans

    Cartes 5 et 6

    Permanente discontinue

    BIFURCATION ?

    t5 = 1604

    La guerre de religion

    Carte 7

    Sporadique

    t6 = 1870

    Les Allemands

    Carte 8

    Sporadique

    t7 = 1916

    Les Allemands

    Carte 9

    Sporadique

    t8 ≈ 1945

    Les Alliés

    Carte 10

    Sporadique

    BIFURCATION ?

    t9  1997

    Les archéologues

     

    Sporadique

    Tableau 1. Les dates médianes retenues pour le modèle de Laurent NOTTALE.

        Le tableau n°1 (p. 123) présente les « dates remarquables » choisies. Dix dates ont été retenues. Les quatre premières ont été choisies en fonction des données archéologiques. 920 et 960 correspondent aux deux premières structures en bois construites sur la motte. Vers 1025, on a mis à jour une structure mi-pierre, mi-bois. Vers 1140, on commence à bâtir le premier château à proprement dit. Par l’étude d’Olivier LEBLANC (2003), on sait que la motte est occupée de manière continue. Les six dernières dates sont obtenues à partir des sources historiques déjà exploitées. Entre 1360 et 1380, les ducs de Lorraine reconstruisent le château. Vers 1604, ce dernier château est détruit, ce qui implique une occupation de moins en moins intensive. Aux XIXe-XXIe siècles, le site est réactivé en 1870, lors de la guerre franco-allemande, en 1914-1918, lors de la première guerre mondiale, en 1939-1945, lors de la seconde guerre mondiale et à partir de 1997, avec les fouilles archéologiques. À partir de ce tableau n°1 (p. 123), on perçoit comme tendance une décélération temporelle.

    n

    Date réelle

    g(nn + 1, n + 2)

    Nombre de branches

    TC(0, n)

    TC(nn + 1, n + 2)

    log(Tn – TC)

    BIFURCATION

    0

    920

     

     

     

     

    1,32

    1

    960

    0,615385

    3

    856,000000

    856,00

    1,78

    2

    1025

    0,565217

    3

    870,708333

    875,50

    2,10

    3

    1140

    0,522727

    4

    883,340866

    899,05

    2,38

    4

    1360

    0,901639

    1

    62,472892

    -876,67

    2,66

    BIFURCATION ?

    5

    1604

    0,715543

    2

    762,075109

    746,23

    2,85

    6

    1945

     

     

     

     

    3,02

    BIFURCATION ?

    Tableau 2. Les dates réelles observées et les premières estimations de g et TC.

        Le tableau n°2 (p. 124) donne une première estimation de g (équation 6), une estimation du nombre d’embranchements possible k, avec , et deux estimations de TC (équations 5 et 2). Une grande modification a été réalisée afin de résumer les quatre dernières dates du tableau n°1 (p. 123) en une seule qui représente la fin du XIXe siècle et le XXe siècle. En effet, leur connaissance précise n’est due qu’à la proximité temporelle que l’on a par rapport à elles. Aussi, ces quatre dates ont été « résumées » par la date 1945. Elle est symbolique de la fin des guerres franco-allemandes et du début de la construction européenne. De plus, la trace « en dur » laissée sur le chantier date de cette époque (un bloc de béton armé). Après plusieurs tests manuels, on trouve une valeur g comprise entre 0,56 (de n0 à n4) et 0,68 (de n5 à n6). La différence des valeurs s’explique sans doute par la présence d’une bifurcation entre n4 et n5. La valeur de TC est voisine de 870. Comme cela a été expliqué précédemment, le choix de g et de TC doit se faire à partir des premières valeurs pour caler le modèle. Aussi, on choisira TC = 870. Cette valeur n’est pas aberrante pour l’historien et pour le géographe, puisqu’il s’agit du moment où l’empire carolingien se désagrège. Cette valeur correspond approximativement à la valeur que donne l’étude de Pierre GROU comme point de départ de la civilisation occidentale (NOTTALE, GROU, CHALINE, 2000).

    La corrélation entre le rang et le log(<span class='italique'>T<sub>n</sub></span> – <span class='italique'>T<sub>C</sub></span>)
    Graphique 3. La corrélation entre le rang et le log(Tn – TC)

        Le graphique n°3 (p. 125) montre que la structure temporelle observée possède deux tendances : une entre le rang 0 et 4, une autre entre le rang 5 et 6. La rupture de pente de la courbe peut être interprétée, comme cela a déjà été dit, comme une bifurcation.

    n

    Date théorique

    g optimisé

    log(Tn – TC)

    Nombre de branches (k)

    BIFURCATION

    0

    920

     

    1,70

     

    1

    959

    0,563333333

    1,95

    3

    2

    1028

    0,563333333

    2,20

    3

    3

    1150

    0,563333333

    2,45

    3

    4

    1366

    0,563333333

    2,70

    3

    BIFURCATION ?

    5

    1600

    0,68

    2,86

    2

    6

    1944

    0,68

    3,03

    2

    BIFURCATION ?

    Tableau 3. Dates théoriques obtenues par équation 1.

        Le tableau n°3 (p. 125) présente les dates théoriques obtenues à partir des valeurs de g et de TC choisies, réinjectées dans l’équation 1 : Tn = TC + (T0 – TC)g-ng = k1/2. On constate qu’après chaque bifurcation supposée, le nombre d’embranchements, c’est-à-dire de choix, diminue. Il passe de de trois à deux. Puis, si on prend comme date suivant 2080, il passe de deux à un. Ce qui, en soi, pour une occupation d’un site archéologique, est logique.

    3.3.2. Critique des résultats

        Dans les résultats présentés, la méthode d’ajustement numérique par les probabilités de Laurent NOTTALE n’a pas pu être appliquée à la lettre en ce qui concerne la méthode des moindres carrés et de l’estimation statistique par la variable t de Student. Cependant, la recherche manuelle de g et de TC montre l’extrême sensibilité des conditions initiales de la mise en œuvre de la loi (équation 1 p. 110). On retrouve l’idée qu’une chaîne de Markov n’est ni aléatoire, ni déterministe (PRIGOGINE, STENGERS, 1992). Pour vérifier les valeurs obtenues dans le tableau n°3 (p. 125), il faudrait utiliser le programme crée par Laurent NOTTALE (travail en cours). Toutefois, on voit que, globalement, l’équation a fonctionné et qu’elle peut décrire ce qui a été développé lors de la seconde partie.

        Une question devient alors essentielle : quelle est l’utilité de ce modèle pour ces trois disciplines ? En histoire, cela semble évident : il permet la vérification d’une périodisation à une échelle temporelle de conséquences données. Les arbres de l’évolution (2000) ont testé le modèle à l’échelle des civilisations. Ce mémoire l’a fait à l’échelle d’un château et du territoire qu’il contrôle. Le test de Laurent NOTTALE, en 2000, a montré une accélération temporelle pour n’importe quelle civilisation. Au niveau d’un château, comme Boves et de son territoire, on observe une décélération. Ainsi, la macro-échelle peut présenter une accélération alors que la micro peut montrer une décélération. Les cartes n°2 et n°4 à 10 de la seconde partie montrent un accroissement de l’espace de contrôle autour du château. À l’origine, le site de Boves contrôlait un petit territoire avec quelques dépendances hors de celui-ci (carte 2 p. 63). Puis, le site a été englobé dans le domaine royal. Bien qu’il conserve sa puissance, les pôles de pouvoir ont été redistribués dans le comté d’Amiens (carte 4 p. 90). Le comté d’Amiens s’est désormais structuré, on a donc changé d’échelle. Avec le Ponthieu anglais (1328), les enjeux sont au nord-ouest du site dans la baie de Somme (carte 5 p. 99). On a quitté le comté. L’émergence de cette nouvelle échelle a été réalisée par la création de la Picardie bourguignonne (carte 6 p. 100). Le XVIIe siècle a définitivement intégré le site dans le domaine royal (carte 7 p. 102). Boves ne présente plus aucun intérêt, ce lieu de pouvoir doit céder sa place à d’autres lieux plus au nord. Aux XIXe-XXe siècles, on est passé à une ultime échelle par l’intermédiaire des trois guerres franco-allemandes (1870, carte 8 p. 104 ; 1914-1918, carte 9 p. 105 ; 1939-1945, carte 10 p. 106). Ainsi, le temps et l’espace peuvent s’articuler par l’intermédiaire d’un axe des échelles spatio-temporelles. Finalement, au fur et à mesure que Boves est intégré dans des échelles de plus en plus petites, le site perd de sa valeur, à un tel point qu’aujourd’hui, qui peut situer le château de Boves sur une carte ? Il n’empêche que, pour des raisons différentes, le site est de temps en temps réactivé, mélangeant ou emboîtant la micro et la macro-échelle. Ainsi, on peut résumer les résultats provisoires obtenus par la figure n°13 (p. 117).

    L’arbre de l’évolution spatio-temporelle du site de Boves de la fin de l’empire carolingien au XXI<sup>e</sup> siècle.
    Figure 13. L’arbre de l’évolution spatio-temporelle du site de Boves de la fin de l’empire carolingien au XXIe siècle.

        La figure n°13 (p. 117) montre les choix de construction possibles. Au début, il y a une rupture entre l’empire caroligien et le système féodale, marquée par une désagrégation spatiale. De 920 à 1360, il y a trois branches possibles, mais le système ne semble avoir bifurqué qu’à partir du moment où le nombre de choix possibles s’est réduit à deux (en 1360). Si l’évolution s’était poursuivie « normalement », l’étape suivante de construction aurait eu lieu, sur la motte, vers 1751 (?). La bifurcation peut s’expliquer par l’intégration définitive à une échelle plus petite du site de Boves : l’Etat français en construction. La seconde bifurcation a lieu en 1945, si on prend pour date suivante 2080. Là, il n’y a plus de choix possible. L’évolution du site n’a plus qu’une branche. Tout comme les états antérieurs, cela s’explique par l’intégration dans l’Union européenne du site. Il ne présente plus aucun intérêt à tous les niveaux, sauf au niveau scientifique. À partir de là, il n’est pas stupide de penser que le site de Boves restera dans son état actuel : à l’abandon jusqu’à la prochaine rupture (2080 ?) qui peut être lui redonnera un intérêt stratégique quelconque.

    3.3.3. Amorce d’une analyse spatiale de l’espace picard au Xe siècle

        Cependant, l’approche de Laurent NOTTALE demeure avant tout temporelle. Ainsi, il faut la compléter par une analyse spatiale, pratiquée en géographie. Cette approche permettra d’essayer de comprendre l’organisation de la distribution des châteaux, si elle existe ! Le but de cette étude n’est pas d’être exhaustive. Elle vise à dégager des pistes de recherches fondées sur une analyse spatiale et fractale.

        La méthode est simple. On calcule une densité de châteaux à partir de la surface de cercles tracés autour d’un pôle organisateur. On reporte les valeurs sur un graphique avec en abscisse la taille du rayon (de cinq kilomètres et cinq kilomètres) et en ordonnée le logarithme du rapport .

        Le calcul est appliqué autour de dix positions, supposées être des pôles organisateurs au Xe siècle : Boves, Amiens, Corbie, Vignacourt, Picquigny, Moreuil, Poix, Conty, Folleville et Albert (ou Ancre au Moyen Age). Après avoir posé trois postulats partiellement vrais, on va étudier l’organisation de l’espace autour de chaque château, puis essayer d’étudier le résultat d’ensemble grâce à une moyenne réalisée à partir des résultats obtenus au cas par cas.

        Afin de mener à bien cette réflexion, il faut partir de trois postulats de départ, sans doute partiellement vrais. Le premier consiste à supposer que la densité des châteaux recensés dans le comté d’Amiens primitif ne varie pas au cours du temps, la distribution se fixant entre le Xe et le XIIIe siècle. Après l’interrogation de la base de données des châteaux créée sous MapInfo, seuls dix châteaux sur cent vingt huit ont été créés après le XIIe siècle, soit 7,81%. Toutefois, sur les cent huit châteaux supposés antérieurs à XIIe siècle, cinquante sont d’origines inconnues. Seulement, vingt de ces cinquante semblent être médiévaux. Le second postulat sera le suivant : ces trente châteaux ont été créés entre le Xe et le XIIe siècle, ce qui permet de retrouver une distribution proche de celle des seigneuries picardes recensées par Robert FOSSIER (1968, p. 678-679). Le troisième postulat, qui lui est complètement faux, sera de prétendre que les dix châteaux créés post-XIIe siècle ne modifient pas la densité des châteaux, mise en œuvre dans les calculs et les graphiques suivants. En résumé, cette étude portera sur l’état actuel, et non sur l’évolution de la distribution (figure 14 p. 129), ce qui correspond à 113 châteaux appartenant au comté d’Amiens primitif.

    Le nuage des châteaux
    Figure 14. Le nuage des châteaux

    3.3.3.1. Présentation des résultats

        Cette sous-partie a pour but de montrer que l’interprétation menée dans la sous-partie suivante, repose sur des faits. Le lecteur peu averti a donc la possibilité de passer à la sous-partie suivante (3.3.3.2.) sans aucune difficulté.

    3.3.3.1.1. Boves

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    2

    78,53981634

    0,025465

    39

    grande

    centre

    10

    11

    314,1592654

    0,035014

    29

     

    Boves

    15

    22

    706,8583471

    0,031124

    32

     

    limite

    20

    51

    1256,637061

    0,040585

    25

     

    comté primitif

    25

    75

    1963,495408

    0,038197

    26

     

    position relative

    30

    93

    2827,433388

    0,032892

    30

     

    centre

    35

    105

    3848,451001

    0,027284

    37

     

     

    40

    112

    5026,548246

    0,022282

    45

    moyenne

     

    45

    113

    6361,725124

    0,017762

    56

     

     

    50

    113

    7853,981634

    0,014388

    70

     

     

    55

    113

    9503,317777

    0,011891

    84

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 4. L’analyse spatiale de Boves

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 4. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 5. Polynôme modélisant la structure

        Le graphique n°4 (p. 130) montre une augmentation de densité entre 5 et 20 km. Passé 20 km, la décroissance devient exponentielle. Dans l’interprétation, il faudra prendre en compte qu’il doit y avoir un effet de bordure à partir d’un rayon de 25 km. En effet, le cercle tracé dépasse la limite hypothétique du comté d’Amiens primitif. Le graphique n°5 (p. 130) montre que cette structure correspond à un polynôme du troisième degré. En conclusion, il y a une surdensification des sites castraux autour de Boves110.

    3.3.3.1.2. Amiens

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    0

    78,53981634

    0

     

    grande

    centre

    10

    15

    314,1592654

    0,047746

    21

     

    Amiens

    15

    35

    706,8583471

    0,049515

    20

     

    limite

    20

    59

    1256,637061

    0,046951

    21

     

    comté primitif

    25

    78

    1963,495408

    0,039725

    25

     

    position relative

    30

    96

    2827,433388

    0,033953

    29

     

    centre

    35

    106

    3848,451001

    0,027544

    36

     

     

    40

    110

    5026,548246

    0,021884

    46

    moyenne

     

    45

    113

    6361,725124

    0,017762

    56

     

     

    50

    113

    7853,981634

    0,014388

    70

     

     

    55

    113

    9503,317777

    0,011891

    84

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 5. L’analyse spatiale d’Amiens

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 6. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 7. Polynôme modélisant la structure

        Pour Amiens, la surdensification est moins marquée : entre 5 et 15 km. Cela étant, on a ici une structure spatiale proche de celle de Boves. Passé 15 km, la décroissance devient exponentielle. Comme à Boves, il doit y avoir un effet de bordure à partir de 25 km.

    3.3.3.1.3. Corbie

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    3

    78,53981634

    0,038197

    26

    grande

    centre

    10

    14

    314,1592654

    0,044563

    22

     

    Corbie

    15

    25

    706,8583471

    0,035368

    28

     

    limite

    20

    39

    1256,637061

    0,031035

    32

     

    comté primitif

    25

    61

    1963,495408

    0,031067

    32

     

    position relative

    30

    84

    2827,433388

    0,029709

    34

     

    centre

    35

    95

    3848,451001

    0,024685

    41

     

     

    40

    106

    5026,548246

    0,021088

    47

    moyenne

     

    45

    111

    6361,725124

    0,017448

    57

     

     

    50

    113

    7853,981634

    0,014388

    70

     

     

    55

    113

    9503,317777

    0,011891

    84

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 6. L’analyse spatiale de Corbie

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 8. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 9. Polynôme modélisant la structure

        Pour Corbie, on a une surdensification moins marquée entre 5 et 10 km. Passé 10 km, la décroissance devient exponentielle. Il y a toujours un effet de bordure passé 20 km. La structure est proche de celle d’Amiens.

    3.3.3.1.4. Albert

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    0

    78,53981634

    0

     

    grande

    centre

    10

    2

    314,1592654

    0,006366

    157

     

    Albert

    15

    13

    706,8583471

    0,018391

    54

     

    limite

    20

    30

    1256,637061

    0,023873

    42

     

    comté primitif

    25

    39

    1963,495408

    0,019863

    50

     

    position relative

    30

    52

    2827,433388

    0,018391

    54

     

    16 km au nord-est

    35

    63

    3848,451001

    0,01637

    61

     

    de Corbie

    40

    71

    5026,548246

    0,014125

    71

    moyenne

    45

    87

    6361,725124

    0,013676

    73

     

     

    50

    98

    7853,981634

    0,012478

    80

     

     

    55

    107

    9503,317777

    0,011259

    89

     

     

    60

    111

    11309,73355

    0,009815

    102

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 7. L’analyse spatiale d’Albert

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 10. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 11. Polynôme modélisant la structure

        Pour Albert, on observe une décroissance exponentielle parfaite à partir de 10 km. L’effet de bordure est cependant plus important, à partir de 15 km. La structure est proche de celle de Boves.

    3.3.3.1.5. Moreuil

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    0

    78,53981634

    0

     

    grande

    centre

    10

    3

    314,1592654

    0,009549297

    105

     

    Moreuil

    15

    17

    706,8583471

    0,02405008

    42

     

    limite

    20

    32

    1256,637061

    0,025464791

    39

     

    comté primitif

    25

    47

    1963,495408

    0,023936903

    42

     

    position relative

    30

    71

    2827,433388

    0,025111113

    40

     

    10 km au sud-est

    35

    90

    3848,451001

    0,023386032

    43

     

    de Boves

    40

    103

    5026,548246

    0,020491199

    49

    moyenne

     

    45

    111

    6361,725124

    0,017448097

    57

     

     

    50

    113

    7853,981634

    0,014387607

    70

     

     

    55

    113

    9503,317777

    0,011890584

    84

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991394

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513377

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007340616

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394492

    156

    petite

    Tableau 8. L’analyse spatiale de Moreuil

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 12. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 13. Polynôme modélisant la structure

        Pour Moreuil, on a une surdensification très forte entre 5 et 25 km, et une décroissance exponentielle à partir de 30 km. L’effet de bordure est à prendre en compte à partir de 20 km. La structure est proche de celle de Boves.

    3.3.3.1.6. Conty

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    6

    78,53981634

    0,076394

    13

    grande

    centre

    10

    13

    314,1592654

    0,04138

    24

     

    Conty

    15

    28

    706,8583471

    0,039612

    25

     

    limite

    20

    44

    1256,637061

    0,035014

    29

     

    comté primitif

    25

    52

    1963,495408

    0,026483

    38

     

    position relative

    30

    61

    2827,433388

    0,021574

    46

     

    périphérie

    35

    74

    3848,451001

    0,019229

    52

     

     

    40

    86

    5026,548246

    0,017109

    58

    moyenne

     

    45

    96

    6361,725124

    0,01509

    66

     

     

    50

    104

    7853,981634

    0,013242

    76

     

     

    55

    110

    9503,317777

    0,011575

    86

     

     

    60

    112

    11309,73355

    0,009903

    101

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 9. L’analyse spatiale de Conty

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 14. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 15. Polynôme modélisant la structure

        Avec Conty, on observe une décroissance exponentielle presque parfaite. Il n’y pas de surdensification. L’effet de bordure est à prendre en compte à partir de 10 km.

    3.3.3.1.7. Vignacourt

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    5

    78,53981634

    0,063662

    16

    grande

    centre

    10

    12

    314,1592654

    0,038197

    26

     

    Vignacourt

    15

    23

    706,8583471

    0,032538

    31

     

    limite

    20

    45

    1256,637061

    0,03581

    28

     

    comté primitif

    25

    64

    1963,495408

    0,032595

    31

     

    position relative

    30

    78

    2827,433388

    0,027587

    36

     

    périphérie

    35

    93

    3848,451001

    0,024166

    41

     

     

    40

    102

    5026,548246

    0,020292

    49

    moyenne

     

    45

    109

    6361,725124

    0,017134

    58

     

     

    50

    110

    7853,981634

    0,014006

    71

     

     

    55

    111

    9503,317777

    0,01168

    86

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007341

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394

    156

    petite

    Tableau 10. L’analyse spatiale de Vignacourt

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 16. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 17. Polynôme modélisant la structure

        Avec Vignacourt, l’ajustement redevient presque exponentiel. Le polynôme du troisième degré est proche de celui de Conty. Il n’y a pas de surdensification. Il doit y avoir un effet de bordure à partir de 10 km.

    3.3.3.1.8. Picquigny

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    3

    78,53981634

    0,038197186

    26

    grande

    centre

    10

    11

    314,1592654

    0,035014087

    29

     

    Picquigny

    15

    25

    706,8583471

    0,035367765

    28

     

    limite

    20

    39

    1256,637061

    0,031035214

    32

     

    comté primitif

    25

    62

    1963,495408

    0,031576341

    32

     

    position relative

    30

    81

    2827,433388

    0,02864789

    35

     

    périphérie

    35

    91

    3848,451001

    0,023645877

    42

     

     

    40

    101

    5026,548246

    0,020093312

    50

    moyenne

     

    45

    105

    6361,725124

    0,016504957

    61

     

     

    50

    109

    7853,981634

    0,013878311

    72

     

     

    55

    111

    9503,317777

    0,011680131

    86

     

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991394

    100

     

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513377

    117

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007340616

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394492

    156

    petite

    Tableau 11. L’analyse spatiale de Picquigny

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 18. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 19. Polynôme modélisant la structure

        Avec Picquigny, on observe une structure exponentielle. Grâce au polynôme, on voit une surdensification entre 5 et 15 km, qui atténue la décroissance de la courbe. L’effet de bordure est à prendre en compte à partir de 10 km.

    3.3.3.1.9. Poix

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Densité

    Surf/Chât.km2

    Échelle

    1000

    5

    5

    78,53981634

    0,063661977

    16

    grande

    centre

    10

    12

    314,1592654

    0,038197186

    26

     

    Poix

    15

    24

    706,8583471

    0,033953055

    29

     

    limite

    20

    31

    1256,637061

    0,024669016

    41

     

    comté primitif

    25

    42

    1963,495408

    0,021390424

    47

     

    position relative

    30

    49

    2827,433388

    0,017330205

    58

     

    périphérie

    35

    58

    3848,451001

    0,015070999

    66

     

     

    40

    70

    5026,548246

    0,013926058

    72

    moyenne

     

    45

    78

    6361,725124

    0,012260825

    82

     

     

    50

    93

    7853,981634

    0,011841128

    84

     

     

    55

    102

    9503,317777

    0,010733094

    93

     

     

    60

    110

    11309,73355

    0,009726135

    103

     

     

    65

    112

    13273,22896

    0,008438037

    119

     

     

    70

    113

    15393,804

    0,007340616

    136

     

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394492

    156

    petite

    Tableau 12. L’analyse spatiale de Poix

    Graphique 20. Relation bi logarithmique entre la densité et le rayon

    Graphique 21. Polynôme modélisant la structure

        Avec Poix, on observe, non plus un ajustement exponentiel, mais un ajustement puissance, donc fractal. Il n’y a pas de surdensification. L’effet de bordure est à prendre en compte au-delà de 10 km.

    3.3.3.1.10. Folleville

    Date

    Rayon (km)

    Nombre de châteaux

    Surface du disque

    Rapport nb/surface

    Échelle

    Surf/Chât.km2

    1000

    5

    3

    78,53981634

    0,038197186

    grande

    26

    centre

    10

    5

    314,1592654

    0,015915494

     

    63

    Folleville

    15

    9

    706,8583471

    0,012732395

     

    79

    limite

    20

    21

    1256,637061

    0,016711269

     

    60

    comté primitif

    25

    35

    1963,495408

    0,017825354

     

    56

    position relative

    30

    57

    2827,433388

    0,020159626

     

    50

    périphérie

    35

    70

    3848,451001

    0,018189136

     

    55

     

    40

    88

    5026,548246

    0,017507044

    moyenne

    57

     

    45

    99

    6361,725124

    0,015561817

     

    64

     

    50

    102

    7853,981634

    0,012987043

     

    77

     

    55

    109

    9503,317777

    0,011469679

     

    87

     

    60

    113

    11309,73355

    0,009991394

     

    100

     

    65

    113

    13273,22896

    0,008513377

     

    117

     

    70

    113

    15393,804

    0,007340616

     

    136

     

    75

    113

    17671,45868

    0,006394492

    petite

    156

    Tableau 13. L’analyse spatiale de Folleville

    Relation entre la densité et le rayon
    Graphique 22. Relation entre la densité et le rayon

    Polynôme modélisant la structure
    Graphique 23. Polynôme modélisant la structure

        Avec Folleville, on observe une structure étonnante : une décroissance entre 5 et 15 km, une surdensification entre 15 et 30 km et une décroissance exponentielle au-delà de 30 km. Ce n’est plus un polynôme du troisième degré, mais du cinquième. L’effet de bordure est à prendre en considération, au-delà de 10 km.

    3.3.3.2. Interprétation des résultats

        En prenant le nombre moyen de châteaux, on obtient le modèle « général », à savoir une surdensification moyenne entre 5 et 25 km, puis une décroissance entre 25 et 75 km (graphique 24 p. 140). Cependant, le polynôme obtenu masque la décroissance exponentielle.

    Relation entre le rayon et le nombre moyen de châteaux
    Graphique 24. Relation entre le rayon et le nombre moyen de châteaux

        En résumé, on observe deux structures spatiales celles comme Boves, Amiens, Corbie, Albert et Moreuil avec un polynôme qui croît et décroît, et celles comme Picquigny, Poix, Vignacourt et Conty avec un polynôme qui décroît. Une seule structure paraît inclassable : celle de Folleville. Cependant, dans ce classement, il faut prendre en compte l’effet de bordure, si souvent évoqué. Les premières couvrent presque toute la totalité du comté d’Amiens primitif avec des cercles dont le rayon varie entre 15 et 20 km. Les secondes et la troisième ont un effet de bordure presque immédiat au-delà de 5 km.

    Date

    Rayon (km)

    Rang

    Châteaux

    Surface du disque

    Rapport nb/surface

    Échelle

    Surf/Chât.km2

    Décroissance

    1000

    5

     

    3

    78,53981634

    0,04329

    grande

    23,10

     

    centre

    10

    1

    11

    314,1592654

    0,034059

     

    29,36

    6,26

    moyenne des pôles

    15

    2

    25

    706,8583471

    0,035085

     

    28,50

    -0,86

    organisateurs

    20

    3

    41

    1256,637061

    0,032865

     

    30,43

    1,92

    limite

    25

    4

    57

    1963,495408

    0,029081

     

    34,39

    3,96

    comté primitif

    30

    5

    73

    2827,433388

    0,025889

     

    38,63

    4,24

     

    35

    6

    85

    3848,451001

    0,022087

     

    45,28

    6,65

     

    40

    7

    95

    5026,548246

    0,01886

    moyenne

    53,02

    7,75

     

    45

    8

    102

    6361,725124

    0,016033

     

    62,37

    9,35

     

    50

    9

    107

    7853,981634

    0,013573

     

    73,68

    11,31

     

    55

    10

    110

    9503,317777

    0,011575

     

    86,39

    12,72

     

    60

    11

    112

    11309,73355

    0,009921

     

    100,80

    14,41

     

    65

    12

    113

    13273,22896

    0,008491

     

    117,77

    16,98

     

    70

    13

    113

    15393,804

    0,007328

     

    136,47

    18,70

     

    75

    14

    113

    17671,45868

    0,006383

    petite

    156,66

    20,19

    Tableau 14. Tableau de synthèse des différentes analyses spatiales

        Cela étant, un fois normée avec la surface, la décroissance devient parfaitement exponentielle (graphique 25 p. 141). La distribution est parfaite au-delà de 15 km, mais elle n’est pas fractale. Pour avoir une structure fractale, il aurait fallu que la densité décroisse en fonction des échelles, ce qui est le cas ici, mais aussi qu’elle décroisse d’une même valeur entre les échelles, ce qui n’est guère le cas ici (graphique 26 p. 141). La distribution moyenne est donc aléatoire, mais localement différente. Le point de décroissance 6,26 à 10 km est étonnant. Il correspond à la surdensification locale observée autour de certains châteaux comme celui de Boves. Comment expliquer cette surdensification ?

        Lorsque l’on observe l’emplacement des différents sites (figure 14 p. 129), on se rend compte qu’ils se sont implantés, soit près d’une voie romaine, soit près d’un cours d’eau. Dans le « triangle » Amiens-Albert-Moreuil, il n’y a pas moins de six vallées qui se rejoignent, ainsi qu’un carrefour romain, au nord de Boves, sans compter les nombreuses voies romaines partant d’Amiens passant dans ce « triangle ». Ces réseaux dont la convergence est surprenante, sont sans doute à l’origine de la surdensification locale autour d’un point focal proche de Boves.

    Relation entre la densité moyenne et le rayon
    Graphique 25. Relation entre la densité moyenne et le rayon

    Relation entre la décroissance et du rang
    Graphique 26. Relation entre la décroissance et du rang

        L’analyse spatiale n’est pas complète. Il aurait fallu automatiser les calculs sur les mottes et/ou châteaux et intégrer l’évolution territoriale et la distribution spatiale des sites castraux du comté primitif d’Amiens à la France actuelle. Toutefois, ces premiers résultats sont suffisants pour permettre d’envisager de sérieuses pistes de recherches à venir.






    Conclusion générale

        Ce mémoire a essayé de mener une réelle approche « transmoderne » et transdisciplinaire, en privilégiant trois sciences humaines : la géographie, l’archéologie et l’histoire. La méthode envisagée pour aboutir à quelques résultats intéressants a été de prendre les nouvelles théories développées dans les sciences dites dures autour de la complexité et d’essayer de voir si ces théories pouvaient être appliquées aux faits produits par les trois sciences humaines considérées. La méthode permet en quelque sorte de rétablir un équilibre entre les théories des sciences dites dures et les faits des sciences humaines. Le résultat peut sembler imparfait. Il suscite nombreuses interrogations à la fois métaphysiques et scientifiques. Cependant, l’articulation globale a pu être dégagée de manière mathématique et phénoménologique. Le fait de mettre un espace à cinq dimensions au centre de la réflexion a permis de dépasser le cadre disciplinaire, ce qui, d’un point de vue épistémologique n’est pas négligeable. En effet, le fait de passer d’un métaparadigme temporel à un métaparadigme géométrique spatio-temporel en sciences humaines a permis de lier la production de trois disciplines. Cependant, ce lien est et sera toujours imparfait, mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de le faire.

        Les pistes ouvertes dans ce mémoire sont nombreuses, sans doute trop nombreuses. La plus importante est de recenser toutes les mottes, tous les châteaux, toutes les fortifications connus depuis le Xe siècle et d’essayer de construire, s’il existe, son arbre fractal d’évolution. La tâche peut paraître ardue, voire impossible, mais heureusement, au XXIe siècle, on possède avec l’ordinateur, l’outil pour traiter cette masse d’informations. Emmanuel LE ROY LADURIE écrivait que « l’historien de demain sera programmeur ou il ne sera pas ». Il faudrait généraliser cette phrase a toutes les disciplines présentes et avenirs. Qui mieux que les membres de ces disciplines pourraient satisfaire leurs besoins numériques ? Il faut reconnaître une avance certaine aux géographes dans le traitement massif des informations et dans le croisement de celles-ci. Les archéologues commencent à développer des bases de données stratigraphiques depuis une dizaine d’années, mais on est forcé de reconnaître que les historiens sont toujours en retard dans le traitement informatique des données. Ainsi, le modèle de Laurent NOTTALE (2000) permet en quelque sorte d’assurer une transition entre les sciences modernes et les futures sciences entrant dans une pensée transmoderne en construction. Ce mémoire doit être compris comme un message d’espoir. Toutefois, la mutation va sans doute être douloureuse et très difficile, en supposant que l’on y arrive avant 2080 p.-C. ! La démarche peut être mal perçue et choquée le lecteur, mais « nier autrui, c’est déjà le connaître » (Fernand BRAUDEL, 1958, p.726). Autrement dit, chercher à comprendre ce mémoire permettra de le nier.

        Ce travail est par conséquent loin d’être achevé. Il doit être pris dans son ensemble comme une introduction à un nouveau cadre méthodologique et paradigmatique. Ce cadre reste cependant à élaborer, à construire, à fixer. Ce mémoire a tenté de renforcer les liens entre trois disciplines ayant une vision du monde très différente : l’histoire, la géographie et l’archéologie. Trois visions, cinq axes : le temps, la largeur, la longueur, la hauteur (ou profondeur) et l’échelle, le modèle de Laurent NOTTALE (2000), s’appliquant dans le cadre d’un espace à cinq dimensions, est l’outil de prédilection pour unir ces trois disciplines autour d’objets d’étude communs comme la motte de Boves. Cependant, il favorise une approche temporelle. Aussi, il faut développer parallèlement une analyse spatiale, telle que le pratiquent les géographes spatialistes. Ce mémoire n’a donné que quelques résultats et quelques éléments de méthodologie de ce type d’analyse. Par manque de données, l’étude apportée doit être largement complétée, mais elle fournit quelques pistes de recherche postérieures. De plus, l’analyse temporelle est restée très locale (Boves). Il faudrait l’étendre à la totalité des sites connus. Toutefois, n’ayant pas toutes les données relatives à ceux-ci, les structures temporelles dégagées devront être retravaillées via le modèle empirique, et sans doute imparfait, de Boves développé dans ce mémoire, pour la Picardie en tout cas. Cette introduction épistémologique doit donc être réellement comprise comme une ouverture, un message d’espoir et la première pierre de nombreux travaux à venir, aussi bien en histoire, qu’en archéologie et qu’en géographie.

    Maxime FORRIEZ

    Le mercredi 29 juin 2005






    Perspectives en deux axes de recherches transdisciplinaires

        Axe 1 : compléter, valider ou infirmer les différentes approches phénoménologiques menées jusqu’à présent pour l’étude des sites castraux

    1. cartographier et photographier la totalité des sites castraux connus ou étudiés : mottes et/ou châteaux jusqu’au XVe siècle111

    2. mener l’analyse spatiale de la distribution et de la répartition des sites castraux identifiées en fonction des différentes époques

    3. mener l’analyse temporelle de tous ses sites dans la limite des informations disponibles

    4. essayer de construire un arbre de l’évolution des fortifications de l’Antiquité à nos jours en intégrant toute l’Europe et le sud de la Méditerranée afin de comprendre la place qu’occupent les mottes et les châteaux dans cette évolution

    5. étudier l’évolution morphologique des châteaux par une approche spatio-temporelle afin d’essayer de comprendre le processus de leur complexication

    Tout cela ne pourra se faire sans mettre en œuvre des outils utilisés ou développés par les géographes comme les modèles numériques de terrain et les systèmes d’informations géographiques, et des méthodologies spécifiquement géographiques comme l’analyse spatiale et dans une moindre mesure, l’étude fractale des formes.

        Axe 2 : apporter des éléments de réflexions dans la construction de théories de (ou dans) ces trois disciplines

    1. contribuer à la recherche d’une nouvelle théorie de l’histoire en dépassant, sans la nier, celle de Fernand BRAUDEL

    2. contribuer à la recherche d’une théorie des limites et de la discontinuité

    3. contribuer à la recherche d’une définition théorique de l’archéologie

    4. trouver des applications de la géométrie fractale dans les sciences humaines






    Bibliographie

        La bibliographie cherche à être exhaustive pour permettre au lecteur néophyte d’avoir une orientation bibliographique sur tel ou tel thème développé dans le corps du texte.

    b.1. Ouvrages cités

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    Notes

    [1] Ce sont des constructions obtenues par des méthodes d’objectivation scientifique.

    [2] Ce sont des occurrences spatio-temporelles qui affectent un observateur par ses sens. Elles sont étudiées par ce que l’on appelle la phénoménologie.

    [3] Théorie s’appliquant à un unique fait, constituant le cas particulier.

    [4] Théorie s’appliquant à plusieurs cas particuliers, mais résistant à toute forme de généralisation.

    [5] Théorie s’appliquant à la majorité des cas connus. Elle est mise en place par le processus de généralisation.

    [6] Cela consiste à prétendre qu’un fait peut s’expliquer simplement, d’une manière évidente. Autrement dit, la complexité des êtres et des objets n’est qu’apparente.

    [7] Il s’agit de fonctions continues non dérivables, c’est-à-dire possédant un ou plusieurs points ayant au moins deux tangentes, voire aucune.

    [8] C’est le rapport entre l’objet d’étude et le chercheur, qu’est-ce que cette étude va lui apporter ?

    [9] C’est considérer que le tout du système l’emporte sur la somme des éléments qui le composent.

    [10] Elle cherche à établir le comportement du système : on considère le système comme un être vivant.

    [11] C’est essayer de représenter de manière simplifiée les éléments connus du système.

    [12] Les métaphores sont des comparaisons entre différents éléments dont le processus de fabrication est identique.

    [13] Les isomorphismes travaillent sur une analogie structurale.

    [14] Les modèles sont des représentations abstraites de réalités concrètes. Ils représentent la forme la plus élaborée de l’analogie.

    [15] Les invariants sont les éléments stables du système, ceux qui sont comme fixes, non susceptibles de transformation (DURAND, 2002).

    [16] Un algorithme est une prescription détaillée des opérations à réaliser pour obtenir avec certitude la solution du problème posé (DURAND, 2002).

    [17] La programmation linéaire détermine des valeurs de variables ou d’activités en présence de contraintes relatives aux ressources disponibles et en vue d’obtenir le résultat optimum (DURAND, 2002).

    [18] Les variables sont des éléments du système dont les changements peuvent provenir soit d’événements aléatoires externes au système, soit de décisions du modélisateur qui est le véritable meneur de jeu (DURAND, 2002).

    [19] Les contraintes sont internes ou externes au système. Elles limitent sa capacité d’adaptation ou de réaction à telle ou telle situation (DURAND, 2002)

    [20] Le terme de modèle s’applique à toute représentation ou transcription abstraite d’une réalité concrète. Cette représentation doit être assez simplifiée pour être intelligible, mais suffisamment fidèle pour être utile et fiable (DURAND, 2002).

    [21] Le modèle cognitif doit donner une représentation simplifiée d’un système réel en ne retenant que les éléments et les interactions les plus significatifs du système (DURAND, 2002)

    [22] Le modèle décisionnel doit fournir au décideur des schémas qui lui permettent de prendre rapidement une décision en présence soit d’une information trop abondante, c’est-à-dire difficile à maîtriser, soit au contraire d’une information lacunaire ou incertaine (DURAND, 2002).

    [23] Le modèle normatif est une forme particulière du modèle décisionnel qui est particulièrement contraignante (DURAND, 2002).

    [24] Le modèle prévisionnel doit permettre de déduire le comportement futur d’un système à partir de la connaissance de l’état présent et passé de ce système (DURAND, 2002).

    [25] La maquette est un objet représentant à une échelle réduite l’objet mécanique ou le bâtiment que l’on veut construire ou étudier. Cette maquette peut être soumise à des tests, des mesures qui permettront d’améliorer les performances de l’objets ou du projet (DURAND, 2002).

    [26] Le schéma représente l’objet ou le système, existant ou à créer, de façon plus ou moins détaillée. Les schémas ou les dessins sont complétés par un code qui permet de les interpréter (DURAND, 2002).

    [27] Le modèle cybernétique permet d’étudier ou de prévoir les conditions de régulation d’un système (DURAND, 2002).

    [28] Le modèle numérique est lié au développement de l’informatique (DURAND, 2002).

    [29] C’est une doctrine épistémologique selon laquelle, face à l’expérience, chaque énoncé scientifique est tributaire du domaine tout entier dans lequel il apparaît. C’est une approche globalisante, nécessairement transdisciplinaire.

    [30] « Chacune [des sciences humaines] empiète sur ses voisines en croyant demeurer chez elle. » (BRAUDEL, 1958, p. 726).

    [31] « Chaque époque […] imposé ses points de vue à l’écriture de l’histoire » (PROST, 1996, p. 90).

    [32] « Le monde des géographes est avant tout un monde de formes […]. » (DAUPHINE, 2003, p. 148)

    [33] L’échelle doit être pris ici au sens de « résolution », de taille, de rapport de tailles.

    [34] Il faut préciser qu’il existe une approche beaucoup plus phénoménologique, développée par Jean-Marie PESEZ (PESEZ, 1997).

    [35] c’est-à-dire fouiller

    [36] c’est-à-dire cartographier

    [37] C’est un « lieu d’enfouissement ou d’engloutissement des vestiges matériels que les archéologues peuvent trouver et exploiter » (LEHOERFF, in DEMOULE et alii, 2002, p. 41)

    [38] Dans ce mémoire, la définition de ce que l’on appellera « motte » sera restrictive au sens d’un « tas de terre » sur lequel on a construit un ouvrage à caractère plus ou moins défensif. Par contre, on appellera « site » l’ensemble motte-basse-cour(s).

    [39] Arcisse de Caumont, Abécédaire au rudiment d’archéologie, Caen, 1969 ; Camille Enlart, Manuel d’archéologie française, Paris, 1928-1932, 2 volumes, tome 2 – Architecture civile et militaire, cités par André DEBORD (2000, note 30, p. 63).

    [40] « L’archéologie de terrain permet de mieux connaître les lieux du pouvoir : motte, bourgs castraux et châteaux » (POIRRIER, 2000, p. 56).

    [41] C’est un clerc et l’archiviste de Reims. Il a écrit des Annales qui traitent de la période allant de 919 à 966.

    [42] Le terme castellum donnera le mot « chastel ».

    [43] c’est-à-dire le comté carolingien.

    [44] « La raison morpho-historique a constitué, pour l’essentiel, le contenu même du discours historique s’agissant de l’histoire du rapport des hommes à leur espace. Dans les paysages du passé, ce qu’on a vu jusqu’à présent, c’était le régulier, le planifié, le normatif, même quand ce planifié n’existait pas. […] La raison morpho-historique conduit à la négation de l’histoire parce qu’elle sous-entend que l’histoire peut être écrite sans même qu’il y ait à étudier les matériaux de l’histoire, simplement avec des formes pures projetées, transformées en faits historiques. […] Elle est devenue l’habillage scientifique d’une non histoire dont il faudra retrouver les orgines. […] Les raisons profondes de cette posture de négation de l’histoire ne sont pas principalement idéologiques, mais mentales, et que c’est à une époque plus ancienne que le XIXe ou le XXe siècle qu’il faut en rechercher l’origine. […] Si les paysages ruraux sont, pour l’essentiel, non planifiés. […] Ce n’est pas en projetant des régularités et surtout des régularités d’un certain type qu’on peut étudier ce qui est autrement agencé. Il faut ainsi refonder la morphologie des espaces planifiés sur les bases critiques et, surtout, fonder la morphologie des espaces non planifiés en proposant des voies nouvelles. […] » (CHOUQUER, 2000, p. 9-10).

    [45] « … la chrono-typologie et la « morpho-histoire » m’apparaissent, en définitive, comme une fermeture de l’espace et du temps » (CHOUQUER, 2000, p. 86)

    [46] La géométrie fractale est inventée en 1975 par le français Benoît MANDELBROT. Il s’agit d’une géométrie qui étudie et mesure l’irrégularité. Elle sera explicitée de manière plus détailler dans la troisième partie (3.1.1.).

    [47] « L’archéologie a certainement découvert des structures et des formes intéressantes qu’il lui revient d’exposer. C’est un acquis essentiel. Mais pourquoi le résultat ne serait-il positif que s’il illustre, le cas de figure théorique posé par l’analyse des formes ? Pourquoi ne serait-il pas intéressant en soi. D’autre part, le fait de ne pas avoir trouvé au sol la réification de la structure cartographiée, n’ôtait pas la question de son existence. Sauf à démontrer que les observations morphologiques relevant des régularités ont été mal faites […], il reste établi, malgré l’apparent verdict de la fouille, qu’une forme donnée a pu être relevée dans le paysage par analyse des plans cadastraux et des missions aériennes » (CHOUQUER, 2000, p. 49).

    [48] « On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve » (cité par KLEIN, 1995).

    [49] Le futur introduit une notion de prédestination. C’est en cela qu’il se différencie de l’avenir, qui a un rôle de création.

    [50] Le terme doit être pris dans son sens mathématique, c’est-à-dire le nombre de vecteurs qu’il est nécessaire et suffisant pour obtenir les coordonnées d’un point dans un espace cartésien (dimension topologique).

    [51] Etienne Klein est physicien au commissariat de l’énergie atomique.

    [52] Il s’agit du temps physique, du temps des horloges, du temps uniforme.

    [53] Il s’agit du temps subjectif, du temps de la conscience. C’est lui qui est à l’intérieur des êtres. Il est phénoménologique.

    [54] Ce passage s’inspire largement des articles publiés dans la revue Pour la science « Le temps des datations » (2004).

    [55] Le terme Big Bang a été forgé en 1960 par l’américain Fred HOYLE.

    [56] « Grâce à la datation, le monde est mis dans une histoire intégrale » (KLEIN, 2004b, p. 3).

    [57] « Les sciences[qui] touchent désormais à la question des origines [montrent qu’elle] est [de plus en] plus technique : il résulte du perfectionnement spectaculaire des méthodes de datation, que celles-ci soient relatives, par la mise en évidence de contemporanéités, ou bien absolues, notamment grâce à l’utilisation d’horloges radioactives » (KLEIN, 2004b, p. 3).

    [58] « La datation, parce qu’elle offre la mesure de toutes les échelles de durées, les grandes aussi bien que les petites, nous invite à penser que le passé proche, encore voisin du présent, n’est plus le seul à être pleinement accessible. En rendant égaux en droit tous les instants du passé, n’aurait-elle finalement installé une sorte de « démocratie des âges » ? » (KLEIN, 2004b, p. 4).

    [59] « L’historien ne sort jamais du temps de l’histoire : le temps colle à sa pensée comme la terre à la bêche du jardinier. » (BRAUDEL, 1958, p. 748)

    [60] « La causalité affirme qu’il n’y a qu’un seul temps non cyclique, et que l’ordre dans lequel les phénomènes causalement reliés se déroulement n’est pas arbitraire. Le monde devient du même coup un endroit sûr pour les historiens : il ne peut y avoir qu’une seule chronologie. Le fait qu’un événement se soit passé, réellement passé, n’est pas susceptible d’être remis en question. Il sera toujours « vrai » qu’il a eu lieu, même s’il n’a laissé aucune trace, même si sa réalité est niée par la suite. Vu sous cet angle, le passé devient une forteresse impénétrable » (KLEIN, 2004, p. 103-104).

    [61] C’est la fameuse loi de la chute libre des corps.

    [62] « Miniaturiser l’histoire, en lui imposant la livrée domestique du « temps vécu », est une solution de repli mélancolique qu’il nous faudra soigneusement éviter. » (VIRNO, 1996, p. 9-10)

    [63] Dans le dictionnaire critique de Roger BRUNET, l’espace géographique « est l’étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur reproduction. […] Il comprend l’ensemble des lieux et de leurs relations. […] L’espace géographique est donc à deux faces. Il est un système de relations et un produit social organisé, l’un des nombreux produits de l’activité sociale. »

    [64] Isaac NEWTON découpe le temps physique en temps absolu et en temps relatif. Le temps absolu est le temps considéré comme vrai et mathématique, c’est-à-dire qu’il est invariant. Le temps relatif est le résultat des opérations de mesure quelconques, sensibles et externes.

    [65] Principe de permanence de la localisation d’un même fait planimétrique sur la longue durée, malgré les mutations de la forme, voire de la fonction (CHOUQUER, 2000, p. 188).

    [66] Principe de permanence d’un effet d’orientation dans une forme, due à la présence d’un élément directeur ou morphogène (CHOUQUER, 2000, p. 188).

    [67] Selon Paul KLEE, caractère de la forme fondé sur l’effet de trame, par association d’éléments ou dividus identiques et répétitifs, et sur l’effet de masse issu d’un subdivision à l’extrême d’une surface (CHOUQUER, 2000, p. 187).

    [68] Selon Paul KLEE, accentuation conforme, périodique ou non, d’une ou plusieurs lignes d’une trame, c’est-à-dire de caractères dividus, ou encore accentuation par des lignes discordantes par rapport à une trame, nécessaire pour créer la forme (CHOUQUER, 2000, p. 188).

    [69] La notion de réversibilité est un « caractère de ce qui peut se reproduire en sens inverse. Se dit des phénomènes qui suivent la même série de transformations dans un sens ou dans le sens inverse, avec des modifications d’énergie également dans la même direction, mais non en quantités équivalentes. Se dit des opérations mentales qui peuvent être effectuées en sens inverse. » La « dynamique ne dépend pas de l’orientation du cours du temps » (KLEIN, 2004, p. 127).

    [70] L’irréversibilité est un « caractère de ce qui ne peut fonctionner que dans un seul sens et qui ne peut se produire que dans un seul sens, sans pouvoir être renversé. »

    [71] Notion introduite par Arthur EDDINGTON.

    [72] Il n’y a pas de flux de matière, d’énergie et d’information.

    [73] Les structures dissipatives correspondent à l’émergence, apparemment spontanée, d’un ordre

    [74] Il s’agit d’une évolution temporelle irrégulière et de structures spatiales « décorrélées » c’est-à-dire évoluant indépendamment les unes des autres et devenant pratiquement impossible à identifier (CHOSSAT, 1996). La turbulence est un jeu d’échelles. Elle peut être décrite par la géométrie fractale.

    [75] Pour plus de détail voir : BERGE, POMEAU, DUBOIS-GANGE, 1994 ; BERGE, POMEAU, VIDAL, 1998 ; BERGE, POMEAU, VIDAL, 1998 ; GLEICK, 1991.

    [76] Nom donné par James YORKE. Le chaos devient un objet mathématique avec une signification et un statut bien précis.

    [77] Le désordre résulte d’un processus rigoureusement défini.

    [78] Le désordre est dû à une multitude de causes agissant sans aucun lien entre elles.

    [79] Lorsqu’une fonction présente une discontinuité en un point, ce point est dit catastrophique.

    [80] D’après les données de Robert FOSSIER.

    [81] Ce terme sera privilégié par rapport à celui de « mutation », qui est un vocable trop fort pour décrire le phénomène observé.

    [82] Attention, ce n’est sans doute pas la seule.

    [83] « Pour les médiévistes, le discours sur le paysage ne peut pas s’appuyer sur un corpus de textes comparable à celui dont disposent les antiquisants, car il n’existe pas une conception planifiée des paysages propre à cette période » (CHOUQUER, 2000, p. 63).

    [84] « Les archéologues estiment qu’une motte fossoyée, de 30 mètres de diamètre et 15 mètres de hauteurs, pouvait être construite par cent hommes en vingt jours » (BUR, 1999, p. 30).

    [85] Plus le gradient de température augmente, plus l’entropie (ou le désordre) diminue.

    [86] Plus le gradient de température diminue, plus l’entropie (ou le désordre) augmente.

    [87] Dans ce mémoire, l’expression désigne l’ensemble des villae de l’Antiquité romaine jusqu’à la fin du Haut Moyen Âge.

    [88] « Fondamentalement, nous ne savons lire qu’une seule espèce d’espace. Nous ne comprenons l’espace géométrisé que s’il est lui-même univers et non pas élément dans une construction sociale plus complexe. Nous n’acceptons pas l’idée qu’il puisse exister un niveau social global qui serait antérieurs aux individus qui composent la comunauté, « tout » social en quelque sorte, mais nous ne voyons que des individus liés entre eux par un contrat » (CHOUQUER, 2000, p. 86). « L’espace médiéval ne parvenait à l’unité qu’en assumant la diversité de ses composantes. Il était syntagmatique, et son unité était plus dans la verticalité de ses beffrois et de ses cathédrales, que dans la régularité de son plan. L’espace classique devient paradigmatique, digérant ou masquant la dissemblance dans l’effet unificateur de la ligne et de la période. Alignement et périodicité. Voilà les maîtres mots de l’espace cartésien : la géométrie et le nombre » (CHOUQUER, 2000, p. 86).

    [89] « Il est certain aussi, mais on n’a guère étudié le fait pour lui-même, que la motte s’est volontiers installée non loin des routes pour contrôler des péages, des carrefours ou des franchissements de rivières » (DEBORD, 2000, p. 74-75).

    [90] « La géographie des châteaux médiévaux a donné lieu à des interprétations contradictoires. Il n’est pas douteux que beaucoup de leurs emplacements soient stratégiques, c’est-à-dire susceptibles de permettre le contrôle d’un passage ou la surveillance d’une frontière » (PITTE, 1986, p. 131).

    [91] « Opération qui, au moyen de méthodes géométriques ou statistiques, assigne une valeur à un élément en fonction des données de son environnement. » (FELICISIMO, trad. Maxime FORRIEZ, 1994, p. 217)

    [92] Microdem est un freeware développé par l’armée américaine. C’est sans doute un des logiciels les plus performants dans le domaine des M.N.T. Il permet entre autre de réaliser des coupes topographiques, de percevoir la visibilité à partir d’un point en faisant des films par exemple, de calculer une dimension fractale…

    [93] La conservion des données Vistapro en données Microdem a été réalisée dans ce mémoire par Philippe MARTIN.

    [94] Cela correspond aux chefs de corporation. Il y a vingt-quatre bannières, une par activité.

    [95] ou Corbeia nova

    [96] La paix de Dieu est un mouvement d’origine ecclésiastique (concile de Charroux, 989) qui interdit de piller les églises, de s’attaquer aux clercs non armés et d’arrêter ou de rançonner les vilains et les marchands.

    [97] C’est un mouvement qui consiste à rattacher directement les monastères à l’autorité du pape. L’évêque ne peut, théoriquement, plus intervenir sur le monastère exempté.

    [98] On appelle image raster toute image pixelisée.

    [99] Ce point permet de voir s’il y a des erreurs de distances entre les pixels. Ici, on a un modèle parfait : 0% d’erreurs.

    [100] Une image vectorielle est une image où chaque élément tangible se décompose en différents objets sélectionnables, et dans lesquels on peut « stocker » une information géographique.

    [101] C’est une plante dont les feuilles fournissent un bleu pastel.

    [102] Elle a été ramenée à Amiens par le chanoine de Picquigny, Warlon de SARTON, après avoir été pillée à Constantinople le 12 avril 1204.

    [103] Le douaire est un droit de l’épouse survivante sur les biens de son mari. La douairière est une veuve qui jouit d’un douaire.

    [104] Attention ! il ne l’est plus dans le cadre dit multifractal (MARTIN, 2004).

    [105] Un processus de Markov est un processus dont l'évolution future {XS : s > t ne dépend de son passé qu'à travers son état à l'instant t : ∀s > t, L(Xs|Xr : r ≤ t) = L(Xs|Xt) où L(Xs|Xt) désigne la loi de Xs sachant Xt. Cette définition signifie que, pour le futur, l'histoire du processus jusqu'à l'instant t est entièrement résumée par son état à l'instant t ; ou encore que le présent étant connu, le futur est indépendant du passé. Une chaîne de Markov est un processus de Markov pour lequel X et T sont finis ou dénombrables. Une chaîne de Markov est donc un processus à temps discret.

    [106] « Un tel recours au hasard évoque, inévitablement, toutes sortes d’inquiétudes quasi métaphysiques, mais nous n’allons pas nous en soucier. Cet essai n’invoque le hasard, tel que le calcul des probabilités nous apprend à le manipuler, que parce que c’est le seul modèle mathématique dont dispose celui qui cherche à saisir l’inconnu et l’incontrôlable. Ce modèle, fort heureusement, est à la fois extraordinairement puissant et bien commode » (MANDELBROT, 1975, p. 44).

    [107] Le moment est l’espace de temps limité, le plus souvent par rapport aux faits qui le caractérise et c’est un temps caractérisé par son contenu, c’est-à-dire le contexte historique, une époque particulière…

    [108] « Prédire n’est pas expliquer » (THOM) : est le titre d’un de ces ouvrages publié chez Eshel à Paris en 1991 qui souligne ce problème.

    [109] Le terme doit être associé à l’idée que le matériau utilisé n’est pas périssable.

    [110] Cela correspond à la croissance observée.

    [111] La possibilité de dépasser le XVe siècle n’est pas exclue, mais cela demanderait d’étendre l’étude à toute la France c’est-à-dire répertorier, cartographier, photographier et analyser tous les sites castraux connus du Xe au XXIe siècle.