Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

La sigillographie

Date de publication : 09/05/2021

Dernière science annexe de l’histoire, il s’agit ici de présenter l’étude des sceaux. Étant dans l’une des régions avec le plus de sceaux conservés, le Nord de la France, il m’est impossible de faire l’impasse sur cette discipline.

Selon Auguste Coulon (1869-1956), un sceau est une « empreinte sur une matière plastique, le plus souvent en cires, d’images ou de caractères gravés sur un corps dur (métal ou pierre) plus spécialement désigné sous le nom de matrice et généralement employée comme signe personnel d’autorité et de propriétés ». Cela étant, le sceau est un matériau qui a souvent été négligé par les historiens, car nombreux d’entre eux les jugent comme étant des images stéréotypées avec des inscriptions trop laconiques pour être étudiées.

Pourtant, les sceaux sont anciens ; ils sont même antérieurs à l’écriture. Les premiers ont été découverts en Mésopotamie et datent de 3000 a.-C. Ce sont les célèbres sceaux-cylindres mésopotamiens que l’on faisait avec de l’argile afin de marque de propriété. Dans l’Égypte ancienne, des bijoux en forme de scarabée étaient utilisés pour imprimer des boulettes d’argiles collées au papyrus. La Bible fait fréquemment allusion à l’usage de sceller les documents. Les Grecs et les Romains portaient des anneaux sigillaires. Dans la Rome antique, le sceau faisait en quelque sorte double emploi avec la signature.

Selon les époques, ils ont différentes fonctions. Les principales sont l’authentification et le symbole d’une propriété ou d’une origine. Ils ont également une fonction plus pratique : ils servent à garantir l’intégrité et le secret d’un texte. Au Moyen Âge, la fonction d’authentification prédomine. Il s’agit d’un signe de validation solennel conférant à l’acte au bas duquel il est opposé l’autorité du sigillant, le détenteur du sceau. Son importance est telle que tout acte non scellé est suspect.

Pendant le Moyen Âge, l’usage des sceaux privés eut tendance à se perdre. Jusqu’au milieu du Xe siècle, le droit de sceller les actes demeurait un acte régalien, au sens propre du terme, c’est-à-dire un droit réservé au seul souverain, ou à son représentant. Au Xe siècle, quelques grands prélats allemands s’arrogèrent ce droit. Au XIe siècle, les grands princes de la France du Nord (duc de Normandie, comte d’Anjou, etc.) firent de même. Progressivement, au cours des XIIe-XIIIe siècles, l’usage des sceaux se diffusa largement dans toutes les classes sociales, y compris chez les paysans. La population n’étant pas lettrée, le sceau remplaçait la signature. Le développement du notariat dans le pays de droit écrit entraîna la substitution progressive du seing notarial au sceau privé tandis que, dans les pays de droit coutumier, le sceau demeurait le mode de validation privilégié des actes courants. Au XVe siècle, l’emploi du sceau privé était si répandu qu’il n’avait pas plus d’autorité qu’une simple signature, à l’exception des « grands sceaux » ou « sceaux authentiques » qui firent toujours l’objet d’une concession spéciale.

À l’époque moderne, les progrès de l’écrit et le développement du notariat firent reculer la pratique du scellement. À partir du XVIIe siècle, seuls les souverains, les prélats et quelques personnes morales (villes, abbayes, institutions…) continuèrent de sceller les actes officiels. Le sceau retrouva un peu de sa superbe. Jusqu’au début du XXe siècle, les particuliers se servaient pour leur correspondance d’un simple cachet dépourvu de valeur juridique. De nos jours, le sceau ne sert plus qu’aux scellés judiciaires et pour sceller les actes les plus solennels de l’État.

D’un point de vue technique, la sigillographie étudie aussi bien les matrices, c’est-à-dire le matériau dur gravé en creux permettant d’apposer le sceau, que les sceaux en eux-mêmes, la manière tendre qui conserve l’empreinte.

Le sceau-matrice

Au Moyen Âge, on a recensé une douzaine de matériaux différents employés pour graver la matrice d’un sceau. Certains sont gravés dans des matériaux rares. Le plus rare est certainement le fer, qui rouille. L’or est employé uniquement dans un cadre prestigieux, pour montrer sa puissance. De telles matrices ont existé ; elles sont citées dans les sources. Néanmoins, à la mort du possesseur, elles sont fondues. Par exemple, Charles le Téméraire perdit ses matrices en or après sa défaite et sa mort à Nancy en 1477. Il en va de même pour l’argent. Les sceaux en majesté des Capétiens étaient en alliage d’argent dont la solidité permettait de sceller des milliers d’actes émis chaque année par la chancellerie royale. Par exemple, il semble que Philippe le Bel (1285-1314) eût utilisé la même matrice pendant ses trente ans de règne. D’autres matrices étaient en ivoires, comme celle de Foulques, évêque d’Amiens entre 1036 et 1058. Des pierres précieuses pouvaient également être utilisées. Mis à part ces cas exceptionnels, la plupart des matrices médiévales étaient en bronze, en cuivre ou en laiton, voire chez les plus modestes, en étain ou en plomb.

Les formes des matrices ont varié en fonction des époques. En Occident, les plus répandues sont les matrices plates et les matrices présentant au dos un appendice conique ou pyramidal. Les matrices plates sont les plus anciennes ; elles restent les plus nombreuses jusqu’au XIVe siècle. Les seconds prirent leur essor à partir du XVe siècle.

Au XIe siècle, le sceau annulaire de l’Antiquité tardive fut remplacé par une matrice de type « fer à repasser ». Il s’agit d’une semelle et d’un anneau, ou d’une pièce extérieure qui permet de manipuler le sceau.

Les dimensions de sceau dépendaient de la situation sociale du sigillant. Certains Grands disposaient de plusieurs sceaux de taille différente qu’ils utilisaient en fonction de leur usage. Parmi les usages les plus courants, il y avait le grand sceau de chancellerie, les sceaux armoriaux, le petit sceau de secret et le signet. On sait, par exemple, que le duc de Bretagne Jean IV utilisa 19 sceaux ; plus modeste, Jean V en utilisa 14.

Rapidement, les matrices de type « fer à repasser » posèrent des problèmes de falsification. En effet, la face nue de l’empreinte pouvait être modifiée. Pour y remédier, le revers fut également marqué d’un contre-sceau. Son usage eut un tel succès que des matrices articulées de type « moule à gaufre » apparurent.

Il est important de comprendre que la fabrication des matrices était onéreuse. De fait, un enfant récupérait souvent le sceau de son père en se contentant de changer la légende. Par ailleurs, pour limiter les coûts, il existait des matrices normalisés avec les symboles les plus courants (fleur de lis, étoile, etc.) sur lesquelles l’acheteur n’avait plus qu’à faire graver sa légende.

Le sceau empreinte

Contrairement à une idée reçue, notamment dans les films, la matière malléable du sceau, qualifiée de « plastique », n’est pas forcément de la cire.

Certains sceaux sont en métal. Ce sont des bulles. Deux d’entre elles sont les plus connues : la bulle en plomb de la papauté ; le chrysobulle (en or) des empereurs d’Occident ou d’Orient.

Les sceaux en cire sont généralement un mélange de résine, de poix, de craie et d’un colorant. Comme en héraldique, le symbolisme des couleurs était très important. Par exemple, au niveau de la chancellerie capétienne, les charges perpétuelles avaient des sceaux de couleur verte (symbole de l’éternité) ; les documents transitoires, en jaune ; les documents secrets, en rouge. C’est ce dernier sceau que l’on voit dans la plupart des films historiques relatant l’histoire de France. Il s’agit d’un petit sceau utilisé à partir de Louis XI.

La fragilité de la cire impose de protéger le sceau par un vernis ou une boîte en bois (puis en métal). Au XVe siècle, la cire était soudée à chaud sur le papier lors du scellement afin de renforcer la solidité du sceau. Du fait de cette fragilité, la conservation des sceaux est un casse-tête. Même s’il existe des techniques de restauration, les archivistes préfèrent conserver l’original le plus longtemps possible.

Les techniques d’apposition du sceau ont également évolué dans le temps. Jusqu’au XIe siècle, les sceaux étaient plaqués. Une fissure en croix dans le parchemin était opérée afin de river de chaque côté les boulettes de cire sur lesquelles l’empreinte est gravée à chaud. À partir de Louis VII, en France, les sceaux pendants apparurent. Une cordelette de chanvre ou de soie (lacs) était passée dans une fente pratiquée à la base du parchemin, et les deux extrémités sont soudées par le sceau. L’objectif de cette technique est d’éviter que les sceaux ne se brisassent facilement. Pour finir, les sceaux jaunes et la plupart des sceaux privés se présentent comme des sceaux sur queue pendante. Des bandelettes de parchemin utilisées de la même manière que les « lacs » étaient utilisées. En général, on les découpait à la base du parchemin en autant de bandes qu’il fallait de sceaux. De fait, il existe des actes à double ou simple queue de parchemin.

La forme des empreintes sigillaires dépendait en général du sigillant. Avant le XIe siècle, les sceaux étaient de forme ronde ou ovale en raison des anneaux sigillaires. Avec l’usage des matrices de type « fer à repasser ». La forme fournit une indication sur le signataire. La forme ronde était utilisée par les rois et les seigneurs. Les sceaux « en navette », c’est-à-dire en forme d’amande, étaient utilisées par les ecclésiastiques et les femmes. Le souci est qu’il s’agit d’un usage non systématique. Par exemple, la forme en navette facilite la représentation des personnages en pied. Les sigillographes ont recensé environ une vingtaine de formes d’empreintes différentes. Les formes varient également en fonction des régions.

En quoi les sceaux sont-ils des documents historiques ? L’étude de leur quantité permet de fournir des chiffres dans le domaine de l’histoire politique. En France, cela permet d’étudier la diffusion du sceau royal dans les provinces. Leur étude permet de mettre en évidence l’activité croissante de la chancellerie. En histoire économique, l’analyse de la cire permet d’en connaître son origine : Russie, Espagne, Afrique du Nord. La cire la plus connue était celle de la ville de Bougie au Maghreb. En histoire de l’environnement, la composition chimique du sceau permet d’avoir une idée de la végétation médiévale. Bref, les sceaux permettent toutes sortes d’approches sérielles.

Bien entendu, les sceaux sont classés et recensés régulièrement. En général, leurs typologies reposent sur les motifs gravés dans la matière plastique. Le motif permet d’étudier l’histoire de la mode. Par exemple, les sceaux féminins de 1290 à 1300 permettaient de suivre avec précision les progrès de la mode du hanchement des dames du XIIIe siècle. Plus largement, les sceaux renseignent sur l’histoire des civilisations : iconographie, architecture, équipement militaire, etc.

Le sceau est précieux pour dater un document de manière très fiable, puisqu’ils ne peuvent être postérieurs aux documents qui les portent. La fourchette chronologique entre la date de réalisation de la matrice et la date du scellement d’un acte ne dépasse rarement une décennie, car un individu changeait en moyenne de sceau trois ou quatre fois dans sa vie active.

La légende du sceau

En plus du figuré, il y a, en général, une légende sur le sceau, dont l’interprétation est du ressort de la philologie. L’inscription était rarement gravée en taille directe dans le flan de la matrice. Les lettres étaient poinçonnées une à une à l’envers. De fait, les erreurs, les oublis et les inversions de lettres sont fréquentes. La légende peut aussi se poursuivre dans le figuré si le graveur a mal estimé les espaces. Bien entendu, le recours aux abréviations étaient fréquentes, vu la petite surface d’un sceau. En général, le sceau se lit en haut et une croisette indique le début de l’inscription. Pour finir, sa lecture demande des connaissances en paléographie.

Jusqu’à la fin du XIIe siècle, les légendes étaient toujours en latin. À partir du XIIe siècle, la langue vulgaire fut introduite pour les noms propres, puis pour l’ensemble de la formule. Cette formule indique la titulature ou la fonction du détenteur du sceau. Il est à noter qu’il fallut attendre Louis XIII pour que la traduction française se substitue à la légende latine.

Voilà, vous savez à peu près tout ce qu’il faut savoir sur les sceaux. Je ferai un autre post sur l’étude des figurés au Moyen Âge. En attendant, malgré leur côté désuet, les sceaux restent d’usage dans les offices notariaux. Rien que pour cela, avoir deux ou trois éléments sur leur histoire et fabrication peut être utile.

Maxime Forriez.

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