Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

La mort à Pompéi : la perception de la mort chez ses habitants

Date de publication : 15/10/2020

Ce post s’inscrit dans une série présentant le rapport à la mort dans une cité provinciale romaine.

Il résume les travaux de maîtrise de Maryvonne Leprêtre intitulé La mort à Pompéi. La voie des tombeaux (1999) sous la direction de J.-N. Corvisier. Sa problématique cherchait à répondre à trois questions. (1) Quelles sont les caractéristiques des nécropoles pompéiennes ? (2) Comment se définissent les tombes ? (3) Comment est perçue la mort à Pompéi ?

Pompéi est un arrêt sur image de la civilisation romaine du début du Ier siècle p.-C. Il s’agit d’un lieu rempli d’éléments du quotidien qu’archéologues et historiens décortiquent minutieusement depuis sa découverte. L’étude des nécropoles pompéiennes permet de comprendre le rapport à la mort des Romains du quotidien.

La mort, quelles que soient la période et la civilisation, c’est aussi une série de rites funéraires qui se résumaient en sept étapes. (1) On recueillait le dernier soupir du mourant en lui donnant le baiser suprême. À l’époque, on croyait que l’âme du défunt s’échappait du corps par la bouche au moment de sa mort. Cette vision fut reprise dans le film Harry Potter et le prisonnier d’Azkhaban. On expliquait que le baiser du détraqueur aspiré l’âme du condamné par sa bouche. (2) On appelait les parents, les proches : c’est le conclomatio. (3) On finissait par laver le corps de toutes ses souillures.

1.

L’introduction de la notion de souillures me permet de proposer une digression afin de bien comprendre ce dont il s’agit. Une souillure est une infraction au sacré, infraction nécessitant une purification. De fait, souillure s’oppose à pureté. En Grèce classique, il en existait deux types : l’agos et le miasma.

L’agos était une puissance surnaturelle qui paraissait dépourvue de référence à une divinité particulière. Il s’agissait d’une puissance ambiguë qui s’exerçait aussi bien dans un sens favorable que néfaste. La notion d’agos implique un parjure, un sacrilège (enageis), un violateur d’asile, etc. En ce sens, l’agos reste par conséquent intraduisible, et les notions de « malédiction » ou de « souillure » ne sont que des approximations. Une des particularités de l’agos est qu’il était transmissible héréditairement. Malgré son caractère indéfinissable, il se différencie du miasma (la souillure).

Le miasma est une notion d’origine préhistorique qui impliquait un obstacle aux rapports entre l’homme et le sacré. Était souillure ou souillant tout ce qui est « saleté », particulièrement tout ce qui sort du corps : sang, excréments, expectorations, etc. De fait, les occasions de souillure sont nombreuses : blessures, morts violentes, rapports sexuels, accouchements, etc. Par ailleurs, tout ce qui touche un miasma était à son tour souillé (miaros). Progressivement, se détachant de sa matérialité primitive, le miasma devint une notion métaphysique indéfinissable qui s’attachait à des phénomènes anormaux suscitant terreur ou émotion chez l’homme incapable d’en saisir les causes vraies.

Ainsi, pour approcher le sacré, comme dans le cas d’un décès, il fallait éliminer tout miasma et se rendre pur (katharos). En grec ancien, la purification s’exprimait par le terme, katharsis, et l’acte purificatoire, katharmata. Il existait deux types de purifications : la purification matérielle, telles que les ablutions, et la purification par des rituels magiques lorsqu’il s’agissait d’une souillure invisible et de nature inconnue. Toutefois, pour y parvenir, il fallait préalablement identifier le miasma. En général, on faisait appel à un oracle afin de connaître le mal et son remède. Si l’oracle ne trouvait pas ou si on ne pouvait faire appel à un oracle, on s’en remettait à Apollon, le dieu alexikakos (« qui écarte le mal »). Purement matérielles aux origines, les notions de souillure et de purification devaient s’élargir dans le sens de la faute et de sa réparation, et, par là, s’ouvrir une voie dans le domaine de la morale, ce qui firent plus tard les Chrétiens ou les Musulmans. Plus généralement, la souillure était ce qui contrevenait à un ordre de façon involontaire ou délibérée. La digression est finie.2.

Dans le cadre de notre troisième étape, le corps était huilé avec du cèdre, du miel ou de la myrrhe pour masquer les plaies qui étaient considérées comme des miasma. (4) On exposait le corps (la prothesis) pendant sept jours avec un parement d’étoffes précieuses. (5) L’incinération permettait de faire disparaître la forme éphémère de l’existence. Toutefois, avant la crémation, on placait dans la bouche du défunt une pièce de monnaie pour lui permettre de payer la traversée de la Styx sur la barque de Charon. Parallèlement à la crémation, on purifiait la famille en sacrifiant une truie à Cérès. L’incinération permettait à l’âme du défunt de retourner dans le ciel par la fumée. (6) On ramassait les « os blancs » non entièrement calcinées pour les recueillir à part et les déposer dans le tombeau (l’ekphora) : c’est cela que l’on appelait la mise au tombeau). (7) On conservait la trace du mort par le sêma (la stèle) pour retrouver la tombe le jour de la génésia (la fête des ancêtres).

Tous ces rites étaient ceux des Grecs. Leur présence à Pompéi n’a rien de surprenant, puisque la Campanie faisait partie de la Grande-Grèce (sud de l’Italie). L’hellénisation s’y était opérée dès le VIIe-VIe siècle a.-C.

Pour finir, Pompéi permet de s’interroger sur la perception de la mort chez les Romains par l’intermédiaire de deux éléments présents dans les tombes, leur architecture et leur décoration.

La perception de la mort à travers l’architecture de la tombe s’analyse par le fait que l’édifice est généralement de forme circulaire. Pour le comprendre, il faut savoir que le cercle était une forme géométrique liée à la mort, mais il s’agit également du symbole de l’infini. La forme de circulaire signifiait par conséquent que le mort atteignait progressivement l’immortalité

La perception de la mort à travers la décoration est plus subjective. À Pompéi, il existe trois grands thèmes : des animaux, des feuillages et la mer. La symbolique des animaux reste ce qu’il y a de plus connu. On trouvait sur les tombes des animaux marins comme des tritons, des dauphins, etc. Est-ce que une réminiscence mycénienne (cf. fresques de Cnossos) ? On peut visualiser également un lion infernal isolé, dévorant une proie animale, qui symbolisait la force et la vigilance ; il se matérialisait comme un gardien de la tombe. Pour finir, il y a de nombreux serpents. Ils symbolisaient l’immortalité. C’étaient des messagers glissants entre les vivants et les morts.

La présence des feuillages était liée à la croyance que la puissance des morts se retrouvait dans les végétaux (lauriers, lierres, raisin). Le raisin était doublement important à Pompéi. C’était lié à la région viticole dans laquelle faisait partie Pompéi. À cela s’ajoutait le fait que le raisin sert à fabriquer du vin, vin qui était le breuvage de l’immortalité (celui de Dionysos), dont l’ivresse conduisait à l’érotisme.

La mer est également une représentation classique. Lorsqu’elle est déchaînée, elle symbolisait la mort. Dans ce cas, la mort était une délivrance. Dans la symbolique, le point de contact entre la vie et la mort était le port. Ainsi, la terre perçue comme calme conduisait à une mort sereine, tandis que la mer était le symbole d’une vie périlleuse. Par ailleurs, une raison plus simple explique la présence de la mer dans les décorations. Pompéi était une ville portuaire à l’époque romaine, statut remis en cause par l’éruption du Vésuve, et le retrait de la mer plus au large.

Voilà, le moins que l’on puisse dire est que la mort était perçue de manière moins tragique qu’aujourd’hui, et qu’elle était profondément respectée chez les Romains. La célébration de la mort d’un proche donnait à des fêtes, tout l’opposé de ce qu’elle devint lors des temps chrétiens au Moyen Âge, qui prônaient une certaine forme d’oubli.

Il ne restera plus qu’un court post qui servira de conclusion.

Maxime Forriez.

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