Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

La sigillographie médiévale en France

Date de publication : 09/05/2021

Parlons peu, parlons chiffres, selon Michel Pastoureau, ci-dessous vous avez le nombre des sceaux médiévaux conservés. Malheureusement, concernant les matrices, moins de 1 % d’entre elles en usage en Occident entre les Xe et XVe siècles nous sont parvenues. Comme nous l’avons vu dans le post sur la sigillographie, la plupart étaient détruites à la mort de leur propriétaire. Par exemple, les matrices des rois de France étaient brisées à leur décès, et le métal revenait à l’abbaye de La Saussaye-près-Villejuif (dans les Hauts-de-Seine aujourd’hui).

Nombre de sceaux en France entre 950 et 1550

L’intérêt de l’étude des sceaux pour le médiéviste

Comme nous l’avons vu dans le précédent post, le sceau est un document d’identification qui confère une validité juridique à un document.

Les sceaux sont à la fois des documents écrits et des documents de représentation (armoiries, symboles religieux, institutions, etc.). En histoire, ils permettent de comprendre l’histoire de l’art et des mentalités. Ce sont des documents objectifs. L’ensemble des éléments permettent d’identifier un personnage et sa fonction. Comme nous l’avons vu dans le post sur la sigillographie, un sceau permet de dater précisément un document. Nous pouvons aller beaucoup plus loin. Leur étude permet d’établir des généalogies entières. Le lieu de leur découverte permet d’étudier les transports, et, par extension, la vie économique à travers les voies de communication. Les sceaux ouvrent la possibilité d’étudier l’imaginaire, les mentalités qui l’ont imaginé. Quels sont les symboles d’une ville ? d’un prince ? des seigneurs ? des métiers ?

Historiquement, la période d’apparition des sceaux en Occident, le XIe siècle, n’est pas le fruit du hasard. C’est le moment de l’incastellamento, donc de l’hyper-décentralisation du pouvoir, éclaté en principautés, elles-mêmes éclatées en une multitude de seigneuries. Dans ce contexte, le sceau devint un signe de bataille.

La typologie des motifs

Le type d’un sceau désigne l’image visible. Il faut apprendre le symbolisme médiéval pour pouvoir bien la décrypter. Contrairement aux monnaies, la mode jouait un rôle important dans le choix du décor. Toutefois, la tradition influence davantage le détenteur du sceau dans le sens qu’il entend donner à la représentation de son sceau.

Commençons par donner quelques éléments sur les sceaux royaux. Les rois mérovingiens se représentait avec des cheveux longs, symbole de la force, dans une posture impériale, montrant qu’ils étaient les héritiers de l’Empire romain d’Occident. Les Carolingiens adoptèrent des sceaux beaucoup plus antiques, dans l’esprit de ce que l’on a appelé la renaissance carolingienne. Charlemagne lança la mode de l’usage de la tête de Jupiter Sérapis. Toutefois, ils pouvaient simplement se représenter eux-mêmes en profil avec un diadème en lauriers. Le sceau de Lothaire, roi de Francie occidentale de 954 à 986, lança le « type en majesté » : le roi est représenté à mi-corps, de face, couronné avec sceptre et bâton de couronnement. En Francie orientale, ce fut Henri Ier qui le fit avec un sceau dans lequel il apparaît en majesté sur un acte de 1035. En France, cette représentation perdura jusqu’au règne de Charles X entre 1824 et 1830. Le type en majesté insistait sur l’aspect judiciaire de la fonction royale, laissant de côté son aspect guerrier. Le roi trône toujours de face, en tunique avec un manteau arborant la fleur de lis. Il peut être muni d’une couronne, d’un sceptre, d’un globe, d’une main de justice, etc.

Voyons maintenant les différents types de sceaux concernant les personnes physiques. (1) Les sceaux équestres appartiennent à un vassal devant à son seigneur (suzerain) le service à cheval. Le premier conservé est celui de Geoffroy Martel, comte d’Anjou (vers 1050). Ce type de sceau est purement militaire. Le guerrier est figuré en profil dans sa tenue de combat portant ses armes (écu, épée et lance). Il existe des spécificités régionales. En France, le cheval est plutôt orienté vers la droite, tandis que, dans le Saint Empire romain germanique, il est plutôt à gauche. Du fait de son origine antique et aristocratique, à l’origine, cette représentation était réservée aux princes. Progressivement, elle perdit ce statut. Au XIIe siècle, tous les chefs de guerre et les détenteurs de fiefs pouvaient en jouir. Dans la première moitié du XIIIe siècle, ce fut le tour des simples chevaliers. Néanmoins, ce fut un phénomène de mode ; à la fin du Moyen Âge, seuls les grands seigneurs en conservaient l’usage. Dans un genre différent, les jeunes nobles non adoubés et les dames nobles au XIIIe siècle adoptaient souvent un sceau équestre les représentant à la chasse. On y figurait un cor, un chien, un faucon, mais rarement des armes. Par la suite, les deux types équestres se mélangèrent dans le sens où chacun pouvait être le contre-sceau de l’autre (cf. post sur la sigillographie). (2) Les sceaux en pied étaient adoptés par les grands seigneurs et les princes. Il s’agissait d’une réaction à la popularisation du sceau équestre. C’était pour eux un moyen de rappeler leur rang, mais il avait en plus l’avantage d’être proche du sceau en majesté des souverains. Vers 1200, les sceaux en pieds montraient surtout des cavaliers démontés en armes. Au XIVe siècle, ils montraient un seigneur présentant ses armoiries, sans attitude guerrière. Du côté des dames, elles se faisaient représenter debout tenant des fleurs ou un faucon, puis avec leur écu familial et celui de leur mari. Du fait de sa neutralité, la plupart des ecclésiastiques choisirent le type pédestre soit en représentant le prélat avec ses attributs sacerdotaux (mitre, crosse, etc.), soit, à partir du XIVe siècle, représentant le saint patron de l’ecclésiastique face auquel il s’agenouillait à ses pieds dans l’angle inférieur. (3) Les sceaux armoriaux représentent les deux tiers des sceaux conservés, d’où le lien entre la sigillographie et l’héraldique (cf. post spécifique pour plus d’informations). C’étaient des sceaux populaires : toutes les catégories sociales pouvaient en avoir un de ce type. (4) Les sceaux des artisans ou des paysans sont fréquents. Les premiers datent du XIIe siècle en Normandie. Nous l’avons vu dans le post sur la sigillographie, les matrices étant onéreux, ils optaient pour des matrices en plomb et choisissaient un objet évoquant leur profession, comme le marteau pour un forgeron. Il y avait aussi des sceaux parlants dont le symbole renvoyait au détenteur grâce à un rébus. Par exemple, Jean Cappon était représenté par trois coqs, jouant sur le mot « chapon » signifiant « coq ». Jean l’Enfant avait un sceau représentant un nouveau-né dans un berceau...

Pour finir, il faut évoquer les sceaux des personnes morales. En effet, les sceaux des institutions permanentes, telles que les communes ou les corps de métier, ont l’avantage de pouvoir fournir les matrices. (1) Les sceaux des communautés religieuse (chapitres, abbayes, hôpitaux, universités) sont, bien entendu, généralement du type hagiographique en pied. Le saint patron de la communauté est figuré au milieu d’un décor architectural de plus en plus complexe. (2) Les sceaux de villes adoptèrent une iconographie très variée. La plus ancienne empreinte connue est celle de Tournai, datant de 1163. Il y avait pèle-mêle le type armorial (villes du nord), le type hagiographique (Metz avec la lapidation de saint Étienne), le type naval (Paris, Nantes), précieux pour connaître l’évolution des techniques de navigation au Moyen Âge, le type municipal, le type topographique et le type monumental. Revenons un peu plus en détail sur ces trois derniers. Le type municipal représentait soit le maire et le corps municipal dans une attitude pacifique, soit les bourgeois en armes, soit les remparts de la ville, symbole de la liberté communale acquise sur l’ancien seigneur. Les types topographique et monumental sont plus difficiles à analyser dans le sens où il renvoie souvent à un symbolisme que la plupart des spécialistes ont du mal à cerner. (3) Les sceaux des métiers sont assez rares en France. La Flandre et l’Artois représentent la majorité des sceaux conservés, du fait de leur ancien rattachement aux Pays-Bas. La figuration est simple : ce sont les outils spécifiques des métiers, mais elle peut également renvoyer au saint patron de la confrérie, donc être de type hagiographique. Saint Nicolas était le symbole des marchands aux Pays-Bas et en Lorraine.

Maintenant, vous savez à peu près tout sur les sceaux. L’illustration des sceaux au Moyen Âge reste la meilleure pour bien comprendre les enjeux spécifiques de la sigillographie. Les sceaux restent difficiles d’accès, mais vous pouvez toujours demander à vos archives départementales ou régionales respectives s’il est possible de vous montrer leurs trésors. J’ai eu la chance de voir ceux des archives du Pas-de-Calais à Dainville lors de ma licence d’histoire en 2003-2004. Si vous êtes sensible à ce genre de documents, ça reste très émouvant de voir une chose si fragile dans un parfait état de conservation malgré les deux guerres mondiales qui frappèrent Arras. Vive les sceaux ! Ce n’est pas sot de les étudier ! [Désolé, le jeu de mots était trop tentant.]

Maxime Forriez.

Commentaires :

Veuillez compléter tous les éléments du message !

Aucun commentaire n'a été formulé !