Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

La succession sanglante de Clodomir (entre 524 et 531)

Date de publication : 07/10/2020

Ce fut très certainement l’un des événements les plus tragiques de l’histoire des Francs. C’est très certainement le plus connu. Bizarrement, il n’est pas daté. Grégoire de Tours, dans son Histoire des Francs, est l’unique auteur qui nous parle de cette étape dans la création du Regnum francorum.

Pour ceux qui ne connaissent pas, je résume l’histoire et le contexte géopolitique de l’époque. En 524, les fils de Clovis Ier, dont Clodomir (vers 495-524), voulaient conquérir le royaume des Burgondes. S’ils passaient leur temps à se combattre eux, ils savaient s’unir face à un péril ou un intérêt commun pour défendre l’héritage de leur père. Ces positions ont pu un peu dérouter les historiens, mais, d’un point de vue géopolitique, la logique est imparable.

On sait peu de chose sur Clodomir, mais il apparaît dans le texte de Grégoire de Tours comme le plus nerveux, le plus sanguin des quatre frères. Il le prouva le 25 juin 524 lors de la bataille de Vézeronce, durant laquelle il perdit la vie.

Il avait un royaume correspondant à un corridor avec pour centre la Loire, de l’Atlantique au Massif central, au nord de l’Aquitaine romaine, d’où le choix de sa capitale, Orléans. Au sud du royaume de Clodomir, deux territoires découpés dans l’ancienne Antique romaine : le royaume de Clotaire Ier et le royaume de Thierry Ier ; au nord, le royaume de Childebert Ier (Bretagne exclue) avec pour capitale Paris, et une petite frontière avec le cœur du royaume de Thierry Ier (qui avait pour capitale Reims). Juste pour être complet, autour de l’ancien territoire des Francs saliens, au nord, le centre du royaume de Clotaire Ier (qui avait pour capitale Soissons). Dans cette configuration, seul Clodomir et Thierry Ier avaient une frontière avec le royaume des Burgondes. Un autre détail important, à cet instant, le Regnum francorum n’avait aucun accès direct à la Méditerranée, et la conquête du royaume des Burgondes n’était qu’une étape pour y avoir accès : la Septimanie (en gros, le Languedoc actuel) appartenait aux Visigots, et la Provence aux Ostrogots.

Pourquoi l’accès à la Méditerranée était-il si important ? Simplement parce qu’il donnait la possibilité de commercer avec l’Empire romain d’Orient sans intermédiaire. Nous l’avions vu dans une série de posts que les Francs souhaitaient de devenir les héritiers de l’Empire romain. Clovis Ier fut reconnu consul des Gaules, par exemple, en 508. Pouvoir sécuriser les côtes de la Méditerranée était un projet vital pour avoir accès aux richesses de l’Empire, d’autant plus que, à cet instant, seul l’empereur disposait du droit de battre monnaie. C’était lui qui avait un stock d’or et d’argent très important. La conquête du royaume des Burgondes était un enjeu géostratégique capital pour les Francs, d’où l’impatience de Clodomir qui lui coûta la vie.

Le droit de succession des Francs obéissait, comme la plupart des droits tribaux, à une succession privilégiant le cadet. Les héritages s’effectuaient entre frères, puis entre les enfants du défunt dans un second temps. De fait, à leur majorité, en général, au moment de la puberté chez les Anciens, les enfants de Clodomir pouvaient revendiquer leur héritage.

Résumons. Si Clotaire, Thierry et Childebert pouvaient se partager le royaume d’Orléans, à leur majorité, les enfants mâles de Clodomir pouvaient revendiquer une partition de ce royaume. Même si les Francs étaient unis dans le partage du royaume de Clovis, d’un point de vue géopolitique, l’éclatement en micro-structures territoriales n’était pas souhaitable non plus.

L’éclatement était logiquement inévitable, car Clodomir avait eu trois fils avec sa femme Gondioque : Thibaut, Gonthaire et Clodoald. Leur mère avait probablement dû les abandonner, car, dès 524, Clotaire, qui avait des vues sur le royaume d’Orléans, se maria avec Gondioque. Je rappelle que le droit des femmes de pouvoir refuser un mariage n’est apparu qu’avec Childebert II (575-595/596) quelques années plus tard. Ce droit fut renforcé et acquis avec la version définitive du mariage chrétien aux XIIe-XIIIe siècles dans une cérémonie devant Dieu, dans laquelle la femme devait dire si elle acceptait son mariage, tradition reprise dans le mariage civil de la République.

C’était par conséquent leur grand-mère, Clotilde (vers 474/475-545), femme de Clovis Ier, qui s’occupait d’eux, vraisemblablement à Paris si l’on en croit Grégoire de Tours, donc au sein du royaume de Childebert.

Ce dernier s’en inquiéta. Il convoqua son frère Clotaire, et lui exposa son souci. Vraisemblablement, Clotilde voulait faire des enfants de Clodomir des rois, or les frères survivants voulaient se partager le royaume d’Orléans et le garder pour eux, ce qui était logique pour maintenir la stabilité de l’ensemble franc. Par l’intermédiaire d’Arcadius, il fut proposé à Clotilde : « Préfères-tu qu’ils soient tondus ou qu’ils soient morts ? ». Là, il faut faire une pause pour bien comprendre la question. Chez les Francs, la chevelure était un symbole de force, un symbole guerrier. Le fait de tondre quelqu’un revenait à en faire un homme du peuple, et non un potentiel souverain. C’est l’une des origines de la tonsure des moines... En gros, Arcadius proposait à Clotilde soit de faire des enfants de Clodomir des religieux, soit de les tuer.

Cette démarche permet également de rappeler que les sociétés germaniques, contrairement à une idée reçue, étaient matriarcales. À la mort de son mari, sa femme assurait le rôle d’autorité suprême sur le clan. Clotilde disposait de l’autorité morale sur ses fils. Rien ne pouvait se faire si elle manifestait son désaccord. Cela explique la puissance de Frédégonde et de Brunehaut quelques années plus tard (cf. post sur le sujet).

Vous imaginez bien que, d’après mon titre, la seconde solution fut retenue. Grégoire de Tours nous décrit de manière très détaillée la scène. C’est dire qu’elle avait dû marquer les esprits, puisque ce n’est pas un témoin direct des événements qu’il nous raconte. Clotaire égorgea Thibaut, mais, au moment de faire de même, Childebert hésita. Il semble avoir eu pitié de son très jeune neveu qui venait de voir son frère mourir. Clotaire, déterminé, rappela à Childebert que c’était son idée, et Childebert trouva la force de repousser Gonthaire vers Clotaire qui l’égorgea. Ils avaient dix et sept ans, nous écrit Grégoire de Tours. Vous me direz, et le troisième frère, Clodoald, qu’était-il devenu ? C’est en quelque sorte le frère le plus connu aujourd’hui, mieux que ses oncles en tout cas. Clodoald fut sauvé par des Leudes. Il échappa au massacre. Il fonda un monastère à Nogent-sur-Marne, qui porte aujourd’hui son nom, saint Cloud. Toute sa vie, Clodoald (vers 522-560), se tondit la tête pour bien montrer qu’il avait renoncé au pouvoir.

Ce fut un événement marquant, mais que se serait-il passé pour le monde des Francs si Clotaire et Childebert n’avaient pas tué leurs futurs ennemis ? Personne ne peut le dire. On peut penser que cette scène est particulièrement violente. En réalité, elle ne l’est pas plus que ne pouvaient l’être certains moments de l’histoire romaine. Par exemple, la mort de César, en public, d’une trentaine de coups de couteau n’était pas particulièrement douce. Auguste, fils adoptif de César, traqua le fils qu’il aurait eu avec Cléopâtre, et pas pour lui faire des câlins...

La mort des enfants de Clodomir était inévitable d’un point de vue géopolitique. Cela ne faisait pas des Francs des « bêtes sauvages », comme avait pu l’écrire au début du XXe siècle Ferdinand Lot, mais des individus extrêmement politisés et pragmatiques. J’aimerais qu’on est des hommes politiques aussi intelligents qu’eux aujourd’hui...

Par ailleurs, il faut se remettre une nouvelle fois dans le contexte de l’époque. L’installation des Francs, en Gaule, était encore fragile. Même s’ils avaient la « bénédiction » de l’empereur d’Orient, ils étaient en concurrence avec d’autres peuples germaniques puissants : les Visigots, les Ostrogots, les Saxons, les Angles, les Lombards, les Burgondes, les Alamans, etc. Ils étaient encore en mode « survie ». Ils devaient assurer leur descendance à tout prix ! Les massacres familiaux ne commencèrent à cesser qu’à partir du règne de Dagobert Ier au début du VIIe siècle, et ne s’arrêtèrent que dans le courant du XIXe siècle, voire au XXe siècle pour les derniers empires autoritaires d’Europe.

Maxime Forriez.

Commentaires :

Veuillez compléter tous les éléments du message !

Aucun commentaire n'a été formulé !