Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

La territorialisation du droit, une révolution datant de...

Date de publication : 15/11/2021

Aujourd’hui, un hommage à Charles II le Chauve (823-877), fils de Louis Ier le Pieux (778-840), petit-fils de Charlemagne (742/747/748-814) !

On connaît surtout Charles II le Chauve, roi de la Francia occidentalis de 843 à 877 pour le capitulaire de Quierzy(-sur-Oise) du 16 juin 877 qui permettait aux aristocrates de transmettre à leurs enfants leurs charges publiques. Il fallut attendre la Révolution française de 1789 pour révoquer ce texte, fondateur de la future noblesse française, en inventant les fonctionnaires obtenant leur poste par un concours, par leur talent. Vous savez ces personnes que nos candidats à la présidence de la République méprisent si souvent. J’avoue, je digresse, reprenons.

Pourtant, il prit un capitulaire beaucoup plus important, car celui-ci est toujours un des piliers du droit contemporain. Le capitulaire de Pîtres du 25 juin 864 posait les fondements du droit territorial, donc de la souveraineté, apparue au XIVe siècle, donc de l’État westphalien datant de 1648. On peut par conséquent affirmer haut et fort que ce capitulaire a eu un impact sur la très longue durée, et pourtant, je n’ai appris son existence que très récemment en peaufinant et en actualisant mes notes sur l’histoire carolingienne. Ainsi, même pour les historiens spécialisés, il ne semble pas si important que cela.

Avant de parler du capitulaire en lui-même, parlons un peu de ce roi carolingien méconnu par le grand public, sauf si on sait qu’il participa au partage de Verdun. Il est important de rappeler que la France n’existait pas encore et qu’elle était toujours intégrée dans le vaste empire de Charlemagne, qui commençait à craqueler au niveau de ses marches, notamment de l’est. Tout ça pour dire que le capitulaire de Charles II n’avait pas forcément un avenir dans un monde si mouvant.

Rappelons également que les capitulaires étaient des textes synthétisant de grandes réunions, les conciles, réunissant aussi bien les prélats que les grands aristocrates de Francia occidentalis, ou plus exactement, car les fidélités étaient très mouvantes, ceux qui reconnaissait le roi Charles II. Ainsi, le contenu du capitulaire, que vous trouverez facilement sur wikipédia, un ensemble de mesures hétéroclites. La principale mesure reste le dépeçage du royaume d’Aquitaine et son intégration définitive à la Francia occidentalis. C’est par conséquent dans cette liste de mesures que figure la plus importante pour la suite de l’histoire européenne, la territorialisation du droit.

Jusqu’au capitulaire de Pîtres, et bien après le temps de faire accepter la nouvelle coutume, le droit était personnel, c’est-à-dire que l’on était jugé en fonction de son origine territorial. Prenons un exemple contemporain que nous offre l’actualité pour bien comprendre ce dont il s’agit. Imaginez : un Saoudien se fait arrêter en France, mais demande à se faire juger selon les règles de la charia. Je pense que les juges rigoleraient bien de sa requête. Pourtant, au temps des Francs, c’était possible. Vous étiez burgonde du IXe siècle, votre royaume avait beau avoir été intégré par les fils de Clovis au VIe siècle à l’ensemble franc ; vous pouviez demander à être jugé selon les lois burgondes. C’était bien pratique pour échapper à la justice, car le droit franc pouvait condamner un crime, non condamnable par le droit burgonde ! Bref, obtenir justice au milieu du IXe siècle était devenu très compliqué. Les hommes de lois devaient connaître, généralement par cœur, tous les droits accumulés par les différentes conquêtes franques, sans oublier que Charlemagne avait produit lui-même un nombre impressionnant de capitulaires.

Charles II mit à terme à ce bazar, du moins il essaya, il lança une idée. Il décida que tout habitant de la Francia occidentalis devait être jugé selon les lois de la Francia occidentalis. Géographiquement, il inventa la notion de limite territoriale du droit, ce qui, en soi, était une révolution, car même les Romains distinguaient des droits différents en fonction des différents peuples soumis. Vous comprenez pourquoi ce choix fut décisif dans la création très progressif des États de droit modernes, notamment les États centralisés comme la France. Pourtant, ce capitulaire fait partie des grands oublis des manuels d’histoire et de géographie, car il a bien eu un impact aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Il ne faut pas mentir. Le capitulaire de Pîtres eut sans doute peu d’impacts à une époque où les Normands ravageaient les côtes de la Francia occidentalis, d’autant plus qu’il fut rédigé quelques années avant la mort de Charles II le Chauve. Toutefois, il ne mérite pas d’être occulté, car il prit tout de même une mesure juridique drastique et révolutionnaire qui finirait par s’imposer partout dans le monde. Aujourd’hui, la territorialité du droit figure dans toutes les Constitutions modernes, et on le doit à qui ? À Charles II le Chauve, un homme qui naquit à Francfort, et qui régna sur le royaume de Francia occidentalis, la future France.

Maxime Forriez.

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