Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

Homère et l’histoire, le monde d’Homère

Date de publication : 12/01/2022

L’Iliade et l’Odyssée sont de longs poèmes écrits au VIIIe siècle a.-C. L’Iliade possède 15 000 vers. L’œuvre raconte la guerre de Troie entre les Achéens (c’est-à-dire les Grecs) et les Troyens. Elle est construite autour des deux colères d’Achille. L’Odyssée est un peu plus court avec 12 000 vers. Il raconte le retour d’Ulysse, roi d’Ithaque, chez lui. Ce n’est plus vraiment une œuvre strictement narrative aux allures historiques, mais une œuvre dans laquelle le fantastique prend une place beaucoup plus importante.

On attribue les deux poèmes à Homère (VIIIe siècle a.-C.) un aède (poète), aveugle, dit-on, originaire d’Asie Mineure, comme le prouve le dialecte ionique dans lequel les deux poèmes sont initialement écrits.

Une grande question demeure sans réponse. Est-ce une source historique ou est-ce un récit mythologique ? Pour clarifier les deux approches, il convient de les définir. L’histoire est l’ensemble des connaissances relatives à l’évolution, au passé, de l’humanité ; c’est à la fois une science et une méthode permettant d’acquérir et de transmettre ces connaissances. Par opposition, un mythe est un récit imagé, souvent considéré comme archaïque. Quel est le monde décrit par Homère dans ces deux poèmes ? Le monde d’Homère est-il historique ou mythique ?

Dans un premier temps, il faut expliquer en quoi le monde d’Homère est une écriture déformée de l’Histoire. Dans un deuxième temps, il faut bien mettre en avant le fait religieux au sein de son œuvre. Pour finir, dans un troisième temps, il est possible de proposer différentes interprétations du monde d’Homère.

L’écriture déformée de l’histoire

La raison principale de cette écriture déformée de l’histoire est que les textes d’Homère sont issus de la tradition orale. Il repose sur une mémoire collective qui a tendance à oublier certains événements au fil de temps. Les lacunes de l’histoire sont alors comblées, ici par les aèdes qui inventèrent ou adaptèrent l’histoire principale. Ce processus d’écriture aboutit inexorablement à une déformation de l’histoire originale. Par ailleurs, la théorie des analystes montre qu’il existe un « phénomène de collage » dans les textes d’Homère. Elle démontre que les deux poèmes contenaient plusieurs couches d’écriture. Toutefois, il demeure difficile de les dater.

L’aventure de Henry Schliemann décrite dans un post précédent, montra que l’archéologie permettait de découvrir une part de vrai dans les histoires d’Homère. Il faut avoir conscience que les Grecs eux-mêmes avaient des positions très différentes quant à leur lecture des poèmes. Pour Hérodote, ce n’était que des « fables ». Pour Thucydide, Homère était un contemporain de la guerre de Troie, mais exerçant son esprit critique, il en livrait une histoire déformée. Ératosthène opéra une critique de la géographie décrite dans l’Odyssée et de la date de la guerre de Troie. Selon Homère, elle aurait eu lieu en 1260 a.-C., tandis que, selon Ératosthène, la date serait 1184 a.-C. Bref, l’unique chose dont nous sommes certains, est que les Grecs avait une position très divisée concernant la véracité historique de l’œuvre d’Homère. De manière plus récente, l’abbé d’Aubignac écrivit Considérations académiques sur l’Iliade (1715) dans lesquelles il critiquait la véracité des poèmes et le fait que l’on les considérait comme sources historiques. Pour le philologue Friedrich August Wolf, dans Prolegomena ad Homerum (1795), il s’agissait de poèmes courts indépendants sans caractère historique. Toutes ces positions furent bouleversées par la découverte de Henry Schliemann. En 1871, il trouva la ville de Troie. Selon les fouilles effectuées, il put déterminer que la ville appartenait à la civilisation mycénienne. De fait, le « monde d’Homère » était identifié : c’était le « monde mycénien ». Les deux poèmes sont des « chroniques » de cette civilisation méconnue. Moses I. Finley dans Le monde d’Ulysse (1954), démontra que « la société décrite dans les poèmes a existé dans les siècles qui ont suivi la chute du monde mycénien, mais précédé la civilisation grecque des cités ».

Aujourd’hui, la majeure partie des spécialités opte pour la théorie des trois mondes. Cette approche présente l’avantage de dépasser les paradoxes des théories antérieures, mais présente un autre problème, celui d’être trop englobante. Le premier monde décrit par Homère est le monde mycénien du IIe millénaire a.-C. sous la forme de réminiscences. Pour l’illustrer, il est possible de proposer deux exemples appuyés par les découvertes archéologiques : le casque à dents de sangliers de Mérion (un guerrier achéen) et le « bouclier-tour ». Le deuxième monde présent dans l’œuvre d’Homère est celui des Âges obscurs. Pour ceux qui ignorent ce qu’ils sont, il faut rappeler que, entre 1200 et 800 a.-C., il n’existe aucune source historique ou archéologique, du moins en nombre significatif, permettant d’écrire l’histoire de la péninsule grecque. Homère peut alors décrire la vie politique de cette période inconnue. Il semble alors qu’un « roi homérique » dirigeait un territoire autour d’une communauté politique et exerçait une autorité directe sur ses sujets. Le troisième monde possible est tout simplement la période archaïque (800-600 a.-C.) de la péninsule grecque. Homère décrit Mycènes ou Tirynthe telles que les villes devaient se présenter à cette période. L’archéologie confirme l’existence du mur de Mycènes décrit par Homère au VIIIe siècle a.-C.

Les deux poèmes d’Homère sont de fait un mixage d’histoires et de mythes, car, comme l’écrivait Jean Delorme, « Homère cherche d’abord à plaire, non à instruire ». Pour Pierre Vidal-Nacquet, « il n’y a pas de récit homérique. Il y a un texte homérique ». C’est pour cela qu’Homère insiste sur les faits religieux.

L’importance du fait religieux

La perception du temps dans les deux poèmes d’Homère prouve qu’il s’agit d’une œuvre non historique. Dans l’œuvre, il est souvent fait mention d’une durée de « dix ans », ce qui est davantage un symbole qu’une véritable durée. Il s’agit pour l’auteur d’insister sur un événement qui dura longtemps. Ainsi, le texte d’Homère est caractérisé par son atemporalité, ce qui est l’une des caractéristiques d’un mythe. Par exemple, en 1981, il y eut une animation japonaise, Ulysse 31, reprenant les histoires de l’Iliade et de l’Odyssée dans une histoire de science-fiction futuriste se passant au XXXIe siècle.

L’importance du fantastique permet de mettre en avant la religion et les mythes achéens. D’abord, les dieux sont omniprésents, et interviennent dans la vie de tous les jours. Par exemple, ils décident que la guerre durerait à la faveur des Troyens jusqu’à la mort de Patrocle, l’ami du célèbre Achille, mais surtout ils décident du retour d’Ulysse. Ensuite, les sanctuaires sont également omniprésents, mais pas directement. En effet, une étude ethnologique a montré que six des douze cavernes, ou gouffres, ou abîmes, situés sur les îles visitées par Ulysse constituent ce qu’ils appellent des « rites de passages ». L’Odyssée propose de fait une géographie déformée, probablement étayée par les récits des marins grecs qu’Homère a dû écouter pour écrire son poème. Enfin, le fantastique est appuyé par un nombre impressionnant d’animaux mythologiques : les cyclopes, les nymphes (Calypso, les Sirènes), et la présence de Circée l’enchanteresse. Selon la théorie des analystes, l’Odyssée est de ce fait très différent de l’Iliade, mais les deux textes disposent de la même expression poétique, donc il s’agit du même atelier, de la même famille, d’où le même nom d’auteur, « Homère ».

La manière dont on devient un héros pour Homère est clairement religieuse. Pour lui, il n’existe pas de talents, il n’existe que les dons des dieux. Dans l’Iliade, Achille est un demi-dieu, ce qui fait de lui un bon guerrier (dans le sens de sanguinaire), et il possède le don d’immortalité suite à son bain dans les eaux de la Styx. Dans l’Iliade et l’Odyssée, Ulysse est l’arrière-petit-fils du dieu Hermès, ce qui fait de lui quelqu’un de rusé. C’est pour cela qu’il pensa au « cheval ».

Ainsi, cette importance du fait religieux conduit à se poser une question non résolue à ce jour. Comment peut-on les analyser historiquement parlant, si l’œuvre n’est qu’une succession de « fables » ?

Les interprétations de l’œuvre d’Homère

La première solution consiste à « épurer » les textes d’Homère de la mythologie. L’idée est que tout mythe, comme le droit de cuissage (cf. post sur le sujet), part d’un fait réel. De fait, si l’on supprime du récit homérique les faits mythiques, on devrait aboutir à un texte historiquement exploitable. Ceux qui ont tenté cette solution, ont obtenu un ensemble de récits incohérents et inintéressants pour l’historien. De plus, elle est l’illustration parfaite du débat éternel entre les analystes, ceux qui décortiquent par petits bouts le récit homérique, et les unitaires, ceux qui considèrent les deux poèmes comme un bloc indivisible – pour ce que ça vaut, je soutiens cette thèse.

La deuxième solution consiste à considérer la mythologie comme un ensemble d’éléments symboliques à interpréter. Toutefois, comment juger de la valeur d’un mythe ? Le combat d’Achille et d’Hector matérialise, par exemple, la théorie des deux lances.

Les pistes de Georges Dumézil et de Mircéa Éliade constituent une sorte de troisième solution. Pour Georges Dumézil, la religion n’est-elle qu’une travestie des rapports de classes ? Dans les textes d’Homère, cela s’illustre par les rapports entre le roi et son peuple qui démontre l’existence d’un réseau social structuré. Il est possible de citer deux exemples : (1) l’accueil de Pâris par Ménélas qui illustre l’hospitalité par un système de don et de contre don ; (2) la place de l’aristocratie dans les combats qui montrent davantage des duels, que des grandes batailles. Pour Mircéa Éliade, l’Iliade et l’Odyssée sont l’illustration parfaite de sa vision cyclique du temps. Il interprète l’œuvre d’Homère comme l’éternel retour des archétypes originels : Hector étant l’archétype du bon guerrier, Ulysse, l’archétype du bon marin, Pénélope, l’archétype de la bonne épouse, etc. Bref, ils servent de modèles aux Grecs des périodes archaïques et classiques.

Pour finir, la piste astrologique n’est pas à écarter, mais, actuellement, aucune étude sérieuse n’a été menée concernant l’Iliade et l’Odyssée. La méthode a porté ses fruits dans l’analyse des mythes incas par William Sullivan. Ce dernier eut l’idée de les rapprocher de la cosmogonie. Il montre que la position des constellations (incas) au moment de l’invasion espagnole correspondait à un mythe annonçant la fin de l’Empire inca. Cela permet d’expliquer la conquête facile de tout un empire par quelques pieds nickelés, dirigés par Pizarro. Les Anciens étant tous des astrologues, chercher à déchiffrer la position des astres dans le ciel, permet d’accéder à une histoire secrète. Dans l’Iliade, le « bouclier d’Achille » comporte des constellations. La méthode employée par William Sullivan est-elle applicable pour expliquer le monde homérique ? Quoi qu’il en soit, le monde homérique reste à décrypter si tant est qu’il puisse l’être.

Homère déforme l’histoire dans le but de plaire à son public. De fait, il n’y a pas de véritables faits historiques. Il opère une analyse mythologique des événements et des personnages, illustrant une forme de fait religieux. Nous connaissons, en partie, les mythes grecs grâce à lui. Toutefois, il faut poursuivre les recherches pour retrouver la clé qui conduira à décrypter les faits historiques contenus dans les poèmes. Globalement, on ne peut pas rejeter toutes les informations qu’ils apportent. L’Iliade et l’Odyssée n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

Pour ouvrir le débat, l’œuvre littéraire d’Homère apporte des connaissances plus ou moins vague de l’histoire sans les avoir lus. Elle correspond à la source culturelle de la Grèce antique. Les Grecs devaient l’apprendre par cœur. De fait, pour Platon, dans La République, Homère était « instituteur de la Grèce ».

Maxime Forriez.

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